Toute personne qui veut donner son sang doit répondre à plusieurs critères. Elle doit peser plus de 50 kilos, ne pas avoir subi certains traitements, ne pas consommer de drogue et avoir le même partenaire sexuel depuis au moins quatre mois.
Ces critères sont en outre plus stricts pour les hommes gays ou bisexuels. Jusqu'en 2017, ils n'avaient tout simplement pas le droit de donner leur sang à cause du scandale du "sang contaminé" qui a éclaté dans les années 1980. Aujourd'hui, un délai d'abstinence d'un an leur est exigé. Ce critère très contraignant rend le don du sang impossible pour une majorité d'entre eux.
Mauvais signal
Pour Eric Amato, membre du comité de l’association Dialogai, cette exigence s'apparente à une discrimination. Comme il l'a expliqué mardi dans La Matinale de la RTS, cela donne le signal à ces hommes qu'ils ne sont pas acceptés comme n’importe quelle autre personne, y compris par des institutions officielles.
"A titre personnel, lors des tout premiers temps de ma vie d'adulte, je n'étais pas concerné par cette interdiction, donc j'ai eu la possibilité de donner mon sang, ce que j'ai fait. En l'occurrence, en plus, j'avais énormément de plaquettes, donc j'ai très vite été sollicité pour en faire don, ce que j'ai fait autant que possible. Puis je me suis retrouvé interdit de don du jour au lendemain de par mon orientation sexuelle et non par les comportements à risque que j'aurais eus", se remémore Eric Amato.
Comme je n'avais pas forcément envie de mentionner mon homosexualité, je disais simplement que je n'avais pas très envie, que j'avais peur des aiguilles
Il explique en outre la difficulté de devoir continuellement faire son coming out lorsqu'il doit décliner les invitations à donner ses plaquettes. Il poursuit: "On intériorise aussi ce côté 'je ne suis quand même pas normal, je ne suis pas suffisamment bien pour pouvoir donner mon sang de par mon orientation sexuelle’".
Une situation à laquelle a aussi été confronté Henri*, un trentenaire qui a souvent voulu donner son sang. Il se remémore en particulier un moment précis: "Quand j'étais à la protection civile, je devais pendant une journée entière mettre sur pied un centre de collecte de sang. Les autres astreints à la protection civile ont quasiment tous donné leur sang. Et moi, je me souviens que je ne pouvais pas le faire. Comme je n'avais pas forcément envie de mentionner mon homosexualité, je disais simplement que je n'avais pas très envie, que j'avais peur des aiguilles."
Approche basée sur les risques
Pour Sophie Waldvogel, médecin responsable du Centre de transfusion sanguine aux Hôpitaux universitaires de Genève, ces règles doivent être assouplies. Elle explique que ce délai d'abstinence d'un an ne se justifie pas scientifiquement.
Elle préconise de remplacer cette règle très critiquée par une approche basée sur les comportements à risque et non pas sur l'orientation sexuelle. "Il faut évoluer maintenant, en tout cas sur le plan médical. Je pense que ce serait plutôt justifié de dire que pendant quatre mois, un donneur de sang doit avoir un seul partenaire sexuel."
Sophie Waldvogel espère que les règles vont changer pour le bien-être des personnes qui se sentent lésées. Néanmoins, elle ne pense pas que cela pourrait régler "les problèmes d'approvisionnement en produits sanguins".
Vers un assouplissement?
Reste que les lignes pourraient bientôt changer. Transfusion CRS Suisse, responsable de l'approvisionnement en sang du pays, a déposé auprès de Swissmedic une demande d'adaptation des critères de don. L'organisation s'attend à une réponse "avant la fin du premier semestre 2023".
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En assouplissant cette règle, la Suisse se rapproche de la Belgique, qui, dès juillet 2023, abaissera le délai d'abstinence pour les hommes gays ou bisexuels de douze à quatre mois.
De son côté, la France va encore plus loin. Elle a été l’un des premiers pays à abandonner le critère de l'orientation sexuelle dans le processus de sélection. Dans le droit français, le don de sang est désormais conditionné aux risques tels que le nombre de partenaires sexuels ou la consommation de drogue.
Pauline Rappaz/asch
*Prénom d'emprunt
Le National accepte de modifier la loi
Le Conseil national a accepté mercredi 5 mai à l'unanimité de modifier la loi sur le don du sang. Les restrictions au don seront seulement liées à des comportements sexuels à risque, indépendamment du sexe et de l'orientation sexuelle. Le Conseil des Etats doit encore se prononcer.
"Le don de sang est un acte citoyen, solidaire, libre, généreux et sans discrimination. Cette absence de discrimination est essentielle et indiscutée. Nul ne peut être discriminé", a indiqué Michel Matter (PVL/GE). "Le don de sang, c'est sauver des vies; c'est pourquoi on se doit de tout faire", a-t-il encore plaidé.