En 2022, la Ville de Lausanne a emprunté 40 millions de francs à la FIFA, le canton de Neuchâtel 100 millions et la Ville de Genève 150 millions. C'est ce qu'indiquait une enquête de la RTS publiée ce lundi.
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Les villes de Neuchâtel (10 millions en 2019), de Fribourg (10 millions en 2022) et de La Chaux-de-Fonds, dans un ordre de grandeur non communiqué, ont aussi eu recours à de tels prêts. En Suisse alémanique, Winterthour (ZH) et Frauenfeld (TG) ont également effectué ce type de transactions, selon SRF.
Ces révélations font suite à celles, mi-janvier, des journaux bernois du groupe Tamedia à propos de la Ville de Berne. Durant six ans, la capitale a emprunté 1,8 milliard de francs à la FIFA, a-t-il été indiqué.
"Une place de marché"
Ces emprunts sont réalisés par le biais d'une plateforme financière en ligne, la start-up Loanboox. Basée à Zurich, elle met en relation directe des emprunteurs - des collectivités publiques ou des entreprises - avec des prêteurs comme des banques, des assurances, des fonds de pension, mais aussi des entités privées.
"Il s'agit d'une place de marché qui permet à des emprunteurs de faire appel à un large panel de prêteurs pour sécuriser des financements", résume Philippe Cayol, CEO de Loanboox, mercredi dans le 19h30 de la RTS.
L'emprunteur est libre de choisir la meilleure offre, selon ses critères - la somme prêtée, la durée et le taux d'intérêt. Une fois les modalités établies, un contrat numérique est signé entre les deux parties. De tels prêts permettent aux investisseurs de ne pas laisser dormir leurs liquidités à des taux négatifs.
"Nous avons une large base de prêteurs, dont les entités juridiques sont basées en Suisse avec des comptes bancaires suisses. Ils sont donc soumis aux réglementations et contraintes suisses", insiste Philippe Cayol.
De l'argent rapidement à disposition
Les collectivités publiques, elles, ont rapidement à disposition des fonds, et avec moins de frais administratifs. "Les économies faites par les collectivités publiques en Suisse romande se montent à plus de 9,4 millions de francs grâce aux transactions faites via notre système", assure le CEO de Loanboox.
Sur les ondes de la RTS, le conseiller d'Etat neuchâtelois chargé des Finances Laurent Kurth a expliqué qu'il fallait des emprunts en francs suisses et auprès d'organismes soumis à la juridiction suisse.
"Une fois ces deux conditions remplies, on prenait les offres les moins chères, étant entendu que nous cherchions des offres à court terme, afin de verser le plus rapidement possible les aides Covid. Les transactions avec la FIFA ont représenté moins de 5% des opérations de ce type", a ajouté Laurent Kurth.
Pas de contrôles
Les transactions se font directement entre les deux parties. Même s'il s'agit de sommes qui atteignent parfois plusieurs millions de francs, aucun règlement, ni contrôle de l'organisme de surveillance bancaire ne s'applique. Et l'argent ne transite pas par la plateforme en ligne.
"Il n'y a pas de loi sur le blanchiment qui va être applicable. On ne pourra pas vérifier l'arrière-plan économique de la transaction. Et cette dernière ne sera pas, non plus, soumise à une autorisation bancaire, puisqu'elle ne prend pas de dépôt auprès du public. C'est une activité qui relève du droit privé", note Florian Ducommun, avocat spécialisé en technologies auprès de Bonnard Lawson. Ce système repose donc sur la seule évaluation de l'emprunteur.
"Progresser vers la finance durable"
Pour Raphaël Mahaim, conseiller national (Les Vert·e·s/VD), le procédé révèle "toutes les limites du système FIFA" et confie qu'il est "tombé de sa chaise" en prenant connaissance de ces prêts.
"Ce qu'on réalise, c'est que la FIFA - qui ne paie pas d'impôts en Suisse, parce qu'on considère qu'il s'agit d'une entreprise à but non lucratif - ne sait plus quoi faire avec son argent. Si elle le place en banque avec des taux négatifs, elle perd de l'argent. Elle le distribue donc à gauche et à droite. C'est un premier problème dans cette histoire", estime-t-il.
Raphaël Mahaim va déposer une interpellation au Parlement pour savoir s'il est normal que de tels emprunts ne soient pas soumis aux règles de surveillance des marchés financiers. Pour le conseiller national vaudois, ce débat est une "opportunité historique" de "progresser vers la finance durable". "On veut plus de transparence. Mais on veut surtout éviter qu'il y ait de l'argent sale qui finance des prestations publiques."
Sujet TV: Julien Guillaume et Delphine Gianora
Propos recueillis par Philippe Revaz
Adaptation web: Valentin Jordil