C’est une toute petite phrase, dans la description d’une offre d’emploi publiée par la Confédération fin février, qui interpelle: "Êtes-vous prêt/e à vous engager activement dans le domaine des médias sociaux de l’armée suisse? TikTok est notre prochain objectif."
TikTok, avec ses vidéos courtes, est le réseau social préféré des adolescents et adolescentes en Suisse. Mais TikTok, c’est surtout depuis plusieurs semaines une controverse internationale liée à la protection des données. L’entreprise chinoise qui édite l’application, ByteDance, est soupçonnée d’espionnage de ses abonnés au profit du gouvernement de Xi Jinping. Plusieurs autorités étrangères, dont l’Union européenne, le Canada et les Etats-Unis, ont récemment interdit son utilisation sur les téléphones professionnels des fonctionnaires.
>> Plus d'informations : Le projet de loi pour interdire TikTok aux Etats-Unis progresse
En Suisse, début mars, des parlementaires ont plaidé pour son interdiction au sein de l’administration fédérale. La Chancellerie étudie en ce moment la question: elle a contacté il y a quelques jours les autorités de l’Union européenne pour comprendre ce qui les a poussées à bannir TikTok de leurs téléphones professionnels.
Au même moment, contre toute attente, l’armée y voit l’opportunité de faire sa promotion auprès d’un public jeune.
"S'adresser à un nouveau public"
Contacté sur ses motivations, l'Etat-major explique vouloir s'adresser à un nouveau public cible, qu'il n'arrive pas à atteindre sur les autres réseaux sociaux comme Facebook et Instagram. "Une présence sur TikTok nous permettrait de donner aux jeunes un aperçu du quotidien de la milice et de leur donner une image réaliste de ce que signifie le service militaire", poursuit l'Etat-major. Il précise par ailleurs qu’aucun compte TikTok officiel n’est actif pour l’heure.
Les risques d'une présence sur TikTok
Mais d’après les recherches de la RTS, plusieurs comptes liés à l’armée existent déjà. Ces derniers sont gérés par différentes troupes, de manière "semi-officielle", via des téléphones privés. L'artillerie par exemple est sur TikTok, le génie aussi, et même les forces aériennes. On y découvre des vidéos de manœuvres militaires en tout genre, des exercices de tir et même des vidéos prises en vol, depuis les cockpits des F/A-18.
Cette présence sur TikTok comporte toutefois certains risques, d’après plusieurs experts en cybersécurité sollicités. Créer un compte donne potentiellement accès à une mine d’informations à l’entreprise qui l’édite. Des informations telles que la géolocalisation, les contacts, le micro ou encore la caméra du téléphone. Des données très sensibles, surtout si elles proviennent d’une infrastructure hautement stratégique comme l’armée.
Marche arrière de l'armée?
Pour Jean-Henry Morin, professeur associé en systèmes d’information à l’UNIGE, l’armée fait preuve d’une grande naïveté. "On sait qu’on est dans un monde de prédation des données. S’agissant en plus d’un Etat comme la Chine dont on sait que les services des renseignements ont des accords qui forcent les entreprises chinoises à révéler des informations sans nécessairement le dire aux clients, cela pose quand même de graves problèmes. Le simple principe de précaution voudrait que l’on se tienne éloignés d’acteurs de cette nature-là", souligne-t-il.
Suite aux sollicitations de la RTS, l'armée semble déjà amorcer un rétropédalage. Elle assure être en train d’examiner les aspects sécuritaires. Elle décidera plus tard si elle se lance effectivement sur TikTok, ou non.
>> Ecouter le Point J sur les controverses liées à TikTok : Podcast - Pourquoi TikTok fait-il soudain flipper?
Flore Amos/hkr