Stefan Schmid: "Marc Walder, le patron de Ringier, n'aide pas les journalistes avec son comportement"
Le journal Schweiz am Wochenende a rapporté que l'ancien chef de la communication d'Alain Berset Peter Lauener a transmis à plusieurs reprises au CEO du groupe Ringier Marc Walder, l'éditeur du Blick, des informations confidentielles sur les mesures Covid prévues par le Conseil fédéral. Il s'appuyait sur des courriels et des procès-verbaux d'audition dont dispose la rédaction.
Interrogé par la RTS, le président de la Confédération a pris position sur ces informations, qu'il a qualifiées de "fuites illégales". Il n'a pas souhaité commenter la procédure en cours, estimant qu'il faut laisser travailler la justice.
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La "densité" des contacts surprend
Il y a "toujours" eu des fuites, reconnaît Stefan Schmid, rédacteur en chef du St. Galler Tagblatt, édité par le groupe CH Media, invité mardi dans l'émission de la RTS Médialogues. Toutefois, les "CoronaLeaks" sont "extraordinaires" en raison de la "densité" des contacts - 180 au total - entre Marc Walder et Peter Lauener.
Ce n'est pas non plus courant que le chef de la communication d'un conseiller fédéral ait des contacts directs avec un éditeur de presse, selon Stefan Schmid. "C'est différent d'un journaliste qui boit un café avec un communicant au Palais fédéral", estime-t-il. "Un patron a d'autres moyens d'influencer la rédaction, même si Blick affirme qu'il y a une séparation claire entre la maison d'édition et la rédaction. On sait tous qu'on se parle au sein d'une entreprise."
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"Pas d'affaire d'Etat", dit Christelle Luisier
Invitée aussi à réagir sur les "CoronaLeaks" dans La Matinale de la RTS, la présidente du Conseil d'Etat vaudois Christelle Luisier estime qu'il "ne s'agit pas d'une affaire d'Etat". "Il ne faut pas être hypocrite sur certaines pratiques", dit-elle. Et d'ajouter: "La transparence est très importante dans notre pays. Beaucoup d'informations méritent d'être diffusées."
La conseillère d'Etat PLR insiste cependant sur la collégialité: "Tous ce qui se dit autour d'une table à sept doit rester secret, autrement il n'y a plus de confiance, de collégialité, de discussions et de débats."
Questionnement du lectorat
Lors du Covid-19, "beaucoup de citoyennes et citoyens" se sont posés des questions sur l'indépendance des médias. Des questions renforcées avec les "CoronaLeaks", observe Stefan Schmid.
"C'est un moment crucial pour la presse en Suisse. Nous devons montrer notre indépendance, faire notre travail. Marc Walder, le patron de Ringier, ne nous aide pas avec son comportement."
Entre proximité et distance
"Qu'un président ou un directeur d'un groupe de presse ait des contacts avec des politiques, c'est tout à fait normal. (...) Se connaître, c'est une chose, mais user de son pouvoir ou contre-pouvoir pour obtenir des avantages, c'est autre chose. Les rédactions doivent maintenir leur indépendance", juge Pierre Ruetschi, directeur de Club suisse de la presse et ancien rédacteur en chef de la Tribune de Genève, sur les ondes de la RTS.
L'équilibre est "délicat", déclare le rédacteur en chef du St. Galler Tagblatt. "D'un côté, nous avons besoin d'informations, d'une certaine proximité pour savoir ce qui se passe et connaître les coulisses des décisions. Mais de l'autre, nous devons garder nos distances. Ce n'est pas toujours facile."
Le rédacteur en chef explique qu'il a "régulièrement des réunions" avec les gouvernements cantonaux dans lesquels il diriges des titres. "Comme c'est coutumier en Suisse, on se tutoie rapidement. On se rapproche en buvant un verre de vin. Tout cela n'est pas négatif. C'est aussi la culture politique de notre pays (...)."
Avant d'ajouter: "Mais cela peut être aussi difficile, parce que les intérêts sont différents. Notre rôle en tant que média est de contrôler le pouvoir, de poser des questions délicates, d'enquêter. Ça crée des tensions, mais c'est naturel."
Propos recueillis par Antoine Droux
Adaptation web: Valentin Jordil