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Ruth Dreifuss: "Je ne suis pas pour une exclusion des hommes dans la lutte féministe"

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#Helvetica : Ruth Dreifuss / #Helvetica / 21 min. / le 4 mars 2023
A quelques jours de la journée internationale du droit des femmes le 8 mars, Ruth Dreifuss, première présidente de la Confédération, revient sur son combat pour la cause féministe. Et pose son regard sur les revendications de la nouvelle génération.

Le 14 juin 1991, Ruth Dreifuss était l'une des grandes figures romandes de la grève des femmes, aux côtés de sa camarade socialiste Christiane Brunner. Plus de trente ans plus tard, l'ancienne conseillère fédérale, qui a dirigé le Département fédéral de l'intérieur de 1994 à 2002, estime qu'il reste encore beaucoup à faire.

"Il y a encore de la lenteur"

Invitée samedi dans l'émission #Helvetica de la RTS, Ruth Dreifuss se félicite du chemin parcouru dans le monde professionnel. "Je pense au nombre de métiers où les femmes n’étaient pas présentes à mon époque. J'ai vu la première femme contrôleuse des CFF, la première femme typographe. Le droit matrimonial a également changé". Et d'ajouter: "Du point de vue des lois, on a fait un immense travail de mise à jour. Mais dans la réalité quotidienne, il y a encore de la lenteur, des préjugés, mais aussi des salaires discriminatoires. (...) il reste encore beaucoup à faire".

Elle prend l'exemple du sujet de la maternité sur le lieu de travail. "La question de savoir si une mère de famille peut assumer certaines responsabilités, on l’entend encore. C'est une question qu'on ne pose pas aux hommes".

Du point de vue des lois, on a fait un immense travail de mise à jour. Mais dans la réalité quotidienne, il y a encore de la lenteur, des préjugés, mais aussi des salaires discriminatoires

Ruth Dreifuss, ancienne conseillère fédérale

Selon Ruth Dreifuss, il importe également que les entreprises rendent des comptes sur les écarts salariaux. "Le 10% d'écart dit 'explicable' cache en réalité d'autres discriminations". Des discriminations qui, selon elle, doivent être répertoriées et analysées par les entreprises.

>> Lire à ce sujet : La nouvelle loi sur l'égalité salariale entre en vigueur en juillet et La discrimination salariale subie par les femmes a augmenté en Suisse

Quelle place pour les hommes?

L'engagement des hommes pour la cause féministe n'est pas toujours bien vu. Ainsi, selon certains mouvements radicaux, les hommes cisgenres ne sont tout simplement pas légitimes à se revendiquer féministes. Un point de vue que Ruth Dreifuss ne partage pas. "Je suis contre une exclusion des hommes dans la cause féministe".

La conseillère fédérale confie avoir déjà eu ce type de discussions il y a trente ou quarante ans. "On voulait se réunir entre femmes uniquement, c'était mal vu. Mais, à l'époque, cela était indispensable, il fallait apprendre à prendre la parole et à avoir confiance en soi". Une situation qui semble avoir aujourd'hui évolué.

Pour Ruth Dreifuss, le concept de "lutte contre le patriarcat", de plus en plus brandi par les mouvements féministes, est également à prendre avec des pincettes. Ainsi, à la question "vous reconnaissez-vous dans ce concept?", elle répond: "Cela dépend de ce que l'on entend par là".

Elle s'explique: "Si cela revient à être agressif contre tous les hommes blancs de plus de 50 ans, non ce n’est pas mon style. Si c'est se rendre attentif aux mécanismes de discriminations entre les hommes et les femmes, et se rendre compte que ces derniers reposent sur une longue histoire de domination masculine, alors, bien sûr, il faut lutter contre."

Convergence des luttes

Depuis quelques années, certaines luttes semblent converger. Ainsi, on ne parle pas que des femmes, mais aussi d'identité, de genres ou encore du climat. Pour la socialiste, il est parfois difficile de distinguer les priorités. Elle estime toutefois qu'il est important de mêler différentes revendications lorsqu'elles sont communes.

J’ai découvert le féminisme à travers mon engagement social

Ruth Dreifuss, ancienne conseillère fédérale

L'ancienne présidente de la Confédération juge par ailleurs que la volonté du Parti socialiste de proposer un ticket 100% féminin pour la succession de Simonetta Sommaruga était légitime. "J'aurai été mal venue de le critiquer, étant donné que j’ai été moi-même élue grâce à une décision du Conseil fédéral, qui souhaitait élire une femme".

Combat social

En plus de son combat pour la cause féministe, la socialiste genevoise a oeuvré pour l'égalité des chances ainsi que pour la protection des minorités. Une de ses grandes fiertés, en tant que conseillère fédérale, est d'ailleurs d’avoir introduit une passerelle qui permet de passer de l'apprentissage à l'université, la passerelle "Dubs".

Pour elle, les problèmes sociaux sont intimement liés à la cause féministe. "J’ai découvert le féminisme à travers mon engagement social". Et de conclure: "Le féminisme est la plus grande révolution pacifique du XXème siècle. C'est aussi celle qui a apporté les plus grands changements".

Propos recueillis par Philippe Revaz

Texte web: Hélène Krähenbühl

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