En janvier 2021, le mouvement #MeTooInceste s'attaquait à l'omerta sur l'inceste et révélait l'ampleur du phénomène. La pluie de témoignages n'a toutefois pas provoqué de hausse des plaintes à la police en Suisse, selon notre analyse des données de la statistique policière 2021.
Après ces révélations, les chiffres n'ont pas changé: environ 350 mineurs sont toujours victimes chaque année de violences sexuelles commises au sein de la famille. Ces dénonciations ne représentent que la pointe de l'iceberg, selon les experts.
Une prise de conscience, mais...
Bien qu'ils n'atteignent pas toujours la police, les témoignages continuent d'affluer sur le terrain. Et les associations n'ont pas toujours les ressources nécessaires pour accompagner les victimes. Selon Marco Tuberoso, de l'association ESPAS à Lausanne qui s'engage auprès des enfants victimes d'abus, les délais d'attente sont de plusieurs mois pour recevoir les enfants au niveau thérapeutique.
La situation a peu évolué, mais Marco Tuberoso relève une prise de conscience depuis deux ans: "Récemment, la question du consentement a été largement débattue au Parlement et dans les médias, en marge des réflexions autour de la redéfinition pénale du viol. Le fait que cette discussion existe, c'est une sacrée avancée."
La redéfinition des délits pénaux, c'est justement la priorité de Muriel Golay, directrice du centre d'aide aux victimes d'infractions (LAVI) de Genève. Le délit d'inceste dans le Code pénal suisse, notamment, n'est pas adapté. Il vise surtout la procréation, la lutte contre la consanguinité, et ne concerne pas l'intégrité sexuelle des personnes.
>> Lire : Au moins 350 enfants sont victimes d’incestes chaque année en Suisse
Muriel Golay souligne aussi les difficultés pour la justice de se saisir des cas: "On voit bien aujourd'hui la faible reconnaissance judiciaire de ces infractions. Ensuite, le parcours tellement pénible pour les victimes n'est absolument pas à la hauteur."
Peu de volonté politique
Autre grande difficulté: les dénonciations à la police restent le seul chiffre sur la question des agressions sexuelles de mineurs au sein de la famille. Contrairement à d'autres types de violences domestiques, la Confédération n'a pour l'instant réalisé aucune étude précise sur la problématique.
Andreas Jud, spécialiste de la maltraitance à la Haute école de travail social de Zurich, déplore le manque de volonté politique et de coordination au niveau national: "Essayer de mieux comprendre, compiler les données, où est-ce qu'il faut aider, où est-ce qu'on doit intervenir. Il n'y a pas grand-chose qui a été fait ces dernières années".
Seule exception, un postulat adopté par le Conseil national demande au Conseil fédéral de collecter des données afin d'établir une vue d'ensemble et d'évaluer la situation.
Mais le chemin semble encore long, d'après la réponse du Département fédéral de l'intérieur, en charge du dossier: "Actuellement la question reste ouverte si une telle collection de données peut être mise en œuvre, et il n'est pas possible de dire aujourd'hui si elle fournira davantage d'informations au sujet de l'inceste."
Camille Degott et Valentin Tombez
Consultations gratuites et sans délai dans les centres LAVI
Les centres de consultation pour l'aide aux victimes (LAVI) peuvent être consultés sans délai, de manière gratuite et confidentielle. Un dépôt de plainte pénale n'est pas nécessaire.
Les centres sont présents dans tous les cantons. Leur mission est de répondre aux besoins des personnes victimes d'infraction pénale portant atteinte à leur intégrité physique, sexuelle ou psychique.
Plus d'informations sur le site aide-aux-victimes.ch.