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Solange Peters: "Le système de santé suisse est de plus en plus à la limite"

#Helvetica: Solange Peters
#Helvetica: Solange Peters / #Helvetica / 21 min. / le 4 février 2023
Solange Peters, cheffe du service d'oncologie médicale du CHUV, était l'invitée de l'émission #Helvetica de la RTS. Active depuis longtemps au sein du Parti socialiste, elle milite pour une refonte du système de santé suisse afin de garantir sa pérennité et son accessibilité pour tout le monde.

Solange Peters est catégorique: pour faire de la médecine, il faut faire de la politique. "C'est lié. Parce qu'on observe déjà des entonnoirs dans toutes les branches de la médecine. Ces entonnoirs sont la conséquence d'une société qui, après le Covid, reclasse les gens dans différentes catégories salariales et socio-économiques. L'accès à une prestation de soin ou de support social parfaitement juste et égal est ainsi mis en danger."

En Suisse, si on fait de la médecine, il faut s'engager pour que ce système persiste

Solange Peters

"Les médecins, au fil du temps, surtout avec ces médicaments très chers qui arrivent, sont confrontés à l'idée qu'il faut savoir défendre ce qu'on a mis sur pied. C'est le projet de Ruth Dreifuss, c'est-à-dire une Suisse unique, dans laquelle on pense que tout le monde doit avoir accès à la même chose. En Suisse, si on fait de la médecine, il faut s'engager pour que ce système persiste", estime la cancérologue.

Et pour Solange Peters, la situation presse. "Le système est de plus en plus à la limite. Quand j'ai commencé à en parler, il était plus solide qu'aujourd'hui, et il est aujourd'hui plus solide qu'il ne le sera demain. Il y a des choses à faire." Elle liste quelques mesures: "On peut penser au 'fair pricing' - le juste prix des médicaments - , au système de lois qui protègent notamment la LAMal, qui maintenant est remise en question, au modèle de remboursement."

Pour une caisse unique

La médecin milite pour l'instauration d'une caisse maladie unique. "Il faut penser à notre système d'assurances. Je pense qu'une façon de veiller à ce que les choses soient bien faites, bien distribuées et de manière parfaitement égalitaire, c'est peut-être d'avoir une caisse unique. Et si on n'a pas de caisse unique, je pense que la surveillance et la régulation doivent être encore plus étatiques."

L'idée n'est pas de limiter les prestations, mais de s'assurer qu'elles soient pérennes en ayant un système politique derrière qui assure cela

Solange Peters

"Cela ne veut pas dire qu'il faut limiter les prestations, ce qui pourrait arriver avec la révision de la loi sur l'assurance maladie, révision à laquelle la plupart des organisations s'opposent. L'idée n'est pas de limiter les prestations, mais de s'assurer qu'elles soient pérennes en ayant un système politique derrière qui assure ça."

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Pour Solange Peters, il faut mettre en place des mesures pour contenir l'envolée des prix des soins. "Il y a une question qui se pose par rapport à ce qu'on fait d'utile et d'inutile, et comment juguler le prix des médicaments. Il faut probablement repenser ce système un peu plus à gauche de l'échiquier."

S'appuyer sur les pharmacies

Celle qui préside le conseil de fondation du Béjart Ballet Lausanne va entrer dans le conseil d'administration de Galenica, géant suisse de la distribution de médicaments. Pour elle, ce mandat n'est pas contradictoire avec ses valeurs politiques: "Galenica est un distributeur de médicaments et il travaille avec le plus grand nombre de pharmaciens en Suisse. [...] C'est parfois difficile d'avoir accès à l'hôpital, d'aller faire sa prise de sang, d'avoir le conseil qu'il nous faut lorsqu'on est inquiet, lorsqu'on n'a pas forcément la capacité de se déplacer."

Et de développer: "Comment est-ce qu'on peut faire pour raisonnablement 'décentraliser' les soins? Avec ce qu'on a tous devant notre porte: des pharmacies. Avec Galenica, il va falloir travailler pour donner un rôle de proximité aux pharmacies, un peu comme La Poste à l'époque. Il y a des choses qui sont nécessaires au quotidien et qu'on doit avoir devant sa porte. Les pharmacies pourront nous aider à ça."

"Réorganiser le profit"

Malgré son engagement à gauche, Solange Peters n'est pas pour une étatisation totale du service de santé. Elle estime important de laisser la possibilité aux entreprises pharmaceutiques de faire du profit pour qu'elles continuent à investir dans la recherche. "On apprend à travailler avec cette économie de marché. Typiquement, l'innovation en oncologie ne pourrait pas se faire sans l'industrie pharmaceutique. Et on ne peut pas prétendre qu'un jour ou l'autre l'industrie pharmaceutique travaillera sans profit."

On a toujours tendance à voir la pharma comme 'l'ennemi', mais ce n'est pas du tout le cas. Par contre, au niveau politique, ça demande de changer des lois

Solange Peters

La socialiste tient tout de même à préciser: "Il faut commencer à discuter avec ces grandes entreprises sur comment organiser le profit. Pensez aux brevets, on a des brevets de dix ans qui les mettent dans une autoroute très courte dans laquelle ils doivent faire beaucoup de gains en peu de temps. Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas imaginer des modèles dans lesquels le gain est là, mais où il s'étend sur une plus longue durée, permettant l'accès à un plus grand nombre de patients en Suisse et ailleurs?"

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Selon elle, l'industrie et l'économie de la santé sont des modèles à refaçonner. "Il faut les repenser avec un peu de flexibilité. On a toujours tendance à voir la pharma comme 'l'ennemi', mais ce n'est pas du tout le cas. Par contre, au niveau politique, ça demande de changer des lois", conclut Solange Peters.

Propos recueillis par Philippe Revaz

Texte web: Antoine Schaub

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