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Insalubrité, chambres suroccupées, nourriture terrible, quand le séjour linguistique tourne mal

Séjours linguistiques, quand le voyage tourne mal. [AdobeStock]
Séjours linguistiques, quand le voyage tourne mal / A bon entendeur / 45 min. / le 16 mai 2023
Apprendre une langue et découvrir le monde en même temps: c'est la promesse des séjours linguistiques avec à la clé, souvent, un hébergement en immersion chez l'habitant. Mais entre insalubrité, chambres suroccupées, voire risques de sécurité, les conditions de logements sont parfois déplorables.

Le séjour de Christelle Gay devait être une expérience inoubliable: cinq mois à Hawaï pour apprendre l'anglais, logée chez l'habitant. Elle ne le fut pas comme espéré. Le séjour linguistique réservé auprès d'EF, leader du secteur en Suisse romande et dans le monde, a viré au désastre.

En cause: un logeur peu scrupuleux, chez lequel elle se retrouve avec trois autres étudiantes. "Pendant une semaine, je n'ai pas vu le propriétaire de la maison, je ne savais même pas chez qui je dormais, c'était un peu étrange", raconte la Valaisanne.

"Quelques semaines après mon arrivée, il a pris des chiots et les excréments n'étaient pas nettoyés. C'est ma collègue de chambre et moi-même qui nettoyions la maison. Et puis des cafards de plus en plus nombreux sont arrivés, ils étaient vraiment très grands."

La cohabitation se terminera de manière brutale: un soir, peu avant minuit, le logeur a expulsé les quatre jeunes femmes qu'il accueillait par un message WhatsApp. Christelle terminera son séjour, cinq mois pour lesquels elle aura déboursé 13'000 francs, à Santa-Barbara.

Trop d'étudiants

De nombreux témoignages d'étudiants dénonçant des séjours problématiques ont été recueillis par l'émission A Bon Entendeur de la RTS. Elles concernent toutes les conditions de logement et pointent en particulier vers EF.

Interrogé, son directeur pour la Suisse romande Fred Pralong répond que "l'immense majorité des étudiants et parents que nous assistons sont très satisfaits de l'organisation et du déroulement du séjour".

Ils avaient tellement d’étudiants qu’ils n’arrivaient pas à les loger. Ils essayaient de mettre des étudiants partout où ils pouvaient

Ruth Delgado Adams, enseignante d'anglais

Le responsable ne nie toutefois pas les problèmes soulevés par les témoignages obtenus par la RTS. "Nous prenons les avis critiques de nos étudiants très au sérieux et mettons tout en œuvre lorsqu'il y a un problème, afin de trouver des solutions appropriées en agissant rapidement". Dans le cas de Christelle Gay, il précise que le logeur en question a été radié des familles d'accueil d'EF.

Enseignante d'anglais basée à Eastbourne, dans le sud de l'Angleterre, Ruth Delgado Adams a notamment travaillé pour EF. Elle décrit les difficultés liées au placement de ses élèves. "Ils avaient tellement d'étudiants qu'ils n'arrivaient pas à les loger. Ils essayaient de mettre des étudiants partout où ils pouvaient. Cela aurait été mieux s'ils en avaient eu moins, mais ils semblaient ne jamais vouloir en refuser un seul."

Une communication rondement menée

Les réseaux sociaux regorgent pourtant de publications positives à l'égard d'EF. Certaines ne sont toutefois pas complètement désintéressées. L'entreprise soigne en effet sa communication digitale, via un programme d'ambassadeurs.

Dans ce cadre, des étudiants sont incités à publier des contenus positifs en échange de récompenses. "On peut gagner plein de petits cadeaux, des téléphones, des tablettes, jusqu'à des séjours gratuits", explique Cassandra, ancienne ambassadrice d'EF, qui a effectué un voyage linguistique à Berlin.

"La dernière mission qu'on m'a proposée avant que je ne me retire du programme, c'était de mettre 4 ou 5 étoiles à EF sur Google, avec un commentaire positif." Choquée par la pratique, la jeune femme décide alors de sortir de ce système. "Chacun est libre d'y participer et de partager son expérience comme il le souhaite via les réseaux sociaux ou internet notamment", répond EF à ce propos.

Une vingtaine de procédures par an

En cas de litige, les clients peuvent se tourner vers l'ombudsman des voyages. L'an dernier, celui-ci a conduit 25 procédures de médiation relatives à des séjours linguistiques, concernant EF ainsi que Boa Lingua et Linguista, qui organisent également des séjours linguistiques.

