Alors que de nombreuses régions ont été touchées par des restrictions d'eau l'été dernier, le marché de l'eau en bouteille est de plus en remis en question. Parmi les produits dont l'empreinte écologique est particulièrement importante, figurent les "eaux de luxe", également appelées "eaux exotiques".
Il y a, par exemple, l'eau de pluie venue des nuages de Tasmanie, l'eau de mer puisée à plus de 300 mètres de la surface ou encore l'eau d'icebergs issue de la fonte des glaciers dans l'Atlantique Nord. Certaines de ces eaux se vendent jusqu'à 80 francs la bouteille. Dans les grandes surface en Suisse, on retrouve principalement l'eau minérale naturelle de Voss, de Norvège, ainsi que l'eau de source des îles Fidji.
"Il n'y a pas de pureté véritable"
Le plus souvent, ces bouteilles sont en verre et ornées d'un graphisme minimaliste. Leur forme joue sur le code du parfum ou du vin. "L'eau repose et mûrit sous terre", peut-on notamment lire sur l'étiquette de l'une d'entre elles, dans les rayons de Globus.
Ces eaux minérales sont également souvent présentées comme étant "plus pures" et "plus saines" que l'eau du robinet. Sur les étiquettes, on peut y lire des slogans tels que "zéro nitrate", "saveur d'exception" ou encore "pureté absolue".
Au sens chimique, une eau pure est une eau déminéralisée, donc impropre à la consommation (...) Il n’y a pas de pureté véritable
Mais qu'est-ce que réellement une "eau pure"? "La définition est volontairement floue, répond Agathe Euzen, spécialiste des usages de l'eau au CNRS, dans le quotidien Libération. "Au sens chimique, une eau pure est une eau déminéralisée, donc impropre à la consommation. Ou alors on parle de la transparence, l'absence de goût, la neutralité. Mais dans tous les cas, il n'y a pas de pureté véritable."
Des coûts de production très faibles
Autre marque de fabrique de ces breuvages: ils sont systématiquement associés à un storytelling qui joue sur les croyances individuelles et collectives. A l'instar de l'eau en bouteille de la marque "Solan de Cabras", vendue dans les magasins Globus et Manor. Sur le descriptif du produit, on peut y lire notamment que "un berger a attribué des pouvoirs de guérison à l'eau minérale de la source dans un endroit ensoleillé sur le pâturage de ses moutons". Pour y goûter, il faut débourser 5,90 francs pour la bouteille de 1 litre, soit environ six fois plus qu'une bouteille d'eau dite "classique".
Pour Bettina Schaefli, professeure en hydrologie à l'Université de Berne, aucune eau ne vaut plus de quelques centimes par litre à la production, "le reste est du marketing". Et d'ajouter: "Chaque eau est différente, c'est comme avec la nourriture: mieux vaut varier mais surtout ne pas tomber dans le piège de la pureté".
Aucune eau ne vaut plus de quelques centimes par litre à la production, le reste est du marketing.
Mais alors pourquoi dépenser autant pour de l'eau que l'on peut avoir gratuitement à la maison? "On ne met pas simplement de l'eau en bouteille, on y met tout ce qu'elle représente. Certaines de ces eaux vont ainsi valoriser une représentation de pureté immaculée, loin des impacts humains, issue d'une origine qui fait rêver", répond Agathe Euzen.
Quelle empreinte carbone pour ces breuvages?
D'un point de vue environnemental, la commercialisation de ces eaux pose également question. En effet, la production et le transport de ces bouteilles ont un impact non négligeable sur le climat, notamment en terme d'émissions de gaz à effet de serre. A titre d'exemple, l'eau minérale "Fiji", vendue chez Globus, parcourt quelque 22'000 kilomètres en cargo et camion avant d'être proposée sur les rayons en Suisse. Ce transport émet 12'000 fois plus de CO2 que la consommation d'eau du robinet.
Le contenant de ces bouteilles, souvent en verre, implique également des coûts de transports élevés. Cela en raison de leur poids, bien plus important que le plastique. En outre, si le verre à l'avantage d'être recyclable "à l'infini" et sans danger pour la santé, sa production nécessite d'énormes quantités d'énergie.
En effet, le bilan carbone est le grand point faible de ce matériau. Sa production requiert des fours dont la température s'élève jusqu'à 1500 degrés. Ainsi, une bouteille en verre de 1 litre génère au cours de son cycle de vie 345 grammes de CO2, contre 129 grammes pour une bouteille en plastique.
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Des bouteilles également vendues en Suisse
Si ce marché a longtemps été un marché de niche, certaines enseignes comme Globus ou Manor proposent désormais un assortiment de ces eaux "haut de gamme". Interrogé sur cette commercialisation face aux enjeux environnementaux, Manor se justifie en expliquant vouloir "adapter constamment son offre à la demande de ses clients et proposer en conséquence différents types d'eau dans des gammes variées, qui sont particulièrement appréciées en période festive".
En septembre 2020, l'enseigne s'était vu décerner la peu enviable "Pierre du diable" par l'Initiative des Alpes pour avoir commercialisé de l'eau issue de la fonte des glaciers du Groenland. Suite à cette dénonciation, le grand distributeur avait décidé de retirer de la vente sa ligne intercontinentale "Eaux du monde". Désormais, l'enseigne dit concentrer son offre sur des eaux venant de Suisse ou de pays proches de l'Europe.
Globus, qui commercialise encore des eaux exotiques comme celle de la marque Fiji, citée plus haut, n'a de son côté pas répondu aux sollicitations de la RTS.
Egalement contactée, Coop dit ne plus proposer l'eau Voss de Norvège dans ses rayons. Une décision prise en 2019 dans le cadre de sa campagne de développement durable. "C'était la seule eau exotique disponible chez Coop. Aujourd'hui, la majorité de nos eaux minérales proviennent de Suisse, en premier lieu de nos propres sources en Valais", souligne la porte-parole de l'enseigne.
Migros indique également avoir retiré la marque Voss de son assortiment il y a trois ans "car la demande n'était plus au rendez-vous". La marque est toutefois encore disponible chez Globus et Manor.
Hélène Krähenbühl