L’ampleur du phénomène est difficile à quantifier. On estime toutefois en Suisse à quelque 14'000 les personnes LGBTQIA+ ayant fait l’objet de "thérapies de conversion" de leur orientation sexuelle à un moment de leur vie, selon l'association faîtière des organisations gays du pays Pink Cross.
Au vu des effets ravageurs sur les personnes concernées, de plus en plus de voix s'élèvent pour que ces pratiques, pouvant être assimilées à des actes de torture ou à des traitements cruels inhumains ou dégradants selon l'ONU, deviennent pénalement répréhensibles.
Jusqu’alors, on acceptait de dire à ces personnes qu’elles avaient un problème parce qu’il n’y avait rien dans la loi. Aujourd’hui, ça a été réglé et c’est une très bonne chose.
La semaine dernière, le canton de Neuchâtel a ouvert la voie en devenant le premier à légiférer sur la question. Les députés du Grand Conseil ont en effet approuvé mardi par 99 "oui" et 1 "non" une nouvelle loi condamnant ceux qui proposeront des mesures visant à modifier l’orientation sexuelle. La loi condamnera aussi les personnes incitant des tiers à changer leur l’identité de genre. Cette nouvelle législation fait suite à une motion des groupes VertPOP et socialiste de janvier 2022.
La députée verte neuchâteloise Manon Roux salue ce vote qui fait de son canton un pionnier en Suisse. Interviewée dans La Matinale mercredi, elle a dit espérer que cette décision encouragerait les autres cantons à franchir le pas. "Jusqu’alors, on acceptait de dire à ces personnes qu’elles avaient un problème parce qu’il n’y avait rien dans la loi. Aujourd’hui, ça a été réglé et c’est une très bonne chose", s’est-elle réjouie.
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Ailleurs en Suisse romande
La question agite actuellement d'autres parlements cantonaux. En Suisse romande, les cantons du Jura, Vaud, Genève et Berne ont par exemple récemment accepté des motions visant à interdire ces pratiques.
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La loi vaudoise interdisant les "thérapies de conversion" est par exemple en consultation pour être tout prochainement soumise au Grand Conseil. Il s'agit plus particulièrement d'une modification de la loi sur la santé publique, condamnant explicitement toute pratique visant à modifier ou à réprimer l'orientation sexuelle et affective d'autrui ou son identité de genre. "Les partis politiques et les organisations de la santé ont largement soutenu le projet d'interdiction, en soulignant le caractère délétère de ces pratiques, qui ne répondent à aucune indication médicale reconnue", a souligné fin décembre le gouvernement vaudois dans un communiqué.
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A noter que le Valais a choisi, lui, une voie médiane en votant un postulat demandant au gouvernement cantonal de mener une étude approfondie sur le sujet. A Fribourg, aucune discussion n'a encore eu lieu.
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Le débat a également lieu de l'autre côté de la Sarine, notamment dans les cantons de Lucerne, Saint-Gall, Bâle-Ville ou encore Zurich. Le gouvernement zurichois a toutefois recommandé à son parlement de ne pas interdire la pratique, soulignant qu'il n'était "pas efficace de s’occuper de la chose au niveau cantonal puisqu’il suffit de se déplacer pour échapper à la loi".
Et au niveau fédéral?
Au niveau fédéral, le Conseil national a aussi récemment approuvé une motion en ce sens, mais le Conseil des Etats, lui, doit encore se prononcer.
Pour l’heure, concrètement, ni la loi ni les autorités n’interdisent explicitement les "thérapies de conversion", mais les professionnels ne sont de facto pas autorisés à pratiquer des diagnostics de santé mentale fondés exclusivement sur l’orientation sexuelle. Jusque-là, le Parlement considérait que cela représentait une protection suffisante, surtout que ces "thérapies de conversion" sont reconnues depuis 2006 comme contraires aux droits de l’enfant et sont donc illégales pour les mineurs.
Ceci explique certainement pourquoi le Parlement n'a pas encore jugé utile d'inscrire cette interdiction dans la loi. Et ce, alors même que certaines voix, à l'instar de Zurich, jugent que si ce problème doit être réglé, il doit l'être au niveau national.
A Berne aussi, certains s'étaient interrogés sur la pertinence d'une telle interdiction au moment de voter la motion. "Il faut laisser travailler les Chambres fédérales. Ne chargez pas l'administration cantonale de tâches qui n'apporteront hélas rien d'autre que quelques titres dans la presse", avait par exemple déclaré devant le Grand Conseil bernois Pierre Alain Schnegg (UDC).
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Pour rappel, deux affaires ont particulièrement marqué les esprits ces dernières années en Suisse. Un médecin homéopathe pratiquant dans les cantons de Genève et de Vaud proposait de "guérir de l'homosexualité", tandis qu'un psychiatre dispensait aussi ce genre de "thérapies" à Schwyz. Ces deux affaires sont régulièrement mises en avant par les défenseurs d’une interdiction pour rappeler l’urgence de les punir pénalement.
