La commission de politique de sécurité du Conseil des Etats a proposé vendredi un assouplissement de la loi pour permettre la réexportation de munitions helvétiques vers l'Ukraine.
Les pays acheteurs de ce type de matériel militaire devraient toujours signer une déclaration de non-réexportation, mais celle-ci serait limitée à cinq ans pour les pays qui partagent les valeurs de la Suisse.
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Le débat doit encore avoir lieu au Parlement, mais les fronts sont en train de bouger à Berne sur ce dossier. Après le Parti socialiste, certains élus UDC ont eux aussi changé d'avis, mais ce n'est pas le cas de Christoph Blocher.
Une question de légalité
Interrogé samedi soir dans l'émission Forum, cette figure historique du parti dit soutenir, de manière générale, l'exportation d'armes ou de munitions par la Suisse. "Mais malheureusement, le Parlement a introduit - contre mon avis - une clause stipulant qu’il n’est pas possible de les réexporter", déplore le Zurichois. "La loi est comme ça. Ce n’est pas lié à la neutralité mais à la légalité", précise-t-il.
L'ancien conseiller fédéral s'oppose donc clairement à deux de ses collègues de l'UDC, les conseillers aux Etats Werner Salzmann et Hannes Gehrmann, qui se disent favorables à une exception pour l'Ukraine.
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"Ce n'est pas crédible", lance le Zurichois. "Ils disent [à l'Allemagne]: 'vous ne pouvez pas réexporter les armes, mais on fait une exception, vous pouvez les livrer à l'Ukraine'. Or c'est un pays en guerre et c'est contraire à la neutralité [suisse]".
Un risque d'escalade?
Christoph Blocher estime qu'une telle décision serait dangereuse pour la Suisse et dit craindre une escalade. "On a déjà commencé avec les sanctions contre les Russes, c'était aussi contraire à la neutralité", estime-t-il. "Maintenant, on veut donner des munitions. Après, on voudra donner des chars, des avions, envoyer des soldats, etc. C'est contraire à la neutralité suisse et à la neutralité internationale".
"Si on veut cela, alors il faut changer la loi", ajoute-t-il en soutenant un texte qui ne prévoirait aucune restriction en matière d'exportation d'armement par la Suisse vers les pays qui ne sont pas en guerre. "Mais l'Etat ne peut pas dire aujourd'hui que la loi n'est pas bonne et qu'il faut faire des exceptions. C'est contre l'Etat de droit".
Initiative sur la neutralité pas menacée
Ces tensions internes au sein de l'UDC sur la question des réexportations d'armement ne menacent pas pour autant l'initiative en cours du parti pour la neutralité suisse, assure le Zurichois.
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"Je n'ai pas entendu jusqu'à présent que quelqu'un, dans notre parti, soit contre cette initiative", précise Christoph Blocher. "L'UDC est clairement pour la neutralité perpétuelle et armée, et pour que la Suisse n'adhère à aucune alliance militaire ou défensive".
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Les Verts persistent dans leur défense de la neutralité
Et si les fronts politiques bougent très vite autour de cette question des réexportations, les Verts tiennent fermement leur position: il s'opposent à tout assouplissement.
Interrogée dans le 19h30, la conseillère aux Etats Céline Vara estime que la Suisse doit continuer à résister aux pressions. "La question qui se pose aujourd'hui et de savoir si on est prêts à remettre en cause notre neutralité pour défendre une branche de notre économie", a expliqué la Neuchâteloise en rappelant que la Suisse était - comme l'Autriche - au bénéfice de la neutralité permanente.
Propos recueillis par Esther Coquoz/oang
L'industrie de l'armement aux abois
L'assouplissement envisagé au Parlement, en matière de réexportations, est salué par l'industrie suisse de l'armement. Mais cette dernière, très dépendante des exportations, estime qu'il faudrait aller beaucoup plus loin pour garantir son existence.
Chez les gros acteurs du secteur, comme Mowag, les commandes seraient actuellement en baisse. Car ces exportateurs font face à une nouvelle exigence de leurs clients membres de l'OTAN: ils veulent être sûrs d’être livrés, même s’ils entrent en guerre.
"Je sais que douze des plus grandes entreprises d'armement du pays sont sommées par leurs clients de fournir des garanties de livraison pour les armes commandées. Et une telle garantie est impossible", explique Patrick Mayer, membre du comité du Groupe Romand pour le Matériel de Défense et de Sécurité.
"La détresse est énorme, il en va de notre existence", assure de son côté Matthias Zoller, secrétaire général Industrie de l'armement chez Swissmem.