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Selon une enquête, les étudiantes zurichoises sont moins carriéristes que les étudiants

Selon une enquête, les étudiantes zurichoises sont moins carriéristes que les étudiants [Keystone - Martin Ruetschi]
Le fait que les femmes sont beaucoup moins nombreuses à des postes de direction ne serait pas dû à une discrimination / La Matinale / 1 min. / le 8 mai 2023
L'Université de Zurich compte 60% d'étudiantes, mais seulement 24% de femmes aux postes de professeur. Deux chercheuses ont voulu étudier ce paradoxe à l'aide d'un sondage et le résultat peut surprendre: la raison principale serait le manque d'ambition professionnelle.

Ce phénomène est connu et il a même un nom: "Leaky Pipeline", ou le "tuyau percé". Pour mieux le comprendre, l'économiste Margrit Osterloh et la sociologue Katja Rost ont interrogé près de 10'000 étudiantes et étudiants de l'Université et de l'Ecole polytechnique de Zurich sur leurs ambitions, leur conception de la famille ou encore le choix de leur partenaire.

Et le résultat tranche avec ce que l'on pourrait attendre d'un milieu universitaire, réputé comme progressiste. Car la principale raison de cette tendance ne provient pas de discriminations directes - même si la plupart des étudiantes estiment qu'elles subissent bel et bien de la discrimination en tant que femme (voir encadré) -, mais d'une différence d'ambition entre les étudiantes et leurs homologues masculins, et même d'une conception plutôt traditionnelle des rôles sociaux.

Tendance renforcée selon les cursus

La tendance est encore plus marquée lorsqu'on interroge les étudiantes qui suivent un cursus dit "féminin" (c'est-à-dire dans lequel plus de 70% de femmes sont inscrites), comme les sciences de l'éducation, la sociologie ou les études vétérinaires.

Dans ces voies d'étude, plus de 80% des étudiantes disent vouloir travailler à temps partiel à l'arrivée de leur premier enfant et souhaitent que leur partenaire - idéalement plus âgé - soit la principale source de revenu du ménage.

Cette proportion descend à seulement 60% pour les femmes qui étudient dans un secteur tendanciellement masculin, et leur conception de la famille est plus égalitaire.

Rôles "complémentaires"

Le phénomène est identique pour les hommes: les étudiants inscrits dans un cursus tendanciellement masculin sont même ceux qui ont la conception la plus traditionnelle de la famille.

Ce qui fait dire à Margrit Osterloh, dans les colonnes de la SonntagsZeitung, que ces deux groupes majoritaires - les femmes dans les cursus féminins et les hommes dans les cursus masculins - ont des conceptions de la famille qui vont parfaitement ensemble.

Dans une interview donnée à 20 Minuten, sa coautrice Katja Rost explique en partie cet état de fait par les normes de genre intériorisées dès l'enfance, "à travers la publicité, les jouets, la division du travail entre les parents, l'environnement social, etc..."

Ainsi, il transparaît dans cette étude que plus ces normes sont traditionnelles, plus le choix de la filière d'études correspond aux stéréotypes, les femmes dans les "matières féminines" et les hommes dans les "matières masculines". Même si pour elle, le plus important est que les femmes soient heureuses avec leurs choix de vie et de carrière. "À cet égard, il n'y a aucun problème."

Trouver les bonnes mesures

Ces résultats peuvent questionner les mesures visant à favoriser l'égalité, en particulier celle d'instaurer des quotas. Selon les deux autrices, ceux-ci ne mènent pas à davantage de satisfaction dans la vie, mais principalement à une discrimination des hommes ambitieux.

Pour autant, cela ne signifie pas qu'il ne faille pas agir, souligne Margrit Osterloh. Elle évoque des délais de soumission plus souples pour les doctorantes ayant des enfants, ou encore de nouvelles procédures de nomination des professeurs avec des candidatures qualifiées tirées au sort.

"Nous savons que beaucoup de femmes n'aiment pas faire face à la concurrence des hommes. Mais les femmes et autres minorités postulent davantage avec une procédure de tirage au sort", explique-t-elle à la SonntagsZeitung.

Enfin, il est aussi question d'éducation: "Les jeunes femmes doivent être informées de ce que ça signifie d'être financièrement dépendante d'un partenaire", notamment en cas de séparation, de violences conjugales ou encore de prévoyance vieillesse.

Traitement radio: Delphine Gendre
Texte web: Pierrik Jordan

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L'impact des discours sur les inégalités

Bien qu'aucune des réponses n'indique que les étudiantes se soient déjà senties directement désavantagées dans leur carrière universitaire en raison de leur genre, la plupart ont répondu "oui" lorsqu'on leur demandait si les femmes subissent des discriminations spécifiques.

"Je ne peux l'expliquer que par le fait qu'on dit constamment aux femmes qu'elles sont victimes de discrimination", analyse Margrit Osterloh dans l'article de la SonntagsZeitung. Elles ont intériorisé cette idée, même si elles ne l'ont jamais vécue elles-mêmes.

Interrogée par la RTS, Églantine Jamet, docteure en études genre et codirectrice du cabinet de recrutement Artémia, se dit quant à elle "un peu déçue" mais pas surprise par ces résultats. "Parce qu'on sait la force des stéréotypes et de l'éducation, qui est encore très différenciée", souligne-t-elle.

Elle se dit en revanche plus étonnée par les interprétations qui en concluent qu'il n'y a pas de discrimination.

>> Écouter son interview dans La Matinale :

Eglantine Jamet, co-fondatrice de "Artemia" [Eglantine Jamet]Eglantine Jamet
Le fait que les femmes sont beaucoup moins nombreuses à des postes de direction ne serait pas dû à une discrimination / Interview d'Eglantine Jamet / La Matinale / 1 min. / le 8 mai 2023