"Jusqu’à présent, je me fournissais par l’intermédiaire d’amis. Mais il a toujours été difficile de savoir ce qu’il y avait réellement dans le produit. C'est là que je vois le grand avantage de la pharmacie: je sais vraiment ce que je consomme." Stefan*, fumeur de cannabis depuis une vingtaine d'années, fait partie des participants au projet pilote de vente légale de cannabis qui a débuté lundi à Bâle.
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Désormais, il peut se fournir en toute légalité dans les neuf pharmacies participantes. Il peut acheter jusqu’à 50 ou 100 grammes de cannabis par mois, en fonction de la teneur en THC du produit. Mais il peut aussi continuer à aller sur le marché noir: "Je n'exclus pas de continuer à me fournir via des amis. Mais je serais heureux si les produits de la pharmacie suffisent".
"On va observer où ils achètent leurs produits", explique Marc Vogel, médecin chef du centre d’addictologie aux cliniques psychiatriques universitaires de Bâle. "Les participants et participantes à l'étude devront remplir des questionnaires sur leur consommation tous les deux mois."
Le spécialiste relève l'importance du contact avec le monde médical, via les pharmacies. Il faut selon lui "apprendre à avoir une consommation responsable". Car le produit n'est pas sans risque: "Près de 10% des personnes qui consomment du cannabis développent une dépendance".
Projets romands
Le début de cet essai bâlois est suivi avec attention ailleurs en Suisse, comme à Lausanne ou Genève, où d'autres études similaires sont attendues. "Ces projets pilotes sont coordonnés en Suisse", précise le sociologue Sandro Cattacin, responsable du projet genevois.
Il évoque une complémentarité entre ces différents essais aux modalités différentes, qui doivent permettre d'apporter des bases scientifiques, en vue d’éventuelles décisions politiques sur le cannabis.
Selon une étude dévoilée l’an dernier par l’Université de Genève, les Suisses consommeraient près de 56 tonnes de cannabis par année, ce qui correspond à près de 750'000 joints par jour. Le cannabis, qui reste une drogue illégale en Suisse, est donc bien présent dans notre société.
Impact sur la consommation?
Florian*, rencontré dans une ville romande, se fournit lui aussi via des amis: "Le soir, quand je rentre chez moi, j'aime bien me poser et me rouler un petit joint". Le sujet reste malgré tout sensible: "Ma famille ne le sait pas. Mais auprès de mes amis, ce n'est pas quelque chose que je cache".
Endiguer le marché noir, contrôler la qualité des produits et la consommation: voilà les hypothèses derrière ces projets pilotes. "Pour nous, c'est important que cette économie sorte de l'invisibilité", explique Sandro Cattacin.
De quoi permettre aussi un accès aux consommateurs et consommatrices, précise le sociologue. "L'idée, c'est qu'ils apprennent à consommer mieux, qu'ils passent à des taux de THC moins forts, c'est-à-dire de l'alcool fort au bon vin".
Mais est-ce que la légalité changera vraiment le comportement des personnes qui consomment? Difficile à dire pour Florian: "Peut-être que j'achèterais en plus petite quantité, uniquement quand j'en veux, ce qui pourrait réduire ma consommation. Mais je préfère être réaliste et me dire que ma consommation resterait pareille."
Coraline Pauchard, Guillaume Rey
*prénoms d'emprunt