La Matinale de la RTS a recueilli le témoignage rare d'un retraité, divorcé depuis 4 mois mais toujours en couple avec celle qui est désormais son ex-femme.
Sur la sonnette de sa porte d'entrée, les deux noms sont toujours présents. A l'intérieur, l'ex-mari, qui aura 80 ans à la fin de cette année, montre ses décorations de Noël. "C'est ma femme qui les a faites." Une femme dont il a divorcé il y a 4 mois pour toucher deux rentes AVS complètes.
"A contre-coeur"
"Pour essayer d'obtenir un revenu supplémentaire, nous avons décidé à contre-coeur d'entamer une procédure de divorce, malheureusement", explique l'homme. "Il y a 50 ans que nous sommes en couple, avec des hauts et de bas comme partout, mais ça marche toujours bien. On l'a fait à contre-coeur, par obligation. Tout est en augmentation, on ne sait pas comment on va passer l'hiver. C'est un peu gênant."
Ce retraité n'est pas très fier d'avoir recouru à ce procédé. "En arriver là, après 50 ans de mariage, quand c'est pour des raisons financières, essayer d'obtenir des revenus supplémentaires pour pouvoir survivre, je dirais que c'est le comble. C'est malheureux et lamentable", regrette encore le septuagénaire.
Ce couple touchait avant son divorce 3500 francs par mois, uniquement via le premier pilier. Il n'a pas d'autres revenus. En divorçant, ils toucheront jusqu'à 800 francs de plus.
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Un procédé légal?
Ce procédé est légal si les désormais ex-conjoints ne sont - officiellement - plus domiciliés à la même adresse. Il leur faut donc, concrètement, une boîte aux lettres. Ce couple tire avantage d'un système qui lui semble injuste, et qu'il souhaiterait voir modifié.
"On avait déjà entendu parler de ce genre de situations (...). Alors, on s'est dit: 'faisons-le'. J'ai dû convaincre mon épouse, car elle n'était pas du tout décidée", explique le retraité. "Si je tiens à m'exprimer, c'est peut-être parce qu'il y a des choses à revoir dans le système", souligne encore le nouveau divorcé.
Autres conséquences
Si l'un des deux conjoints venait à décéder, par exemple, est-ce que le survivant perdrait son droit à une rente de veuf ou de veuve? "Si la rente se situe dans une certaine fourchette, il est possible qu'après le décès de l'un ou l'autre époux, une petite perte soit engendrée", explique l'avocat fribourgeois Pierre Mauron, spécialiste du droit de la famille et député socialiste au Grand Conseil. "Mais dans la grande partie des cas, notamment pour les personnes qui ont des rentes AVS entières, il n'y a pas de conséquences du fait du veuvage de l'un ou l'autre époux."
Pierre Mauron ajoute aussi qu'"il faut que les personnes en question n'aient qu'une rente AVS, donc pas de rente de caisse de pension ou LPP, et qu'ils n'aient pas non plus de fortune, car en cas de divorce, les conjoints ne sont plus héritiers l'un de l'autre et ça peut avoir des conséquences."
"Idiotie du droit suisse"
Divorcer pour gagner plus est une idée qui en inspire plus d'un, et le divorce est une méthode à laquelle recourent de plus en plus de couples à la retraite.
"C'est une pratique de plus en plus courante", explique Pierre Mauron. "J'exerce ce métier depuis 25 ans. Je dirais, depuis les quinze dernières années, je compte entre deux et trois couples par année qui divorcent. Beaucoup d'autres ne font pas le pas. La lourdeur de cette procédure est surtout émotionnelle."
"Des gens qui ont été mariés pendant 40 ou 50 ans divorcent alors qu'ils s'étaient unis pour la vie. C'est très très difficile à accepter. C'est la raison pour laquelle j'espère que le législateur corrigera au plus vite cette idiotie du droit suisse", conclut l'avocat.
En Suisse, dans les dix dernières années, on compte en moyenne environ 600 divorces par an chez les 65-69 ans. Quant aux causes de ces divorces, elles n'ont pas à être divulgées. Aucune statistique ne dira donc si c'est à cause des rentes AVS.
Mais ce manque à gagner pour les couples mariés s'ajoute à celui créé par les impôts supplémentaires durant la vie active. Quelque 450'000 couples mariés sont concernés par cette pénalisation du mariage.
Sujet radio: Muriel Ballaman
Adaptation web: Julien Furrer