Villars-Mendraz, un petit village du Gros-de-Vaud, des champs à perte de vue. C’est là que vit Larysa Pluzhnyk avec sa fille de 12 ans. Ces réfugiées de la région de Sumy, en Ukraine, habitent chez un paysan, loin de tout.
Alors quand Larysa a reçu la lettre de l’Etablissement vaudois d'accueil des migrants (EVAM) il y a quelques semaines, cela a été "le choc", raconte-elle dans le 19h30. La lettre, envoyée à tous les réfugiés ukrainiens du canton, indique qu'afin "de respecter le principe d'égalité avec les autres bénéficiaires de l'aide sociale", la voiture "sera considérée comme un élément de fortune devant être vendue".
Masseuse de profession, Larysa vient d'obtenir l'autorisation de pratiquer. Elle a déjà quelques clients et a trouvé un cabinet près de Lausanne, dans lequel elle peut donner des massages. Sans voiture, elle estime qu'elle ne pourra tout simplement plus travailler. "Je l'utilise pour transporter ma table de massage chez les clients. Ici, le dernier bus arrive à 19h00, mais je travaille parfois jusqu'à 20h00", explique-t-elle.
Une valeur aussi sentimentale
La RTS a pu contacter plusieurs réfugiées résidant dans le canton de Vaud, à qui l'abandon de leur voiture poserait de grands problèmes, soit pour le travail, soit pour maintenir des contacts sociaux ou encore conduire les enfants à leurs activités sportives.
Comme plusieurs autres réfugiées, Larysa reste aussi attachée à son véhicule pour des raisons sentimentales. Sans lui, elle n'aurait pas pu fuir sa région, occupée par les forces russes. "Les artères principales étaient coupées, les chemins de fer bombardés. Nous avons réussi à nous échapper et à évacuer plusieurs personnes grâce à cette voiture, à travers les chemins de campagne", raconte-t-elle.
"Une responsabilité envers la société suisse"
Les cantons avaient jusqu’ici toléré les voitures avec lesquelles les réfugiés ont fui l’Ukraine. Mais depuis une nouvelle recommandation publiée par la Conférence suisse des institutions d'action sociale (CSIAS) mi-février, ils serrent la vis. "Les voitures doivent être vendues si leur valeur dépasse la franchise de fortune pour la taille déterminante du ménage", précise la CSIAS. Des franchises qui divergent d'ailleurs d’un canton à l’autre.
Erich Dürst, chef de l'EVAM, comprend l'émotion des réfugiés ukrainiens, mais défend la nouvelle pratique: "C'est une responsabilité envers la société suisse et les contribuables de nous assurer que l'assistance qui est versée l'est à juste titre et qu'une personne qui possède peut-être un véhicule très coûteux ne puisse pas en même temps bénéficier de prestation d'assistance."
"Un nivellement par le bas"
Caritas dénonce de son côté une dégradation injustifiée des conditions d'accueil des réfugiés. "C’est un nivellement par le bas", juge Andreas Lustenberger de Caritas Suisse. D'après lui, il n'est pas possible de parler "d'égalité de traitement", alors que les réfugiés reçoivent un soutien financier inférieur aux bénéficiaires suisses.
"Selon les cantons, c’est jusqu'à 50% de moins d’aide sociale pour les réfugiés. En leur enlevant leur voiture, on crée de nouveaux problèmes. Il sera plus difficile pour eux de rentrer au pays et avant de trouver un travail", juge-t-il.
Si Larysa se dit reconnaissante à la Suisse de la protection qu'elle lui offre, elle demande, comme beaucoup d'autres Ukrainiennes, que les autorités fassent une exception pour sa voiture. Une décision qui pourrait faciliter son intégration ainsi que celle de sa fille, mais aussi lui permettre de rentrer en Ukraine, où est resté son mari.
Jean-Marc Heuberger/ther
Nathalie Barthoulot: "Une inégalité qu'il s'agit de corriger"
Invitée du 19h30 mercredi, Nathalie Barthoulot a estimé qu'il existait jusqu'alors une inégalité de traitement entre bénéficiaires ukrainiens et suisses.
Pour la présidente de la Conférence des directeurs et directrices cantonaux de l'aide sociale (CDAS), cette situation était avant tout due à une incertitude. "La CDAS a décidé de traiter les éléments patrimoniaux, notamment les véhicules, ultérieurement, car on ne savait pas combien de temps le conflit allait durer (...) mais aujourd'hui, on doit bien constater qu'il y a une inégalité de traitement et qu'on doit corriger cela", explique-t-elle.