Le sujet de la réexportation d'armes suisses par d'autres pays, comme l'Allemagne ou plus récemment l'Espagne, déchire la classe politique helvétique. Depuis début février, une commission parlementaire se penche sur la question et plusieurs élus UDC - dont Werner Salzmann et Hannes Gehrmann - s'étaient déclarés favorables à de telles exportations.
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De quoi inquiéter le patriarche du parti, Christoph Blocher, qui avait rappelé ses troupes à l'ordre le 4 février dernier dans l'émission Forum. "La loi est comme ça. Ce n’est pas lié à la neutralité mais à la légalité", avait-il déclaré sur la RTS.
"Ce n'est pas crédible", avait encore lancé le Zurichois quant au positionnement de certains membres de l'UDC, prêts à faire une exception pour l'Ukraine. "Ils disent [à l'Allemagne]: 'vous ne pouvez pas réexporter les armes, mais on fait une exception, vous pouvez les livrer à l'Ukraine'. Or c'est un pays en guerre et c'est contraire à la neutralité [suisse]".
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Un non, mais tout reste ouvert
Regroupés vendredi sur le site de la centrale nucléaire de Beznau, à Döttlingen (AG), le groupe parlementaire UDC a donc décidé de rejeter "les livraisons d'armes directes et indirectes à l'Ukraine". Le parti entend s'opposer à toutes les propositions d'assouplissement des conditions de réexportation des armes vers l'Ukraine.
Dès lors, avec ce "non" des élus UDC à Berne, est-ce que les différentes propositions visant à autoriser la réexportation du matériel de guerre ont encore une chance de s'imposer sous la Coupole fédérale?
"C'est très ouvert", a estimé dans le 19h30 le correspondant de la RTS au Palais fédéral Pierre Nebel. Selon lui, seuls l'UDC et les Verts devraient rejeter ces propositions. Mais "s'ils étaient rejoints par quelques voix de la frange la plus pacifiste du PS, alors les idées seraient enterrées", analyse-t-il.
Néanmoins, des réunions des groupes parlementaires des différents partis doivent encore avoir lieu ces prochains jours. Il pourrait donc y avoir encore quelques rebondissements.
Réexportations possibles
Actuellement, la réexportation d'armements suisses n'est possible qu'avec l'autorisation du Conseil fédéral. L'année dernière, le gouvernement avait rejeté de telles demandes en se référant au droit de la neutralité. L'Allemagne voulait notamment livrer à l'Ukraine des munitions pour le char antiaérien Guepard.
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Jérémie Favre
Une longue tradition de fabrication et d'exportation d'armes
La Suisse produit et exporte des armes depuis l'après-Première Guerre mondiale et le traité de Versailles qui avait imposé à l'Allemagne un désarmement complet. Dans la foulée, la Suisse avait rapatrié un certain nombre de technologies allemandes de guerre. "C'est à partir de ce moment-là qu'il y a eu un développement d'entreprises exportatrices d'armes", explique l'historien Christophe Vuilleumier dans Forum.
L'industrie suisse exportatrice d'armes a été un secteur assez prolifique jusque dans les années 1930, où une première polémique a éclaté sur la question de la nature de ce commerce. "En 1938, le Parlement fédéral a décidé de placer l'industrie de l'armement sous le contrôle de l'Etat", précise Christophe Vuilleumier.
Durant la deuxième moitié des années 1940, la Confédération a même interdit l'exportation d'armes "pour des motifs politiques". Mais avec l'éclatement de la Guerre froide, quelques années plus tard, le secteur a repris de plus belle.
Dans le débat actuel, Christophe Vuilleumier rappelle que le cadre légal est "extrêmement clair". "Mais sous l'angle éthique, sous l'angle politique, tout cela est sujet à interprétation", conclut-il.