La réforme des retraites récemment finalisée par le Parlement n'intéresse pas les jeunes. La retraite, c'est loin. Pourtant, cette réforme vous concerne bien plus si vous avez 25 ans que si vous en avez 60. Elle vous frappera tout de suite là où ça fait mal: le porte-monnaie.
La hausse de l'espérance de vie remet en question le financement des rentes. Pour l'assurer sur le long terme, le Conseil fédéral et le Parlement veulent modifier la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle (LPP). Concrètement, vos cotisations au 2e pilier, prélevées chaque mois sur votre salaire, donneront droit à une plus petite retraite qu'aujourd'hui.
Mais les élus ne souhaitent pas pour autant que les rentes plongent. Pour l'éviter, leur solution est simple: augmenter les cotisations afin de maintenir le niveau des retraites. Autrement dit, payer plus pour recevoir la même chose.
L'autre élément central de cette réforme consiste à mieux assurer les personnes à petits revenus et à temps partiel. Celles-ci obtiendront de meilleures rentes, mais paieront aussi nettement plus durant leur parcours professionnel.
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Pour y voir plus clair, nous avons sorti notre calculatrice et évalué la situation de huit salariés fictifs différents. Nous avons confronté la réforme adoptée par le Parlement au système en vigueur. A titre de comparaison, nous avons également ajouté le modèle élaboré par le Conseil fédéral, mais c'est bien celui des Chambres qui sera retenu.
Seules les rentes LPP (2e pilier) sont examinées, pas les rentes AVS. Certains chiffres ont été arrondis. Les salaires analysés se situent dans la tranche obligatoirement assurée de maximum 88'200.- par an (voir méthodologie en encadré).
Sophie et Daniel, secrétaire et électricien de 23 ans
Sophie et Daniel débutent leur carrière professionnelle. En 2025, année de l'entrée en vigueur supposée de la réforme, ils auront 25 ans. C'est l'âge à partir duquel ils seront soumis au 2e pilier, et devront donc commencer à cotiser pour leur retraite.
Sophie, secrétaire à 40%, gagne en début de carrière environ 1900 francs par mois. Elle fait partie de ces personnes à temps partiel que les autorités veulent mieux assurer. A la retraite, elle touchera effectivement une rente 2e pilier de 695 francs par mois, soit quatre fois plus qu'avec le système en vigueur. En revanche, elle paiera aussi nettement plus de cotisations durant sa vie active: presque sept fois plus en début de carrière. Concrètement, en 2025, son salaire net sera amputé de 64 francs supplémentaires par mois.
Daniel, électricien à 100%, touche lui 5000 francs à ses débuts. Avec la réforme, ses revenus à la retraite augmenteront d'environ 125 francs par mois. Daniel devra toutefois cotiser davantage, surtout au début de sa carrière. Ses charges grossiront de 80 francs par mois en 2025. Sur l'ensemble de son parcours professionnel, il déboursera 25'000 francs de plus qu'avec le système actuel.
Léa et Cécile, collaboratrice scientifique et caissière dans leur quarantaine
Léa et Cécile, respectivement collaboratrice scientifique à 80% et caissière à 50% de 44 et 45 ans, se situent à mi-chemin de leur vie active. La réforme leur réserve quelques surprises.
Léa a commencé sa carrière professionnelle, et donc à cotiser, après ses études à 29 ans. Elle gagne 5550 francs par mois. Son salaire net baissera d'environ 50 francs pendant quelques années avec la réforme du Parlement. Mais le principal coup dur arrivera à l'heure de la retraite: elle verra sa rente LPP baisser de 125 francs par mois par rapport au système en vigueur.
C'est l'inverse pour Cécile, qui touche 2100 francs par mois. Sa rente, jusqu'ici très modeste, triplera. Elle se montera à 385 francs par mois avec le modèle du Parlement, contre environ 125 actuellement. Cette apparente bonne nouvelle pourrait toutefois être difficile à digérer dans un premier temps: ses cotisations passeront de 23 à 130 francs par mois, soit une part conséquente de son salaire.
Ginette et Thomas, infirmière et menuisier de la génération transitoire
Ginette et Thomas, infirmière à 70% de 51 ans et menuisier à 100% de 59 ans, font partie de la génération transitoire, c'est-à-dire les personnes de plus de 50 ans. Ils recevront un supplément pour palier les effets de la réforme et ainsi protéger leur 2e pilier.
