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Ouverture lundi du premier procès en Suisse pour homicide à caractère djihadiste

Le premier procès en Suisse pour homicide à caractère djihadiste s'ouvre lundi devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone
Le premier procès en Suisse pour homicide à caractère djihadiste s'ouvre lundi devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone / 19h30 / 2 min. / le 11 décembre 2022
Un Turco-Suisse doit répondre d’assassinat devant le Tribunal pénal fédéral. Il est jugé à partir de lundi pour un homicide commis en 2020 à Morges (VD) pour venger le groupe Etat islamique.

Le drame remonte au 12 septembre 2020. Ce jour-là, peu après 21h, le prévenu, aujourd’hui âgé de 29 ans, pénètre dans un kebab situé près de la gare de Morges et poignarde un homme qu’il ne connaît pas.

Selon l’acte d’accusation, "en portant son coup de couteau mortel, il a crié 'Allah est le plus grand' avant de prendre la fuite. Il a ainsi choisi une victime dont il ne savait rien, afin de mener une attaque en faveur de l’organisation Etat islamique, faisant preuve d’une absence particulière de scrupules".

>> Les précisions de Marc Menichini dans La Matinale :

Une vue du Tribunal pénal fédéral à Bellinzone (TI). [Keystone - Pablo Gianinazzi]Keystone - Pablo Gianinazzi
Ouverture lundi du premier procès en Suisse pour homicide à caractère djihadiste / La Matinale / 1 min. / le 12 décembre 2022

La terrasse du kebab épiée

Le document rédigé par le procureur fédéral Yves Nicolet lève le voile sur les heures qui ont précédé l’homicide. A 13h, le prévenu aurait ainsi acheté le couteau dans un grand magasin. Dans le courant de l’après-midi, il serait ensuite passé à onze reprises devant la terrasse du kebab, "où il a observé les lieux à la recherche de victimes". En milieu d’après-midi, quatre heures avant de passer à l’acte, il aurait effectué une prière dans une cour d’habitation.

L’acte d’accusation revient également sur la radicalisation progressive du Vaudois. En 2016 déjà, alors qu’il n’a que 23 ans, "il télécharge de très nombreuses images et vidéos de violence extrême à caractère djihadiste". Il en partagerait aussi avec des tiers. C’est ainsi qu'il est dans le viseur du Service de renseignement de la Confédération depuis 2017.

En avril 2019, il aurait quitté le domicile familial pour rejoindre les rangs de l'EI en Syrie. Mais il aurait rebroussé chemin à Milan, en Italie. L’acte d’accusation n’en donne pas la raison.

>> A lire également : Le tueur de Morges était sous l'influence de l'"émir" condamné à 15 ans de prison

Faire exploser une station-service

Deux jours plus tard, le 13 avril 2019, il aurait pris "la décision de réaliser un acte lui permettant de concrétiser son engagement en faveur de cette organisation terroriste". Il aurait alors décidé de faire exploser une station-service à Prilly (VD).

"Il est descendu dans la cave de l’appartement familial où il a pris une bouteille contenant du produit inflammable et un chiffon avant de se rendre à la station-service. Il a tenté avec conscience et volonté de mettre le feu à l’un des distributeurs d’essence de la station-service, provoquant un début de feu sans toutefois parvenir à créer un incendie d’une ampleur telle qu’il ne puisse plus être maîtrisé", indique l’acte d’accusation.

Le lendemain de cette tentative d’incendie, le prévenu est arrêté et placé en détention provisoire. Le Ministère public vaudois ouvre une procédure à son encontre, mais elle est reprise six mois plus tard par le Ministère public de la Confédération.

>> Revoir également le documentaire de Temps Présent sur les djihadistes suisses :

Dans le cerveau des djihadistes suisses
Dans le cerveau des djihadistes suisses / Temps présent / 54 min. / le 13 mai 2021

Libération après un an et trois mois

En juillet 2020, soit un an et trois mois après avoir été emprisonné, le suspect est remis en liberté. Dans un communiqué de presse, le Ministère public de la Confédération expliquera que cette libération "s’appuyait notamment sur une expertise psychiatrique".

Cette remise en liberté est assortie de seize mesures de substitution. Le prévenu doit notamment respecter un couvre-feu, se soumettre à un accompagnement socio-éducatif, se présenter une fois par semaine au poste de police et ne pas entretenir de relations avec les médias.

