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Les soins à domicile manqueront de personnel, malgré l'apport du secteur privé

Un cinquième (19%) des personnes âgées de 65 ans et plus ont reçu des soins à domicile en 2021. [RTS]
L'éclairage d'actualité / La Matinale / 4 min. / le 2 février 2023
Les aînés romands préfèrent de plus en plus être soignés chez eux, plutôt que d'entrer en EMS. Mais les soins à domicile nécessitent davantage de personnel. Sur ce marché, l'économie privée est sur les rangs, après des décennies de monopole public.

Qu'est-ce qui pousse les acteurs des soins à domicile à quitter de plus en plus le public pour le privé? Pour répondre à cette question, la RTS a directement tendu le micro aux professionnels qui sont les plus à même de comparer les deux univers, comme Chantal Debons.

Pour cette infirmière des Soins volants de Sion, partir dans le privé lui a permis de retrouver l'essence de son métier. "Dans le public, je ne rentrais plus dans mes valeurs", insiste-t-elle dans La Matinale. "Je ne me retrouvais plus dans ce que j'aimais faire. Donc j'ai quitté le public pour quelque chose qui correspondait à ce que je voulais. Autrement dit, faire le métier d'infirmière dans toute sa beauté."

Davantage de disponibilité dans le privé

La différence de disponibilité entre les deux univers a joué un grand rôle dans son choix. "Les structures privées sont plus petites. On parvient davantage à garder le côté humain du métier et on instaure un climat de confiance, ce qui est important. On ne regarde pas toujours le temps qu'on met."

En effet, les infirmières et infirmiers qui oeuvrent dans le secteur privé ont en moyenne à leur disposition près de deux fois et demi plus de temps que dans les structures publiques, selon les statistiques fédérales. De quoi réjouir les patients qui apprécient se faire dorloter, mais aussi les prestataires de soins, qui y trouvent aussi un intérêt. En soignant plus longtemps, ils sont en effet payés davantage par la LAMal, qui prend en charge le 90% de la facture.

Mais quand les caisses-maladie trouvent que le volume facturé est exagéré, elles ont le droit de refuser des minutes de soins. Ce cas de figure arrive assez souvent. L'Etat, quant à lui, subventionne les structures publiques pour qu'elles acceptent tous les patients qui se présentent chez eux.

Et comme leur personnel n'est pas illimité, les exigences d'efficience sont forcément plus grandes que dans le privé, comme l'explique Adrien Bron, le directeur général de la santé à Genève.

"Si vous ne faites que ce qui rentre dans les capacités de votre équipe, dans ce qui est planifié ou possible de faire en fonction de votre organisation, vous pouvez avoir des modèles économiques tout à fait rentables pour vos actionnaires ou propriétaires. Mais offrir un certain luxe ne permet pas d'assurer les soins à l'ensemble de la population", souligne-t-il.

Rétrécissement du fossé entre privé et public

Pour cela, il y a les structures publiques qui, elles, doivent par exemple pouvoir se rendre dans les zones les plus reculées. Conséquence: elles doivent aussi agir plus vite, même si pour Valérie Vouillamoz, responsable de la faîtière des CMS publics valaisans, le fossé entre le privé et le public est en train de se rétrécir. Comme elle l'explique au micro de La Matinale, le mythe est en train de se briser, car les privés qui ont pris beaucoup plus de place se retrouvent aujourd'hui aussi avec beaucoup plus de clients.

"Je crois que gentiment on est tous confrontés à la même crise de croissance. Lorsque l'on sera dans cette tranche d'âge-là, on devra accepter de ne pas avoir autant de prestations qui soient délivrées, tout simplement parce que les soins commencent avec le personnel et finissent avec le personnel. Il faut qu'il y ait du monde pour pouvoir délivrer ces soins."

Sur ce point, le Valais estime d'ailleurs, dans sa planification des soins de longue durée actuellement en consultation, qu'il faudra 638 soignants supplémentaires dans les soins à domicile d'ici 2025. Avec la pénurie qui guette déjà, le Canton écrit qu'il va falloir de profonds changements dans la prise en charge des personnes nécessitant des soins de longue durée.

Romain Carrupt/fgn

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Marie da Roxa: "Il faut sortir du clivage privé/public"

Pour Marie da Roxa, directrice de l'IMAD, l'institution genevoise de maintien à domicile, qui est une institution financée par l'Etat, il faut sortir du clivage entre privé et public. Selon elle, leurs missions ne sont pas comparables, car leurs patients sont différents.

"Les organisations publiques ont une obligation d'admettre, c'est-à-dire qu'elles doivent accepter tous les patients quelle que soient leur situation financière, leur situation de santé ou d'éloignement."

Avant d'ajouter que dans les soins à domicile, les frais de déplacement ne sont pas pris en charge, contrairement à ce qui se passe pour les médecins ou les physiothérapeutes par exemple. "Pour l'IMAD typiquement, ce sont 300'000 heures de déplacements par année qui ne sont pas prises en charge. Du moment que vous avez une obligation d'assurer une égalité de traitement sur l'ensemble du canton, effectivement, on ne fait pas le même métier."

Système à bout de souffle

Marie da Roxa estime donc que le système actuel est à bout de souffle. "Les systèmes avec des temps standardisés ont été mis en place au moment de la réforme en 2011, avec des logiques qui prévalaient à l'époque. Or, en 10 ans, on a vu un virage en ambulatoire et des durées moyennes de séjour qui ont diminué." Sans compter les techniques qui ont, elles aussi, évolué. "Tout ça fait que le système actuel est totalement déconnecté de la réalité."

Les système avec des temps standardisés ont été mis en place au moment de la réforme en 2011. Avec des logique qui prévalait à l'époque. Or, en 10 ans, on a vu un virage en ambulatoire et des durées moyennes de séjour qui ont diminué

Marie da Roxa, directrice de l'IMAD

Selon elle, pour résoudre ces problèmes dans les structures publiques, la clé est multifactorielle. Il faut d'abord redonner envie aux jeunes de se lancer dans les métiers des soins. "Il faut investir dans la formation et rallumer les étoiles dans leurs yeux par rapport à des métiers passionnants mais avec des contraintes."

Ce qui l'amène à parler du second point: l'articulation entre vie privée et vie publique. "Les patients ne s'arrêtent pas d'être malades le soir, le week-end et durant les jours fériés. Il faut continuer la réflexion de fond qui est en cours, et ce avec les patients, le réseau et les collaborateurs afin de savoir comment on peut faire pour concilier ces contraintes."

>> Ecouter l'interview complète de Marie da Roxa :

Interview de Marie da Roxa. [RTS]RTS
Différences entre les institutions privées et publiques pour les soins à domicile: interview de Marie Da Roxa / La Matinale / 4 min. / le 2 février 2023