La majorité des familles qui prennent des étudiants ne le font pas pour le plaisir (...) c'est surtout pour avoir un supplément de revenu mensuel

Franco Muff, ombudsman des voyages

"La majorité des familles qui prennent des étudiants ne le font pas pour le plaisir ou pour rencontrer des gens de l'étranger, c'est surtout pour avoir un supplément de revenu mensuel", observe Franco Muff.

"Ils ne reçoivent pas beaucoup d'argent et essaient toujours de limiter les frais. Cela a beaucoup d'influence sur le service: souvent la chambre n'est pas belle, les repas sont terribles…"

Ne pas se précipiter

Selon le médiateur, ce type de séjour n'est pas indiqué pour les jeunes de moins de quinze ans. Il conseille par ailleurs de se renseigner au mieux sur l'école et sur les conditions de logement, et d'analyser de manière critique les commentaires postés sur les réseaux sociaux.

Enfin, pour Franco Muff, il est essentiel de ne pas signer de contrat dans la précipitation, même si l'organisateur de séjour est insistant.

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Vous planifiez un séjour linguistique pour votre ado ? Suivez le guide
Vous planifiez un séjour linguistique pour votre ado ? Suivez le guide / A bon entendeur / 2 min. / le 16 mai 2023

Valérie Demierre, Clément Bürge, Linda Bourget

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Des contrôles proches de zéro pour les familles d'accueil

Comment les familles qui hébergent des étudiants romands sont-elles sélectionnées? Pour le savoir, le correspondant à Londres de la RTS s'est porté candidat à l'accueil d'étudiants auprès d'EF et des partenaires sur place de Linguista et Boa Lingua, trois structures actives en Suisse romande.

Parmi les écoles de Londres dans lesquelles Linguista envoie des étudiants se trouve notamment EC London. Celle-ci fait appel à un intermédiaire pour recruter des familles d'accueil. Mais leur processus est pour le moins lacunaire: il a suffi de quelques échanges téléphoniques pour que la candidature soit validée.

Notre correspondant a reçu un contrat d'hébergement pour une étudiante mineure alors qu'il n'avait fait l'objet d'aucun contrôle d'aucune sorte, pas même d'une visite de l'appartement proposé.

Un cas "grave"

Interrogé sur le plateau de l'émission A Bon Entendeur, le directeur de Linguista a qualifié de "grave" le cas en question. "Cela me choque, en général cela n'est pas du tout possible", a réagi Claudio Cesarano.

L'homme a par ailleurs annoncé son intention de prendre des mesures: "On doit contacter toutes les écoles partenaires avec lesquelles on travaille. Je vais aussi contacter personnellement les représentants de ‘English UK' et de ‘British Council', parce que ce sont eux qui accréditent [les écoles]."

Après cette interview, l'entreprise partenaire de Linguista a recontacté notre correspondant pour expliquer que la personne chargée des vérifications prévoyait d'examiner sa candidature avant l'arrivée de l'étudiante mineure. Cette dernière a toutefois déjà écrit à notre correspondant pour lui dire à quel point elle se réjouissait de séjourner chez lui.

Une partie des étudiants romands qui passent par Boa Lingua suivent pour leur part des cours dans l'école Stafford House London, qui sous-traite également la recherche de familles d'accueil à un intermédiaire. Là non plus, pas de visite physique de l'hébergement proposé dans le cadre de ce test. Une photo d'une chambre prise sur AirBnB et une visite virtuelle de l'appartement par téléconférence ont suffi à valider la candidature de notre correspondant, qui a toutefois dû fournir un extrait de son casier judiciaire.

Environ 70 centimes par repas

Toujours dans le cas du correspondant de la RTS à Londres qui proposait une place d'accueil, EF a dépêché une inspectrice sur place pour évaluer le logement et a demandé un extrait de casier judiciaire au candidat-hôte. La surprise vient ici du montant alloué aux familles d'accueil, en particulier pour l'alimentation. La somme totale est de 90 francs par semaine et par étudiant, nourriture comprise.

L'inspectrice, qui accueille elle-même des étudiants chez elle, estime le montant nécessaire pour l'alimentation à 11 francs par étudiant et par semaine, soit environ 70 centimes par repas.

"Les jeunes veulent juste à manger, rien de luxueux. Je leur donne des frites, des bâtonnets de poisson, des haricots, une pizza ou du pain à l'aïl."

Interrogée sur les montants modestes versés aux familles, le directeur d'EF pour la Suisse romande Fred Pralong précise que les familles "accueillent des étudiantes et des étudiants du monde entier dans le contexte d'un échange interculturel et connaissent la rémunération proposée".