Il y a exactement 30 ans ce mardi, les Suisses rejetaient l'adhésion à l'Espace économique européen (EEE). Au terme d'une campagne très émotionnelle et avec près de 80% de participation, la grande majorité des cantons et 50,3% du peuple avait rejeté l'objet.
Ce vote, l'un des plus marquants des 50 dernières années, avait creusé plusieurs profonds fossés: les grandes villes avaient dit oui, les campagnes non. Les couches de la population à bas revenus avaient mis en minorité l'élite bien formée. Mais, surtout, la Suisse romande avait voté oui d'une seule voix et nettement, alors que la Suisse alémanique, à l'exception des deux Bâles, avait dit non en bloc.
Ce que signifiait l'EEE pour la Suisse
Lors de la conférence de presse du Conseil fédéral qui avait suivi le résultat, les visages des ministres Jean-Pascal Delamuraz, René Felber et Arnold Koller étaient fermés comme jamais. Le premier avait d'ailleurs prononcé une phrase qui reste indissociable de ce non dans les urnes, mais aussi de sa carrière au gouvernement: "C'est un dimanche noir!"
Et le conseiller fédéral alors en charge de l'Economie d'ajouter: "C'est un dimanche noir pour l'économie suisse, pour le futur des emplois dans notre pays, pour tous les partisans de l'ouverture dans ce pays, c'est-à-dire la moitié du peuple tous cantons confondus, et plus particulièrement les cantons romands et les deux Bâles. C'est un dimanche noir aussi pour la jeunesse qui se trouve privée d'un projet."
L'idée de l'Espace économique européen était la création d'un marché commun entre la Communauté européenne (CE) et l'Association européenne de libre-échange (AELE), dont fait toujours partie la Suisse. L'accord devait assurer les "quatre libertés": la libre-circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux. L'EEE aurait conféré moins de droits à la Suisse qu'une adhésion à la CE, mais elle lui imposait aussi moins de devoirs.
L'agriculture et la fiscalité étaient exclues de l'accord, les répercussions sur les institutions helvétiques auraient été faibles. La Suisse n'aurait pas été contrainte d'adopter automatiquement de nouvelles lois promulguées par la CE. Des solutions auraient dû être trouvées au sein du comité de l'EEE par voie de négociations. En cas de litige, un tribunal arbitral aurait été compétent.
Une campagne agressive
Tout autant que le résultat, la dureté de la campagne a marqué les esprits. La force motrice derrière cette campagne émotionnelle était le président de l'UDC zurichoise d'alors, Christoph Blocher. Avec son parti et soutenu par l'Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), il s'était lancé contre les rangs serrés de l'"establishment" politique et économique. Les adversaires de l'adhésion à l'EEE avançaient en premier lieu la perte de souveraineté et le spectre des "juges étrangers". Ils mettaient aussi en garde contre des coûts élevés de l'accord, une baisse des salaires ainsi que des carences institutionnelles.
Avec sa campagne agressive, Christoph Blocher a imposé le style politique qui allait profiler avec succès l'UDC. Le parti, un poids plume en 1992 avec 11% d'électeurs, a su tirer profit d'une profonde méfiance de l'électorat conservateur face aux appétits de l'élite urbaine et des politiciens.
Le non à l'EEE a également marqué le début de la voie bilatérale poursuivie par la Suisse dans ses relations avec l'Union européenne, une voie adoubée par le peuple lors des votations. En 2000, plus des deux tiers de votants soutiennent le premier paquet d'accords qui prévoit la libre circulation des personnes. En 2005, les Suisses disent oui par 54,6% aux accords Schengen/Dublin et par 56% à l'extension de la libre circulation aux dix nouveaux pays membres de l'Union européenne.
Une idée qui fait à nouveau son chemin
Aujourd'hui, les liens avec l'UE sont quelque peu distendus et peinent à trouver un nouveau souffle. Le Conseil fédéral entend désormais prolonger la voie bilatérale par de nouvelles négociations après avoir mis fin aux discussions sur l'accord-cadre.
Dans ce contexte, l'EEE est une idée qui retrouve de l'intérêt, car il semble avoir fait ses preuves dans trois pays: l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein. Les socialistes ont ainsi déposé une motion pour que le Conseil fédéral étudie une éventuelle participation à l'Espace Economique Européen. Et, selon un récent sondage mandaté par le Mouvement européen suisse, 71% des Suissesses et des Suisses, tout âge confondu, sont prêts à l'envisager.
Le week-end dernier, les Vert'libéraux sont également revenus à la charge et revendiquent cette solution pour restaurer les relations entre la Suisse et l'Union européenne. "Les relations avec l'UE sont comme une chaudière pleine de trous. La Suisse ne peut plus se contenter de la rafistoler", a notamment déclaré le président du parti Jürg Grossen.
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boi avec ats