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Le Parquet genevois saisit le Tribunal fédéral dans l’affaire du médecin d’Exit

Le Parquet genevois saisit le Tribunal fédéral dans l’affaire du médecin d’Exit Pierre Beck. [Keystone - Salvatore Di Nolfi]
Le Parquet genevois saisit le Tribunal fédéral dans l’affaire du médecin d’Exit / La Matinale / 1 min. / le 6 avril 2023
Le Ministère public genevois s’oppose à l’acquittement de Pierre Beck, révèle le Pôle Enquête de la RTS. Ce médecin avait prescrit du pentobarbital à une octogénaire en bonne santé. L’affaire monte pour la deuxième fois au Tribunal fédéral.

C’est une affaire passionnante qui pose une question qui l’est tout autant: un médecin peut-il être condamné pénalement pour avoir prescrit du pentobarbital à une personne ne souffrant d’aucune pathologie, ni physique, ni psychique?

Le médecin retraité en question est Pierre Beck, ancien vice-président d’Exit Suisse romande. En 2017, il y a presque six ans jour pour jour, il prescrit ce psychotrope à une octogénaire en bonne santé mais qui ne souhaite pas survivre à son mari, gravement malade.

L’affaire connaît un écho médiatique retentissant, mais donne aussi lieu à de nombreuses décisions de justice. Pour faire simple, dans un premier temps, Pierre Beck est condamné pour infraction à la loi sur les produits thérapeutiques.

Victoire partielle

Mais il porte l’affaire devant le Tribunal fédéral et obtient partiellement gain de cause. La plus haute autorité judiciaire du pays annule sa condamnation, mais elle ne le blanchit pas pour autant. Elle demande à l’autorité inférieure, c’est-à-dire la Cour cantonale genevoise, d’examiner si Pierre Beck peut être condamné pour infraction à la loi sur les stupéfiants.

La Cour cantonale s’est penchée sur cette question et a estimé, dans son arrêt du 6 février 2023, que cette loi ne s’appliquait pas dans cette affaire. Elle a donc acquitté le médecin.

C’est cette décision que le Ministère public genevois a décidé de porter devant le Tribunal fédéral. Contacté, il a accepté de résumer, dans les grandes lignes, les raisons de ce recours.

"Cadre légal très libéral"

Le Parquet indique qu’en Suisse, "le cadre légal applicable à l’assistance au suicide est très libéral", mais que l’arrêt de la Cour cantonale ne le respecte pas.

Pour comprendre ce qui est entendu par "cadre légal", il faut se replonger dans un rapport du Conseil fédéral de juin 2011 intitulé "Soins palliatifs, prévention du suicide et assistance organisée au suicide".

Dans ce document, le gouvernement dit que le cadre légal est constitué des instruments légaux en vigueur, dont le Code pénal, la loi sur les produits thérapeutiques, la loi sur les stupéfiants et les règles déontologiques de l’Académie suisse des sciences médicales. Pour le Conseil fédéral, c’est "un arsenal satisfaisant et adéquat" pour contrôler les abus, "pour autant que les autorités interviennent de manière ferme et décidée". Il l’écrit noir sur blanc dans son rapport.

Mais aux yeux du Ministère public genevois, ce cadre légal semble voler en éclat. Dans l’affaire Pierre Beck, il constate que le Tribunal fédéral a écarté l’infraction à la loi sur les produits thérapeutiques et la Cour cantonale, l’infraction à la loi sur les stupéfiants.

Le Parquet se demande alors si en matière d’aide au suicide, le seul instrument légal applicable soit l’article 115 du Code pénal, un article sanctionnant l’assistance poussée "par un mobile égoïste".

La crainte du Parquet

"Le renvoi au seul article 115 du Code pénal permettrait à certains médecins de fournir une assistance au suicide, par conviction personnelle et de manière rapide et très régulière, à peu près dans n'importe quelle situation, y compris à des personnes en parfaite santé", s’inquiète le Ministère public genevois dans le courriel qu’il a adressé à la RTS.

Pour le Parquet, il y a donc un intérêt public à ce que le Tribunal fédéral, qui n’a jamais été confronté à cette question, dise clairement si un médecin qui a prescrit du pentobarbital à une personne en bonne santé peut être condamné pénalement ou pas. La réponse devrait tomber ces prochains mois.

Fabiano Citroni - Pôle Enquête

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