Lauriane Savoy est l'auteure de "Pionnières. Comment les femmes sont devenues pasteures" (Labor et Fides), un livre publié ce mercredi 8 mars et qui est issu d’une recherche doctorale de six ans à la Faculté de théologie de l’Université de Genève. Il met en lumière les processus en cours dans les Eglises protestantes genevoises et vaudoises dès le début du 20e siècle et jusque dans les années 1970, en éclairant les conditions qui ont permis l’émergence de vocations pastorales féminines.
Ce travail est né d'un questionnement personnel de Lauriane Savoy remontant à sa toute petite enfance, comme elle l'a raconté mercredi dans La Matinale de la RTS. "Mon père est catholique, ma mère protestante, et j'ai donc grandi en ayant la double culture, en fréquentant à la fois l'Eglise catholique et l'Eglise protestante. Et quand j'ai réalisé que les femmes ne pouvaient pas être prêtres alors qu'elles pouvaient être pasteures, ça m'a semblé quelque chose de très étrange".
Première femme pasteure à Zurich en 1918
En Suisse, une première femme est devenue pasteure à Zurich en 1918. Il faut attendre 1929 pour Genève, avec un statut restreint de pastorat auxiliaire, et 1972 pour le canton de Vaud (à l'exception de l'Eglise libre). Et si le début du 20e siècle a permis d'ouvrir une brèche dans ce domaine, c'est grâce à l'ouverture de la formation universitaire aux femmes.
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Dès le moment où les femmes ont pu faire des études universitaires, certaines se sont lancées dans cette voie-là.
"L'accès au pastorat dépend vraiment de la formation académique en théologie", souligne l'historienne. "Donc, dès le moment où les femmes ont pu faire des études universitaires, certaines se sont lancées dans cette voie-là par intérêt pour ces études de théologie, mais aussi en voulant être pasteures. C'est ce qui a été déterminant durant le premier tiers du 20e siècle".
Si les choses ont été relativement faciles à Genève, notamment grâce à un important mouvement féministe, il y a eu en revanche beaucoup plus de résistance dans le canton de Vaud. "C'est quelque chose que j'ai découvert dans le cadre de mon enquête", explique Lauriane Savoy. "Genève est un canton-ville, un milieu social différent de celui du canton de Vaud qui est un grand canton essentiellement rural".
La même dialectique anti-féminine qu'en politique
Et au sein de la résistance se retrouvent souvent les mêmes arguments, la même dialectique qu'en politique. "Pendant la première moitié du 20e siècle, il y a beaucoup d'arguments sur le fait que les hommes sont faits pour détenir l'autorité alors que les femmes sont faites pour être au service, pour aider et s'occuper surtout de l'éducation des enfants au foyer. Ce sont des arguments que l'on retrouve beaucoup dans les Eglises".
Et comme en politique, On trouve aussi des éléments sur la prise de parole publique des femmes en général. "On reproche aux femmes de ne pas parler de manière intelligible et suffisamment forte, par exemple dans les Eglises pour pouvoir prêcher alors qu'il n'y a pas encore de sonorisation", poursuit la docteure en théologie.
On dit qu'il faut être costaud pour être pasteur dans les villages vaudois.
On parle aussi du timbre de leur voix, trop aigu, de leur carrure physique. "On dit qu'il faut être costaud pour être pasteur dans les villages vaudois". Et on parle aussi beaucoup de leur apparence. "Comme en politique où les femmes ont été et sont encore scrutées sur leur apparence physique, leur habillement", souligne Lauriane Savoy. "Les femmes pasteures aussi ont fait face à beaucoup de remarque sexistes".
Le tournant né des mouvements de Mai 68
Les choses ont cependant beaucoup changé à la fin des années 1960, avec les mouvements autour de Mai 68 qui ont aussi touché les Eglises. "Beaucoup de théologiennes et de théologiens engagés dans les mouvements de 68 ont remis en question complètement la figure pastorale d'autorité paternaliste. Et ça a fait beaucoup pour faciliter l'arrivée des femmes et libérer les hommes d'un modèle pesant dont ils ne voulaient plus non plus".
On compte aujourd'hui environ 40% de femmes parmi les pasteurs des Eglises protestantes réformées, une proportion proche de la parité qui n’est pas si fréquente dans les domaines professionnels.
Propos recueillis par David Berger/oang