Modifié

La rémunération de la réserve hydroélectrique suscite la controverse

Le lac et le barrage du Lucendro photographiés en juillet 2011. [Keystone - Alessandro Della Bella]
L’instauration d’une réserve d’énergie hydraulique en Suisse s’est faite sur le dos des consommateurs / La Matinale / 4 min. / le 18 avril 2023
La réserve hydraulique dans les lacs de barrage, en vigueur depuis l'année dernière, est au cœur d’un débat politique. En cause, la rémunération des producteurs d'électricité pour cette prestation, jugée excessive.

La mi-avril est généralement la période la plus critique pour produire suffisamment d'électricité en Suisse, avec des lacs de barrage presque vides. Mais cette année fait exception: les bassins sont deux fois plus remplis, grâce notamment à la réserve hydraulique instaurée l'an dernier.

Si cette réserve porte ses fruits, son coût suscite la controverse. L’idée de la réserve est en effet de ne pas turbiner toute l’eau des lacs des barrages durant l'hiver - cela tant qu’on peut se fournir en électricité ailleurs, notamment en France et en Allemagne.

La Confédération a fixé un seuil minimal d'environ 5% de la capacité totale des bassins d’accumulation du pays. Une sorte d'assurance, à utiliser en cas de pénurie critique et imprévue durant plusieurs semaines.

Appel d'offres

Cette réserve fonctionne selon un système d’appel d’offres. Tous les propriétaires de barrages peuvent participer, en proposant une quantité d'eau et un prix pour la conserver. La Commission fédérale de l’électricité (ELCom) choisit ensuite parmi toutes les offres, sur la base du rapport coût-bénéfice.

Cette rémunération vise à combler le manque à gagner pour les producteurs. Car l'eau « réservée » doit être gardée jusqu'au 15 mai. Or, les entreprises électriques ont tout intérêt à turbiner au moment où les prix sont les plus élevés sur le marché, c'est-à-dire en hiver. C’était particulièrement le cas cette année.

>> Lire aussi : Les efforts d'économies d'énergie de la population suisse donnent des résultats mitigés

La facture aux consommateurs

Pour rendre la réserve attrayante, la Confédération a donc mis en place ce système d’appel d’offres. Au total, les propriétaires de barrages ont touché près de 300 millions de francs cet hiver.

La facture est payée par les consommateurs et consommatrices, avec des coûts reportés sur la facture d’électricité dès 2024, à hauteur de 1,2 centime par kilowattheure. Pour un ménage moyen, cela représente 54 francs par an.

Ces barrages ont suffisamment été indemnisés et payés par les consommateurs d’électricité.

Roger Nordmann, conseiller national (PS/VD)

Ce qui suscite de vives critiques au niveau politique. Le Conseil national, qui veut en finir avec la procédure d’appel d’offres, a profité de la révision de la loi sur l’approvisionnement en électricité pour modifier le système. Il veut désormais obliger tous les propriétaires de barrage à accumulation à constituer une réserve, et plus question que les entreprises fixent le prix.

"Ce sont des entreprises essentiellement de service public, qui doivent agir dans l’intérêt général. Ce n’est donc pas si grave si elles ne font pas toujours le maximum de bénéfices, mais qu’elles apportent aussi une contribution à la sécurité d’approvisionnement de la Suisse. Ce qu’elles ont fait la dernière fois, à savoir vendre un demi Tw/h pour quelques centaines de milliers de francs, était complètement abusif. Ces barrages ont suffisamment été indemnisés et payés par les consommateurs d’électricité", dénonce le parlementaire.

Barrages déjà amortis

Roger Nordmann souligne également que les barrages ont en réalité été déjà amortis "plusieurs fois". "Il n’est donc pas nécessaire d’indemniser grassement ces entreprises pour garder suffisamment d’eau jusqu’à la fin de l’hiver", estime-t-il.

Les producteurs, eux, se défendent de profiter du système.

La réserve mise à disposition l’hiver passé reflète le coût réel de bouger de l’énergie de l’hiver vers l’été.

Amédée Murisier, responsable de la production hydraulique chez Alpiq

"La réserve mise à disposition l’hiver passé reflète le coût réel de bouger de l’énergie de l’hiver vers l’été", fait valoir Amédée Murisier, responsable de la production hydraulique chez Alpiq, le numéro 1 de l’électricité en Suisse. "La situation extraordinaire de l’hiver passé a fait que ce coût était extrêmement important. Ce n’est pas une marge que les propriétaires de barrage se sont faite, cela reflète le fait que l’énergie d’hiver, au moment où la réserve a été achetée, était quasiment impayable."

Interprétation du Conseil fédéral

Et selon lui, à part rajouter de la lourdeur administrative, le système voulu par le National ne fera pas baisser le prix. "Cette indemnité dite forfaitaire modérée se base quand même sur la différence de prix des marchés entre les mois d’hiver et les mois d’été. On comprend l’intérêt d’introduire la notion de modéré pour essayer d’économiser le coût de cette réserve pour la population, mais concrètement, c’est le même mécanisme sous-jacent pour calculer ces coûts."

La nouvelle loi stipule en effet que cette indemnité forfaitaire modérée "tienne compte de la différence de prix (...) entre les mois d'hiver et d'été." Tout dépendra donc de l'interprétation faite par le Conseil fédéral.

Autre grief des producteurs, l'obligation de constituer une réserve porterait atteinte à la garantie de propriété et à la liberté économique, des arguments qu'ils comptent bien faire entendre au Conseil des Etats, qui doit encore se prononcer sur le sujet.

Et quelle que soit la décision finale du Parlement, la réserve devrait de toute façon coûter bien moins cher l’an prochain, pour deux raisons. D'un côté, les spécialistes ne s’attendent pas à une aussi grande flambée des prix de l’électricité cette année, et de l'autre, la Confédération devrait revoir à la baisse la taille de la réserve.

Valentin Emery/kkub

Publié Modifié