Irak, Somalie, Afghanistan, Libye, Syrie et Ukraine aujourd'hui. Depuis plus de 20 ans, Mathias Bruggmann investit les terrains de conflit en qualité de photographe. Photographe non pas de guerre, mais s'intéressant à la représentation des conflits, selon ses propres dires. "Je suis juste quelqu'un qui a ce privilège d'aller dans des endroits où peu de gens vont", reconnaît-il avec humilité.
Peu de temps après le début du conflit, il est parti pour l'Ukraine et y est resté six mois. Pour lui, il s'agit d'un basculement historique. "Je pense qu'on fait face à un évènement qui est peut-être de l'ampleur du mur de Berlin", estime le photographe.
S'il dit "ne pas savoir faire grand-chose", il reconnaît se donner la responsabilité de raconter en images le périple des individus en temps de conflit. "J'ai eu le privilège d'être accueilli par des gens un peu partout. Et la seule chose qu'on m'a demandé de faire, c'est de raconter leur histoire."
L'image, témoin de l'histoire
Pour Matthias Bruggmann, une bonne image de conflit est une image dont les gens se souviennent. "Une image qui ralentit le regard, qui va inviter quelqu'un non pas à passer à la page suivante, mais à se demander ce qui se passe dedans", détaille-t-il. Le photographe trouve que les images importantes sont celles qui invitent le grand public à s'intéresser à quelque chose qui, a priori, ne les concerne pas.
Par ailleurs, il considère qu'il n'y a pas assez de photos qui témoignent de ces conflits. "Par exemple, on manque d'images des tranchées, de la vie en leur sein", déplore-t-il. S'il pense qu'il n'y a pas assez de ce genre de photographies, c'est qu'il estime que trop sont de mauvaise qualité ou redondantes.
Néanmoins, peut-on tout exposer? "Il faut montrer au lecteur ce qu'il peut supporter de voir", telle est la limite que prône le photographe. Même si certaines images, malgré leur caractère violent, illustrent une partie de la réalité, Matthias Bruggmann ne préconise pas nécessairement leur publication. Ou alors dans un musée, car un avertissement prépare le public au choc et permet ainsi un autre regard.
L'enfer du décor
"Toute guerre est par définition un enfer", affirme encore Matthias Bruggmann, relatant l'impuissance qui l'habite face à chaque conflit. "Pour autant, mon rôle n'est pas de sauver. Je ne suis ni militaire, ni médecin, ni humanitaire." Le photographe peut juste s'en remettre à l'expression de son empathie envers les personnes ou familles qu'il photographie.
Même si la peur et l'impuissance hantent ses expériences, le photographe retournera encore sur le terrain, car "son rôle est de témoigner". Avec, en toile de fond, la réflexion sur les limites de la photographie documentaire. "L'endroit où les enjeux sont les plus saillants, c’est la guerre."
Finalement, Matthias Bruggmann assure que "tant qu'il y aura des pays comme la Russie pour assassiner des journalistes, pour les mettre en prison, pour les menacer", son travail servira à quelque chose. Car "tout art est politique" et la photographie est un incontournable des conflits.
Sujet radio: Manuela Salvi
Adaptation web: Raphaël Dubois