Aider la population syrienne, sans pour autant soutenir le gouvernement de Bachar al-Assad ou les groupes rebelles kurdes ou islamistes, c’est l'équation complexe que doivent résoudre au quotidien les humanitaires présents en Syrie depuis l’éclatement de la guerre. Et la Suisse n'y échappe pas.
Ce casse-tête logistique, politique et sécuritaire est aujourd'hui exacerbé par le séisme qui a fait début février en Syrie plus de 4500 morts et 8700 blessés, selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Pas de sauveteurs au nord-ouest sous contrôle terroriste
Tout de suite après la catastrophe, la Suisse a débloqué 4 millions de francs pour financer les actions d'urgence conduites par l'OCHA, notamment au nord-ouest de la Syrie, la région la plus touchée. Mais la Confédération n’a pas envoyé d’équipes de sauveteurs.
Selon des recherches de la RTS, la chaîne de sauvetage qui s’est rendue en Turquie ne peut être scindée en deux, et ce pour des raisons réglementaires et techniques. De plus, Ankara avait demandé ce soutien à la Suisse bien avant Damas.
En outre, il n’était pas question d'envoyer des sauveteurs suisses dans une zone instable et dangereuse, actuellement sous contrôle d’une groupe terroriste.
"Il faut aussi dire que la Turquie a été plus durement touchée par le séisme, les besoins étaient énormes", confie Andrea Studer, vice-directrice du bureau de la coopération suisse (DDC), vendredi dans Forum. "Ankara a aussi offert un accès facilité à son territoire. Pensez juste que les avions ne pouvaient pas atterrir à Damas et à Alep."
De l’argent à deux ONG locales et des tentes
La Confédération a par ailleurs débloqué un million de francs pour deux organisations non gouvernementales actives dans le nord-ouest syrien, l'une spécialisée dans la médecine d’urgence, l’autre distribuant du cash aux survivants de la catastrophe. La DDC refuse de révéler l’identité de ces deux ONG pour des raisons de sécurité. Il est donc impossible de vérifier de manière indépendante leurs éventuels liens avec le groupe terroriste.
Mais selon un porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), dont dépend la DDC, "ces deux ONG internationales sont des partenaires de longue date de la Suisse dans cette zone. Ces ONG sont financées par d’autres bailleurs de fonds institutionnels. Elles sont indépendantes et informent les autorités de facto civiles de leurs activités".
Toujours dans la même région, la DDC a décidé le 13 février dernier d'envoyer 300 tentes. Du matériel qui, un mois plus tard, vient à peine d'arriver sur place. "On peut toujours nous dire qu'il aurait fallu les livrer plus tôt, mais il y avait de nombreuses questions d’accès. Le plus important est que ce matériel de qualité servira aux familles les plus affectées", déclare Andrea Studer.
Ces difficultés logistiques et sécuritaires inhérentes au nord-ouest de la Syrie se retrouvent aussi en partie dans les zones sous contrôle du gouvernement syrien.
Refus de visas par l'administration syrienne
La DDC aurait en effet voulu envoyer quatre ingénieurs dans la région d’Alep, elle aussi touchée par le séisme, et ce pour évaluer la solidité et la stabilité des bâtiments toujours debout. Un domaine dans lequel la Suisse est connue pour son expertise.
Mais le gouvernement syrien a refusé d’octroyer les visas à cette équipe. La décision n'est pas totalement inhabituelle, mais elle surprend en pleine catastrophe naturelle. "Cette mission a été annulée et Damas ne nous a pas contacté pour que nous renouvelions notre offre", indique Andrea Studer.
Cela étant, il se pourrait que la proposition de la Suisse ait été jugée trop insignifiante. Aujourd'hui, des tonnes de matériel affluent vers la Syrie, envoyées entre autres par les pays du Golfe, mais aussi l’Union européenne: des tentes, des lits, des couvertures, des chauffages, ainsi que des kits d'hygiène, des générateurs, de la nourriture ou encore des fournitures médicales.
Berne n’envisage pas de participer à un tel effort. La Suisse mise désormais "sur des contributions financières à l’égard de partenaires existants. Elle étudie en outre la possibilité de déployer des experts auprès des agences des Nations unies", a indiqué un porte-parole du DFAE à la RTS.
L’aide suisse est active en Syrie depuis l’éclatement de la guerre en 2011 et a même un bureau à Damas. A ce jour, quelque 300 millions de francs ont été alloués à des projets humanitaires qui bénéficient à la population de toutes les zones du pays.
Marc Menichini - Pôle enquête