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Antoine Hubert: "Il y a des activités beaucoup plus lucratives que la santé"

#Helvetica : Antoine Hubert
#Helvetica : Antoine Hubert / #Helvetica / 20 min. / le 18 février 2023
Le Valaisan Antoine Hubert est un acteur privé majeur du système de santé suisse que l'on dit à bout de souffle. "C'est une activité assez stable", estime-t-il samedi dans l'émission #Helvetica de la RTS, tout en assurant "ne pas faire des affaires florissantes".

Depuis plus de dix ans, le magazine Bilan classe Antoine Hubert dans les 300 personnalités les plus riches de Suisse. Il est à la tête d'une vingtaine de cliniques privées du réseau Swiss Medical Network et d'une dizaine d'hôtels de luxe (dont le Bellevue à Berne) au sein du groupe Aevis Victoria, qui réalise à peu près un milliard de francs de chiffre d'affaires annuel.

Cette santé financière éclatante peut paraître paradoxale, alors que le système de santé suisse est en pleines turbulences. "On ne fait pas des affaires florissantes", précise-t-il d'emblée. "Ce n'est pas parce qu'on fait un milliard de chiffre d'affaires que c'est florissant".

Antoine Hubert rappelle aussi que la santé représente aujourd'hui, globalement, quelque 90 milliards de francs annuels. "Et en tant qu'entreprise, on a la responsabilité d'être rentable", ajoute-t-il.

Un secteur qui aiguise les appétits

Le domaine aiguise quoi qu'il en soit les appétits puisque MSC, leader mondial des croisières et du transport de conteneurs, va racheter le groupe Hirslanden, autre grand réseau de cliniques en Suisse.

"La santé attire parce que tout le monde a envie de rester en bonne santé le plus longtemps possible, de vivre le plus longtemps possible", souligne le Valaisan. Et "MSC n'a pas fait d'argent dans la santé, il en fait dans le shipping et investit cet argent dans la santé. Il y a d'autres activités beaucoup plus lucratives que la santé", assure-t-il.

L'homme d'affaires reconnaît tout de même un intérêt précis dans ce domaine: "La santé est une activité assez stable, puisque la population grandit, vieillit."

En Suisse, vous avez 27 cuisiniers pour une cuisine qui finalement n'est pas si grande.

Antoine Hubert

Le conseiller d'Etat neuchâtelois Laurent Kurth a dit récemment que le système de santé suisse était désormais ingouvernable. "On a l'impression d'une machine à Tinguely qui ne fonctionne plus", a-t-il lancé.

"C'est un constat que nous avons fait il y a vingt ans", réagit l'administrateur délégué d'Aevis Victoria. "On a découvert en entrant dans ce domaine qu'en Suisse - petit pays par excellence - nous avions 26 ministres de la Santé plus un ministre fédéral. Donc vous avez 27 cuisiniers pour une cuisine qui finalement n'est pas si grande, puisque 8,6 millions d'habitants c'est la taille d'une grande ville mondiale. Alors, effectivement, c'est difficile à gouverner."

Une loi qui laisse trop de latitude aux cantons

Le problème, poursuit Antoine Hubert, c'est que les compétences en matière de santé sont cantonales. "La loi fédérale règle l'assurance maladie mais laisse beaucoup de latitude aux cantons pour organiser ensuite la santé." Et le plus gros problème est effectivement celui de la gouvernance, dit-il. "Le canton a plusieurs casquettes: celle de régulateur, celle d'opérateur puisqu'il y a des hôpitaux qui lui appartiennent, et celle de payeur puisqu'il participe au financement hospitalier".

Soit vous planifiez, soit vous laissez faire le marché. On ne peut pas faire des solutions hybrides.

Antoine Hubert

Le Valaisan ne défend pas pour autant une libéralisation totale. "Toute activité doit être encadrée", relève-t-il. "Par contre, lorsqu'un pays choisit une option libérale, il faut aller au bout de l'option. Soit vous planifiez, soit vous laissez faire le marché. On ne peut pas faire des solutions hybrides."

Antoine Hubert envoie au passage une pique aux cantons romands. "Il y a un fossé - avant c'était une barrière - de rösti", estime-t-il. "L'influence française sur la partie romande fait que, petit à petit, la Suisse romande se détache du reste de la Suisse en matière de pensée. Mais globalement, en Suisse allemande, on est dans une logique libérale."

Pas plus de gains dans l'assurance complémentaire

Reste que Swiss Medical Network fait beaucoup d'argent avec les assurances privées. "C'est une question d'organisation", répond-il. "On a des hôpitaux comme la Clinique générale [clinique Sainte-Anne] à Fribourg, qui vont travailler essentiellement avec l'assurance de base. Elle est aussi rentable qu'une clinique comme celle de Genolier qui travaille essentiellement avec l'assurance complémentaire (…) On ne fait pas plus d'argent dans un secteur que dans l'autre."

Le système ressemble plus à un triangle infernal qu'à un cercle vertueux.

Antoine Hubert

L'une des dernières acquisitions d'Antoine Hubert consiste en des parts dans l'Hôpital du Jura bernois, avec un nouveau modèle économique à la clé.

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"Si on veut éviter la nationalisation du système de santé, il faut essayer de le réformer", explique Antoine Hubert. "Donc on s'est demandé comment réformer le système et surtout ses flux financiers, les intérêts des différents acteurs du système, pour le rendre pérenne, vertueux. Parce qu'aujourd'hui on a un système qui ressemble plus à un triangle infernal qu'à un cercle vertueux."

La participation d'un acteur privé dans un hôpital public est une première en Suisse. "On brise un tabou", reconnaît l'homme d'affaires, mais "c'est un tabou très romand".

"Dans 11 cantons sur 14, nous sommes au service du public, puisqu'on est sur les listes hospitalières et qu'on travaille en coopération ou en complément des hôpitaux publics", ajoute-t-il en rappelant que "le canton de Berne a toujours été assez innovateur puisqu'il a transformé ses hôpitaux en sociétés anonymes il y a plus de trente ans et qu'il leur a donné une totale indépendance".

Propos recueillis par Philippe Revaz

Adaptation web: Olivier Angehrn

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