Ce rapport est aussi sévère que les précédents constats de l’émission On en parle. CARA, l’association chargée du déploiement du dossier électronique du patient (DEP) pour les cantons de Vaud, Genève, Jura, Valais et Fribourg, a demandé un rapport pour faire le bilan après trois années de vie du projet. Cette évaluation a été réalisée auprès d'une cinquantaine de proches-aidants et de patients ainsi que d'une vingtaine de professionnels de la santé. Elle révèle les difficultés pour ouvrir un dossier électronique du patient (DEP), mais aussi un dossier finalement peu utile, car peu utilisable dans son état actuel.
Plus de la moitié des patientes et patients ont abandonné
Les patients et proche-aidants estiment que l’ouverture du dossier électronique du patient est complexe. Il faut d’abord créer un identifiant sécurisé nommé ‘eID’ avant d’effectuer l’inscription au DEP. Le processus prend du temps. Si au départ de l’évaluation, la totalité des patients étaient motivés à ouvrir leur dossier électronique, 29 sont sortis du projet avant même de débuter les démarches d’inscription et deux autres se sont arrêtés en cours de route, soit plus de la moitié d’entre eux.
Les raisons à ce blocage sont multiples: certaines personnes n’utilisent pas internet ou n’ont pas de téléphone portable. D’autres n’avaient pas de papier d’identité à jour. Certaines estiment encore que l’investissement est trop lourd par rapport au gain. Sur les 19 patients et proches aidants qui sont allés au bout de l’aventure, tous ont trouvé le processus d’inscription compliqué et plusieurs d’entre eux ont eu besoin d’un accompagnement.
Enfin, deux tiers des patients inscrits dans le cadre de cette évaluation ne se sont jamais reconnectés à la plateforme par la suite. En cause: la perte du code d’accès, des difficultés pour retourner sur la plate-forme, mais surtout le fait que cette connexion soit inutile puisque leurs médecins ne s’y trouvent pas.
Les professionnels de la santé manquent de temps et de moyens
Le rapport révèle que la vingtaine de professionnels de la santé participant au projet estime n’avoir ni les connaissances, ni les ressources, ni le temps pour accompagner les patientes et patients dans ces démarches pendant la consultation. Toutes et tous pointent du doigt le financement inexistant. Leur inscription est jugée trop complexe, trop longue et non adaptée pour un outil numérique. Par exemple, le code envoyé à l’institution médicale par courrier leur est parvenu parfois trois semaines après la création de l’eID.
Ils relèvent également la difficulté technique d’intégrer le DEP à leur propre système informatique et font face à de nombreux bugs techniques. Enfin, le rapport révèle le manque de communication sur le DEP avec un détail sidérant: au CHUV, sur 25 chefs de clinique, seuls deux avaient entendu parler du DEP.
Les professionnels estiment que le DEP représente une démarche supplémentaire dans une journée bien chargée, créant un stress pour une plus-value inexistante en l’état, puisque la plupart de leurs patientes et patients ne s’y trouvent pas.
Patrice Hof, secrétaire général de l’association CARA, relativise: "Nous étions conscients de ces obstacles, car ce sont aussi les nôtres […] Maintenant que ces obstacles sont objectivés, ce rapport nous apporte la possibilité d’avoir des leviers pour encourager l’ensemble des acteurs, y compris nous-mêmes, à apporter des améliorations. Je regrette d’avoir lancé ce système d’évaluation trop tôt, alors que le système n’était pas suffisamment mûr. Avec toutes les améliorations que nous avons apportées au fur et à mesure, il y a fort à parier qu’aujourd’hui, si l’on refaisait cette évaluation, les résultats seraient bien différents", explique-t-il lors de l’émission On en parle.
Une organisation en mille-feuille
À noter que le système du DEP est comme un mille-feuille: si un utilisateur constate un problème dans l’interface, CARA devra faire remonter ce constat à la Poste, qui le fera remonter à l’entreprise Siemens Autriche, qui développe le logiciel informatique du DEP. Ce logiciel est ensuite adapté par la Poste pour la Suisse. "CARA n’est qu'un acteur parmi d’autres. Nous nous trouvons au centre de l’échiquier et nous devons nous efforcer de coordonner ces différents acteurs et les convaincre d’avancer dans cette amélioration continue du système", précise Patrice Hof.
Sujet radio: Frédérique Volery et Bastien Von Wyss
Adaptation web: Myriam Semaani
Un DEP qui coûte cher aux contribuables
Contactée par On en parle, la Confédération indique que l’ensemble des travaux sur le dossier électronique du patient, depuis 2011, lui a jusqu'ici coûté environ 70 millions de francs. L’investissement total des cantons de Genève, Vaud, Valais, Jura, Fribourg et Neuchâtel pour le DEP se monte, lui, à près de 27 millions de francs. Des montants justifiés selon Patrice Hof, "le temps que l’ensemble de la population et des professionnels puissent intégrer ce dispositif dans leur pratique quotidienne."
Si l’on ramène ces chiffres au nombre de dossiers ouverts aujourd’hui, chaque dossier romand ouvert a coûté environ 5500 francs d’argent public. En revanche, si chaque habitant en Suisse ouvrait un dossier, l’argent investi par dossier ne serait plus que de 20 francs. D’où l’intérêt d’un dossier électronique du patient adopté par toute la population. Pour sa prochaine réforme, l’OFSP prévoit de financer 15 francs par dossier ouvert ces prochaines années.
Pour Patrice Hof, ces chiffres dépendent du point de vue: "D’après nos calculs, si l’on divise les charges de CARA par le nombre d’habitants, le dossier électronique de CARA coûte moins de cinq francs par habitant et par année. Le total des contributions annuelles que les cantons ont payé à CARA en 2022, s’élevaient à 7,5 millions de francs. Si on rapporte ce montant au financement direct du système de santé par les cantons, cela représente 0,2% des coûts de la santé pris en charge par les cantons."