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Quid du reste du monde?
Ailleurs dans le monde, les "thérapies de conversion" continuent de faire des ravages. Cette pratique a d'ailleurs fait l’objet d’un rapport des Nations unies en 2020, piloté par Victor Madrigal-Borloz, expert indépendant des Nations unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre.
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Comme le souligne le rapport, si ces "thérapies" ont récemment été interdites dans plusieurs pays, à l'instar de la France, de l’Allemagne, de l’Autriche ou encore du Canada, elles seraient encore en vigueur "dans au moins 68 pays, et sur tous les continents".
Humiliation, pornographie forcée, culpabilisation, thérapies d'aversion, injection d'hormones, exorcisme, viols correctifs: au cours de ses visites de travail dans plusieurs pays, Victor Madrigal-Borloz a recueilli pléthore de témoignages de personnes LGBTQIA+ à avoir été confrontées à ces pratiques traumatisantes physiquement et psychologiquement. Au point où les mécanismes onusiens de lutte contre la torture ont jugé ces pratiques comme pouvant être assimilées à des actes de torture.
On estime que, dans l'Union européenne, 2% des personnes LGBTQIA+ ont subi de telles pratiques et 5% se sont vu proposer une conversion, mais les chiffres réels pourraient être bien plus élevés.
En février dernier, la commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovic, a elle aussi dévoilé les conclusions d'un rapport dans lequel elle exhorte les Etats membres à mettre fin à ces "thérapies". Celles-ci "continuent à être pratiquées en Europe", a-t-elle souligné.
"On estime que, dans l'Union européenne, 2% des personnes LGBTQIA+ ont subi de telles pratiques et 5% se sont vu proposer une conversion, mais les chiffres réels pourraient être bien plus élevés", y souligne-t-elle, ajoutant que ces pratiques peuvent provoquer dépression, anxiété, haine de soi et pensées suicidaires. Dans le document, elle appelle notamment à mettre en oeuvre des "interdictions précises et applicables" pour envoyer un "signal fort à la société" et permettre de traduire en justice les auteurs de ces agissements.
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Fabien Grenon avec les agences
Les "thérapies de conversion" en quelques dates
XIXe siècle:
Apparition des premières "thérapies de conversion".
Années 1970:
Explosion de la pratique aux Etats-Unis au moment où des organisations religieuses rigoristes s’en sont emparées, à l'instar de l’Église évangélique nord-américaine.
1990:
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales.
A noter que durant les années 1990, les mouvements religieux à l'origine des "thérapies de conversion" s'étendent à l'international apportant avec eux ces pratiques, notamment en Europe.
1999:
C’est le Brésil qui fut le premier pays à rendre illégale en 1999 la pathologisation des comportements et pratiques homosexuels en ordonnant notamment aux psychologues de ne pas pratiquer de traitements coercitifs sur des personnes homosexuelles non-consentantes. Toutefois, la portée de la législation n’est pas assez large, elle ne vise que les psychologues ou les cliniques, ce qui ne constitue qu’une partie des différentes formes de "thérapies".
2012:
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare que la pratique des "thérapies de conversion" menace la santé et les droits des personnes concernées.
2015:
L’Organisation des Nations unies (ONU) suivra en condamnant en 2015 les "thérapies de conversion" et autres pratiques similaires, les assimilant même à de la torture dans un rapport de mai 2020.
2016:
En 2016, Malte devient le premier pays européen à bannir les pratiques de conversion, en les définissant comme étant un "traitement, une pratique ou un effort soutenu pour changer, réprimer et/ou éliminer l’orientation sexuelle, l’identité de genre et/ou l’expression de genre d’une personne". Cette approche large et complète permet d’englober la plupart des méthodes de conversion pour les interdire.
2018:
Dans le rapport annuel sur les droits fondamentaux de l’Union européenne de 2018, le Parlement européen incite les États membres à interdire ces pratiques et à adopter "des mesures qui respectent et défendent le droit à l’identité de genre et à l’expression de genre".
2019:
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) retire la transidentité, alors connue sous le terme d’"incongruence de genre", de la liste des maladies mentales.
2020:
Après Malte, l'Allemagne devient le deuxième pays européen à bannir les "thérapies de conversion". A noter que la loi ne prend cependant en compte que les victimes mineures.
Cette même année, un rapport des Nations unies en 2020, piloté par Victor Madrigal-Borloz, expert indépendant des Nations unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre, assimile notamment les "thérapies de conversion" à des actes de tortures.
2021:
L'Assemblée nationale française adopte à son tour à l'unanimité un projet de loi visant à interdire les "thérapies" qui visent à imposer l'hétérosexualité aux personnes lesbiennes, gay, bi et trans.
2023:
Neuchâtel devient le premier canton suisse à légiférer en faveur d'une interdiction des "thérapies de conversion".