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Pour l'expert psychiatre, le meurtrier de Morges souffre de "schizophrénie simple"

Première journée d’audience à Bellinzone pour le terroriste de Morges. [Keystone - Linda Graedel]
L'auteur de l'attentat de Morges souffre de schizophrénie simple / La Matinale / 1 min. / le 14 décembre 2022
Le procès du ressortissant turco-suisse accusé de l'assassinat d'un Portugais en 2020 à Morges (VD) a repris mardi. L'expert psychiatre estime que le prévenu a besoin d'un traitement institutionnel dans un hôpital-prison.

Au deuxième jour du premier procès en Suisse pour homicide à caractère djihadiste, l'expert psychiatre Rigobert Hervais Kamdem est venu à la barre. Pour lui, le prévenu souffre de schizophrénie simple. "Selon nous, il a commencé à tomber dans la schizophrénie en 2008, il avait alors 15 ans. Il a commencé à se désintéresser des choses, mais aussi à se retirer socialement", précise le médecin.

Pour lui, l'accusé a besoin d'un traitement institutionnel des troubles mentaux au sens de l'article 59 du Code pénal. Cet article stipule que le juge peut ordonner cette mesure "s'il est à prévoir qu'elle détournera l'auteur de nouvelles infractions en lien avec son grave trouble mental".

"Est-ce que cette mesure peut être mise en œuvre en milieu pénitentiaire?", demande le président. "Dans l'idéal, je dirais non", répond l'expert. "Elle devrait être mise en œuvre dans un centre dédié aux traitements des mesures, donc un hôpital-prison. Le seul qui répondrait à ce critère serait Curabilis, à Genève."

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"Pas conscient de sa maladie"

Le docteur Kamdem ajoute que s'il n'y a pas de place à Curabilis, alors il faudrait offrir un "traitement serré" au prévenu en milieu pénitentiaire, "ce qui ne semble pas avoir été le cas jusqu'à présent. Pour nous, il est impératif qu'un traitement soit mis en œuvre le plus rapidement possible".

Dans les faits, et cela est ressorti mardi matin au tribunal, l'accusé a été placé temporairement à Curabilis à des fins d'assistance pendant quelques semaines. Cette mesure de protection permet de placer ou de retenir une personne, contre sa volonté, dans une institution appropriée. "On a constaté qu'il n'est pas conscient de sa maladie. Il n'est pas preneur d'une prise en charge psychiatrique. Donc, en l'état actuel, il ne peut pas être traité avec son consentement", précise l'expert.

A ses yeux, la responsabilité pénale du prévenu est "moyennement diminuée". Mais tout espoir ne serait pas perdu. "Il montre des signes d'émotionnalité négative. Il montre qu'il est fragile, qu'il peut être déprimé. Cela peut être positif. Les personnes les plus dangereuses, d'habitude, sont des personnes assez froides, qui ne dépriment pas facilement. Ce n'est pas son cas", dit l'expert.

"L'internement n'aurait pas de sens"

En réponse à une question du président, le docteur Kamdem répond que la question de l'internement ne se pose pas en l'état. Pour mémoire, une telle mesure peut être ordonnée par le juge si le traitement institutionnel prévu à l'article 59 du Code pénal semble voué à l'échec. "Nous sommes d'avis que s'il bénéficie d'un traitement, son risque de récidive pourra grandement diminuer. L'internement n'aurait pas alors pas de sens. En l'état, nous ne pouvons pas dire qu'il est non amendable", affirme l'expert.

Témoignages des proches

En ouverture de journée, le tribunal a tout d'abord entendu José. Ce Portugais de 36 ans était un ami de Joao et il était présent dans le kebab le jour du drame. "Je connaissais Joao depuis environ quinze ans", confie-t-il.

A la demande du président, José est revenu sur les minutes qui ont précédé l'homicide. "Je suis rentré dans le kebab avec ma copine de l'époque et j'ai passé commande. Puis je me suis assis. Quand Joao a passé commande à son tour, il s'est dirigé vers notre table. Il a demandé où il devait s'asseoir. J'ai décidé de lui céder ma place. J'ai commencé à manger. Une vingtaine de secondes plus tard, quelqu'un est entré dans l'établissement et s'est dirigé vers Joao. Cette personne a fait un geste, j'ai compris qu'il venait de lui donner un coup de couteau", raconte José.

Le trentenaire explique avoir dit à Joao qu'il venait de recevoir un coup de couteau. "Il ne l'avait pas réalisé. Joao a commencé à se toucher là où il avait reçu le coup de couteau et il s'est aperçu qu'il saignait. Il est tombé sur la table."

Devant le tribunal, José confie faire régulièrement des cauchemars en repensant à ce qu'il s'est passé. "Avant, je n'avais pas peur de sortir seul dans la rue. Depuis, ce n'est plus le cas. Cela fait d'ailleurs plusieurs mois que je n'arrive plus à travailler".

Selon l'acte d'accusation, "en raison du choc, José a subi une atteinte à son intégrité physique et s'est senti gravement en danger". C'est pour cette raison qu'il a porté plainte contre le prévenu notamment pour menaces. Le tribunal a ensuite entendu la famille du défunt. Paulo, son frère, a pris la parole en premier. "Nous avons un an d'écart. Nous étions presque toujours ensemble et nous avions les mêmes amis. Mon frère était la personne que j'aimais le plus, la personne la plus importante pour moi", confie Paulo.

Après Paulo, c'est au tour de Rosa, la mère de la victime, de prendre la parole. Alors qu'elle commence à raconter son dernier échange avec son fils, le prévenu fait savoir qu'il ne se sent pas bien et qu'il souhaite quitter la salle. Le président lui explique alors que sa présence est utile et nécessaire.

"Un très bon fils"

L'accusé rétorque qu'il refuse de participer. "Vous n'avez pas le choix", lance le président, visiblement irrité. Il offre alors deux possibilités au prévenu: rester dans la salle ou être conduit à l'hôpital pour subir un examen médical. Après cinq minutes de réflexion, l'accusé choisit de rester dans la salle, mais de ne plus participer à la procédure, dit autrement, de ne plus répondre à la moindre question.

La parole est alors donnée au père de la victime. "Mon fils était un très bon fils, il avait un cœur énorme, il était la joie incarnée", dit-il, en pleurs. "J'espère que l'assassin n'aura plus l'occasion de commettre un tel acte, car je ne souhaite à aucune famille de passer par là où nous sommes passés."

Des mots qui semblent avoir touché le prévenu. Au terme de ce témoignage, il fait ainsi savoir à la Cour qu'il souhaite de nouveau participer à la procédure.

Fabiano Citroni

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