À Genève, ils sont plusieurs dizaines d'indépendants à travailler sur ce marché. Leur rôle: acheter des montres neuves en Suisse pour les revendre, avec une confortable plus-value, en Asie ou en Amérique du Sud. L'homme d'affaires rencontré par la RTS, Monsieur O (nom d'emprunt), est un ancien cadre d'une maison horlogère, qui travaille désormais à son compte.
Il vend principalement des modèles iconiques comme la Nautilus de Patek Philippe ou la Daytona de Rolex. Ces montres sont presque introuvables en magasin. Normalement, il faut attendre plusieurs années sur des listes d'attente pour espérer pouvoir les acheter dans une boutique officielle. Monsieur O, lui, peut les obtenir en quelques jours, moyennant une forte commission.
Des modèles vendus dix fois plus cher qu'en magasin
Parmi les clients de Monsieur O, on trouve notamment des riches héritiers, des artistes, et surtout des chefs d'entreprise. En Asie et en Amérique du Sud, les cadeaux sont monnaie courante pour conclure des affaires. "Je dois leur fournir des montres pour gagner des marchés, obtenir des documents ou signer un contrat", détaille l'intermédiaire.
En d'autres termes, ces montres cadeaux sont utilisées comme outil de corruption: "Ce sont des petits objets, légers et faciles à glisser dans la poche", poursuit-il. Ces cadeaux valent généralement entre 10'000 et 100'000 francs suisses. Pour ce type de transaction, les montres qui ont le plus de succès sont les classiques Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet et les Richard Mille. "Ces montres sont reconnaissables de loin. Le but n'est pas de donner l'heure, mais de montrer qu'on a de l'argent", ajoute Monsieur O.
Le modèle d'affaire de cet intermédiaire est basé sur la rareté des produits: "Mes clients ne veulent pas attendre des années pour avoir ces montres. Ils sont prêts à payer jusqu'à 10 fois le prix magasin pour obtenir un modèle immédiatement", explique-t-il.
Une corruption décriée dans plusieurs pays
Le lien entre corruption et montres de luxe n'est pas qu'anecdotique. En Chine, l'intensité de la lutte contre la corruption a un impact sur les ventes des garde-temps suisses. En 2017, le cabinet d'audit Deloitte, cité par le journal le Temps, expliquait: "L'un des principaux facteurs qui a stimulé la consommation de produits de luxe, dont des montres haut de gamme, est la baisse du nombre de poursuites en justice liées à des affaires de corruption en Chine". Le cabinet affirmait qu'après plusieurs années de campagnes anti-corruption, et donc de faible vente de montres de luxe, la situation en Chine s'était apaisée. Les perspectives pour l'horlogerie étaient à nouveau au beau fixe.
Dans d'autres pays d'Asie, plusieurs politiciens se sont retrouvés au coeur de scandales à cause de leurs montres de luxe. Des blogueurs et des organisations anti-corruption ont repéré à leur poignet ces produits hors de prix. C'est le cas de l'ancien général et politicien thaïlandais Prawit Wongsuwan, épinglé par la presse à cause de sa collection de montres de plusieurs centaines de milliers de dollars.
En Indonésie, l'ex-général et homme politique Moeldoko a préféré dire qu'il portait de fausses montres de luxe, plutôt que de passer pour un corrompu. Pour se défendre, il a affirmé devant la presse en 2014 que sa Richard Mille était une contrefaçon chinoise à 300 francs suisses, n'hésitant pas à l'ôter de son poignet, à la lancer au sol devant des journalistes. Ce modèle vaut plus de 80'000 francs suisses dans les boutiques officielles de Richard Mille.
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François Ruchti/leab