Le salaire de Ginette se monte à 5050 francs en 2023. Par rapport au modèle actuel, elle verra sa rente diminuer 17 francs avec la réforme du Parlement, qui lui assurera 1200 francs mensuellement pour sa retraite, dont 100 francs proviennent du supplément pour la génération transitoire. Elle cotisera un peu plus qu'actuellement, surtout pendant les deux premières années.
Thomas, dont le salaire s'élève à 6500 francs, est tout proche de la retraite. Avec le modèle du Parlement, il touchera une rente de 1300 francs ainsi qu'un supplément de 140 francs, soit un total de 1440 francs par mois. Cela reste 60 francs de moins qu'avec le système actuel. Il verra toutefois ses charges mensuelles diminuer d'environ 50 francs durant les dernières années de sa carrière.
Louis et Léo, temps partiels nouvellement assurés
Louis, serveur de 29 ans à 40%, et Léo, agent de sécurité de 43 ans à 30%, ne sont aujourd'hui pas soumis au 2e pilier. Leurs salaires restent inférieurs à la limite actuellement fixée à 22'050 brut par an. Ils ne doivent pas cotiser, mais ne recevront que l'AVS à la retraite.
Louis gagne 1615 francs par mois. Avec la réforme du Parlement, qui veut abaisser le seuil d'accès au 2e pilier, il sera assurée. Louis recevra ainsi une rente LPP de près de 500 francs par mois pendant sa retraite. Sa cotisation mensuelle sera d'environ 65 francs par mois, puis 100 francs à partir de 45 ans, soit une part importante de son salaire.
Léo reçoit le même salaire que Louis. Comme il n'aura participé qu'à partir de 45 ans à son 2e pilier, son capital vieillesse sera plus faible à 65 ans. Il touchera ainsi une rente LPP mensuelle de 265 francs.
Vers une décision populaire
Au final, Thomas se trouve probablement dans la meilleure situation. Il est le seul à devoir moins cotiser et sa rente reste en partie protégée par le supplément pour la génération transitoire. A l'inverse, Léa et Ginette ne voient probablement pas d'un très bon oeil la réforme: elles verseront davantage durant leur carrière et toucheront moins à la retraite.
Pour Sophie, Daniel, Cécile, Louis et Léo, tout dépend de leur situation personnelle. Sont-ils prêts à payer plus durant leur vie active pour s'assurer de meilleures rentes? Pour rappel, plus ils cotisent, plus leur employeur cotisent aussi pour eux.
Ils pourront probablement donner leur avis. La gauche et les syndicats ont déjà annoncé un référendum. S'il aboutit, les Suisses devront se prononcer dans les urnes.
Valentin Tombez
Comment nous avons calculé les rentes LPP
Ces exemples sont basés sur le minimum légal. Certaines caisses de pension offrent de meilleures conditions.
Les rentes et les cotisations dépendent de l'évolution de plusieurs paramètres, tels que les salaires, les prix et les intérêts sur le capital vieillesse, qu'il n'est pas possible de prévoir avec exactitude. Pour obtenir l'estimation la plus précise possible, sur conseil de l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS), nous avons utilisé le principe dit de la "règle d'or".
Cela consiste à supposer que les différents paramètres (salaire, seuil d'accès, déduction de coordination, etc.) évoluent au même rythme. Nous avons fixé cette évolution à 1% chaque année.
Les paramètres de la réforme du Parlement sont décrits dans ce document. Les montants limites (seuil d'accès, etc.) se réfèrent à l'année 2023.
La réforme du Parlement prévoit que le supplément pour la génération transitoire soit dégressif à partir d'un certain capital vieillesse. Le barème dégressif ne sera qu'ultérieurement établi par le Conseil fédéral. Pour l'instant, nous avons donc utilisé la proposition de la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats, consultable dans ce rapport (tableau 2).
Comme l'OFAS, nous comptons six mois de cotisations durant la 65e année.
Enfin, nos exemples se situent volontairement en dessous de la limite supérieure du salaire annuel fixée par la LPP (88'200 francs en 2023). Tout revenu supérieur à cette limite entre dans le régime surobligatoire, qui est défini par chaque caisse de pension et ne permet pas d'avoir un modèle unique.