La diplomatie "parallèle" s’active à Genève pour trouver une issue à la guerre en Ukraine
La paix en Ukraine est encore loin, peut-être même très loin. Ce qui n'empêche pas d’y réfléchir et même de la préparer. Deux organisations à but non lucratif établies à Genève s’y attellent: le Centre pour le dialogue humanitaire, le HD Centre, et le Centre pour la politique de sécurité, le GCSP. Deux entités qui reçoivent un soutien financier de la Confédération. Elles mènent actuellement des discussions exploratoires avec des partenaires russes et ukrainiens.
L’objectif est simple: maintenir une forme de dialogue indirect, pour le moment, entre les belligérants. "Dans notre métier on appelle un tel dialogue un back channel, c’est une plateforme de dialogue informel assez confidentiel pour permettre aux parties d'un conflit de quand même se parler, explique l’ambassadeur Thomas Greminger, directeur du GCSP. Pour cette initiative, nous nous sommes déjà réunis trois fois en présentiel, et aussi de manière virtuelle".
Pallier les faiblesses de la diplomatie officielle
Cette diplomatie dite "parallèle" ou privée, car initiée par des acteurs non étatiques, permet aussi de pallier les faiblesses actuelles de la diplomatie officielle: "nombre des accords qui ont été trouvés durant la Guerre froide, par exemple l'excellente solution pour la Finlande, ou le développement des concepts de "détente" ou de contrôle des armes, toute cette diplomatie était menée par les hauts fonctionnaires des parties au conflit elle-même, explique David Harland, directeur du HD Centre.
Aujourd'hui, pour différentes raisons, ce type de diplomatie n'est plus possible, donc le travail préparatoire pour de telles solutions doit être mené en coulisses et ensuite présentées aux parties et à d'éventuels médiateurs officiels, s'il y en a."
Rencontre avec des "experts"
Les deux Centres ne donnent aucun nom, pas même les fonctions de leurs interlocuteurs russes et ukrainiens. Tout au plus, Thomas Greminger du GCSP affirme qu’il s’agit "d’experts hauts placés qui ont des accès aux administrations présidentielles des deux côtés".
Selon nos recherches, ces "experts" sont souvent des anciens officiels, politiques ou militaires. Les deux organisations doivent aussi très certainement rencontrer des hauts fonctionnaires toujours en exercice: Genève accueille des délégations russes et ukrainiennes, notamment dans le cadre des réunions de l'ONU et de ses agences.
Contenu des discussions
Si le secret entoure le contenu précis des discussions, David Harland indique qu’elles portent pour le moment sur des thèmes très spécifiques. "En mars de l'année dernière, nous avons proposé aux deux belligérants, puis au secrétaire général de l'ONU, un possible accord sur les exportations de biens agricoles, un accord pour réduire le prix des denrées alimentaires payées par des millions de personnes à travers le monde et qui dépendent des céréales russes et ukrainiennes, détaille le directeur du HD Centre. Donc, c'est un sujet spécifique sur lequel les deux côtés pouvaient se mettre d'accord, pour éviter d'être perçus comme responsables de la faim dans le monde".
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Du côté du GCSP, on parle aussi de thèmes plus généraux: "ce dialogue informel est utile pour parler et questionner les récits officiels, relève Thomas Greminger. Il permet aussi de tester s’il y a des possibilités de prendre des mesures de confiance et de tester des idées qui pourraient être utilisées dans une négociation."
Marc Menichini
L’enjeu éthique d’un tel dialogue
La Russie et l’ensemble de ses dirigeants et de ses élus font l’objet de sanctions. Pour certains chercheurs occidentaux et ukrainiens, parler avec des représentants ou des membres du Kremlin reviendrait à légitimer l’invasion russe de l’Ukraine. Bref, est-il vraiment opportun de discuter en ce moment avec des partenaires russes?
"Il faut toujours être conscient que nous parlons d'une guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine, admet Thomas Greminger du GCSP. Mais la diplomatie est censée parler à toutes les parties qui sont disposées à parler. Et pour arriver à une fin négociée de ce conflit, nous n’avons pas le choix que de dialoguer avec les deux côtés".
Et David Harland de conclure "toute négociation est la recherche du moindre mal. Et il appartient aux parties à un conflit de décider où ce point se situe".