Polémique autour de sa libération

Le prévenu respecte-t-il les règles fixées? Les autorités vaudoises et le Ministère public de la Confédération apportent des réponses différentes à cette question.

Dans un courriel transmis à SRF en novembre 2020, le Département vaudois de la sécurité, alors dirigé par Béatrice Métraux, fait savoir que "les autorités vaudoises ont transmis au Ministère public de la Confédération les manquements du prévenu au fur et à mesure qu’ils étaient portés à leur connaissance.

Cependant, malgré les éléments rapportés, le Ministère public de la Confédération n’a pas prononcé une remise en détention du prévenu, ce qu’il aurait pu faire à tout moment."

Le Ministère public de la Confédération, dans un communiqué de presse diffusé en septembre 2020, indique quant à lui que "jusqu’à l’homicide du 12 septembre 2020, le Ministère public de la Confédération n’a été informé d’aucune violation des mesures de substitution imposées qui aurait justifié une nouvelle remise en détention".

La question d'une nouvelle incarcération

Le comportement du prévenu après sa libération en juillet 2020 justifiait-il une nouvelle incarcération? Cette question est capitale et elle sera probablement abordée lors du procès. Dans les faits, deux mois après avoir recouvré la liberté, le prévenu s’est rendu dans un kebab à Morges et a tué un jeune homme qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment.

Contactés par la RTS, les avocats du prévenu et de la famille du défunt n’ont pas souhaité s’exprimer avant le procès. Le suspect risque la prison à vie. Son procès devrait durer entre trois et cinq jours.

Le jugement sera rendu le 10 janvier.

Fabiano Citroni

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Les dates clés

11 avril 2019

Selon l’acte d’accusation, le prévenu, qui se nourrit de vidéos de violence extrême à caractère djihadiste depuis environ trois ans, effectue des recherches sur un itinéraire entre Prilly (VD) et l’Italie, mais aussi entre l’Italie et la Turquie. Ce même jour, il se rend à Milan "pour tenter de rejoindre les rangs du groupe Etat islamique en Syrie", puis il rebrousse chemin.

13 avril 2019

Selon l’acte d’accusation, il tente d’incendier et de faire exploser une station-service à Prilly dans "l’intention de mener une attaque en faveur de l’organisation Etat islamique".

14 avril 2019

Il est arrêté à Prilly et incarcéré. Le Ministère public vaudois ouvre une instruction à son encontre pour soupçon d’incendie intentionnel. Six mois plus tard, le ministère public de la Confédération reprend la procédure en raison de possibles antécédents djihadistes.

13 juillet 2020

Après un an et trois mois de détention provisoire, et alors que l’instruction portant sur l’incendie est toujours en cours, il est remis en liberté, sous conditions. Il doit notamment respecter un couvre-feu, se présenter une fois par semaine au poste de police, mais aussi se soumettre à un suivi socio-éducatif.

12 septembre 2020

Selon l’acte d’accusation, en début de soirée, il entre dans un kebab situé près de la gare de Morges (VD) et poignarde un client qu’il ne connaît pas. En portant son coup mortel, il crie "Allah est le plus grand".

13 septembre 2020

Il est arrêté à Renens (VD). Dans les jours qui suivent, le ministère public de la Confédération indique que le suspect est connu du Service de renseignement de la Confédération depuis 2017 pour "consommation et diffusion de propagande djihadiste".

5 novembre 2020

D’après l’acte d’accusation, le prévenu tente de tuer un gardien à la prison de Thoune.

13 novembre 2020

Selon l’acte d’accusation, au retour d’une audition, il donne un coup de poing au visage d’un agent de l’Office fédéral de la police et le blesse.

25 août 2022

Le ministère public de la Confédération renvoie le prévenu devant le Tribunal pénal fédéral notamment pour assassinat, tentative d’incendie intentionnel et violation de la loi fédérale interdisant les groupes "Al-Qaïda" et "Etat islamique".

12 décembre 2022

Le procès s’ouvre devant le Tribunal pénal fédéral à Bellinzone. Les débats sont prévus sur trois jours avec deux jours de réserve (jeudi et vendredi).

10 janvier 2023

Lecture du jugement.