Pascal Sciarini, politologue: "Le modèle suisse de concordance est aujourd'hui chancelant"
Après un résultat en demi-teinte au premier tour, la droite genevoise partait unie sous la bannière de "L'Alliance genevoise" dimanche pour le second tour de l'élection au Conseil d'Etat. Une stratégie inédite qui n'a fonctionné qu'en partie.
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Pour Pascal Sciarini, politologue et professeur à l’Université de Genève, ce n'est pas surprenant. "Une alliance électorale construite à la va-vite entre deux tours a peu de chances de fonctionner", juge-t-il lundi matin dans La Matinale. Ou du moins, elle a fonctionné "de manière un peu asymétrique".
L'UDC souvent lésée au jeu des alliances
Car si la gauche a bel et bien perdu sa majorité à l'exécutif cantonal, c'est au profit d'un candidat qui ne figurait pas sur le ticket de l'Alliance: c'est le revenant Pierre Maudet qui a ravi le siège de l'écologiste Fabienne Fischer, laissant les candidats MCG (Philippe Morel, 9e) et UDC (Lionel Dugerdil, 10e) sur le carreau. L'alliance a donc principalement profité aux deux candidates PLR et à la centriste Delphine Bachmann.
"C'est un cas de figure que l'on connaît en Suisse", souligne Pascal Sciarini. On peut notamment penser à l'alliance de la droite vaudoise qui avait permis l'élection de "l'inconnue" Valérie Dittli, issue d'un parti non représenté au législatif, au détriment de l'UDC. Et à Genève aussi, le résultat à l'exécutif contraste avec la force des partis au législatif (voir encadré).
Le politologue questionne aussi la durabilité de telles alliances. Dans le canton de Fribourg, où l'union des droites avait parfaitement fonctionné et permis de faire élire l'UDC Philippe Demierre au second tour en 2021, le Centre a d'ores et déjà exclu une alliance avec l'UDC pour les élections fédérales, en raison de "divergences idéologiques fondamentales".
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Un modèle de concordance en péril
Dans son dernier livre sur la politique suisse et ses institutions, consultable gratuitement sur le site EPFL Press, Pascal Sciarini développe l'idée que la fameuse concordance helvétique, soit la capacité des partis de gouverner ensemble, repose encore sur un centre de gravité de droite/centre-droite. Or, ce socle est aujourd'hui chancelant, observe-t-il.
"On a les principaux partis au gouvernement, mais sur les grands sujets de l'heure, ils sont incapables de gouverner ensemble. Je pense en particulier à la distance idéologique entre les socialistes et l'UDC: il n'y a quasiment plus aucun sujet sur lequel vous arrivez à les mettre d'accord."
Donc en pratique, il y a une "concordance à géométrie variable, c'est-à-dire que d'objet en objet, les alliances se font et se défont", poursuit-il. Et dans ce régime-là, "les pivots de la politique suisse sont, encore aujourd'hui, le PLR et Le Centre."
Il y a une concordance à géométrie variable, c'est-à-dire que d'objet en objet, les alliances se font et se défont
"Le problème, s'ils continuent à perdre des voix, c'est qu'il arrivera un jour où ils ne seront plus suffisamment forts pour former ces alliances. On risque alors d'avoir un problème de gouvernabilité - de prise de décision - en Suisse, même si on n'en est pas encore là."
Selon lui, les discours sur la fin des "logiques de blocs" ou qui appellent à "former des majorités sujet par sujet" sont autant de vœux pieux. Car le jeu des alliances nécessite de créer la confiance nécessaire à leur bon fonctionnement. "Si ces alliances se font de cas en cas, il y un manque de prévisibilité de la politique suisse qui pourrait augmenter."
Propos recueillis par Frédéric Mamaïs
Texte web: Pierrik Jordan
Mode de scrutin décisif
À Genève, le Centre a conservé sa place au Conseil d'Etat - Delphine Bachmann succédant à Serge Dal Busco - tout en perdant des sièges au Grand Conseil. À l'inverse, l'UDC a gagné des places au législatif sans parvenir à entrer au gouvernement.
Pour Pascal Sciarini, ce contraste provient essentiellement du mode de scrutin, les élections parlementaires se jouant généralement à la proportionnelle tandis que les places à l'exécutif se disputent au scrutin majoritaire.
Un profil politique très tranché est une arme à double tranchant.
"Dans les scrutins proportionnels, les partis aux profils plus tranchés comme l'UDC ou le MCG réussissent plutôt bien à mobiliser et reçoivent des sièges proportionnels à leurs voix. Par contre, à la majoritaire, c'est un autre combat: ça implique de pouvoir faire des alliances et ratisser large", détaille-t-il.
Et ces mêmes partis sont alors défavorisés. L'UDC, en particulier, peine à conclure des alliances et, lorsqu'elle en fait, elle est moins suivie par les électeurs et les électrices. "Donc ce profil très tranché est une arme à double tranchant!"