La Suisse face aux féminicides

Grand Format

Gustave Deghilage

Introduction

En moins de dix jours, deux femmes ont été tuées par leur compagnon dans le canton de Vaud et une autre femme a échappé de justesse à la mort dans l'agglomération genevoise. En Suisse, la violence masculine fait une victime toutes les 2 à 3 semaines. Un chiffre qui stagne depuis des années, malgré les mesures.

Chapitre 1
Le féminicide, un type de meurtre qui ne recule pas

KEYSTONE - Salvatore Di Nolfi

Le nombre de féminicides est resté stable en Suisse au cours de ces 25 dernières années. Ils représentent une part importante des homicides recensés en Suisse (42 cas en 2022, selon la statistique policière de la criminalité).

Note: ces chiffres prennent aussi en compte les cas au sein d'une relation parents-enfants

En Suisse, la majorité des féminicides de 2022 ont été commis par le partenaire actuel ou ancien de la victime, selon les statistiques fédérales. Plus de 70% d'entre eux se sont déroulés au domicile de la victime.

"Ce n'est pas écrit sur les murs de l'appartement qu'il y a de la violence. On est dans une violence du quotidien. Quand on ferme la porte, on ne veut pas la voir, ne pas l'entendre. On la cache", expliquait Céline Fromaget, inspectrice à la police de sûreté du canton de Fribourg,à la RTS en 2021.

Parmi les victimes, on trouve aussi des personnes relativement âgées. Sur les 18 victimes de féminicides en 2022, 4 femmes étaient âgées de 60 ans ou plus.

>> Lire aussi : "La violence conjugale existe aussi chez les seniors"

Des victimes à ne pas oublier

Pour éviter que les victimes tombent dans l'oubli, l'association "Stop Feminizid" recense l'âge des victimes et la date de leur assassinat. En 2022, l'organisation a publié ces informations pour 15 des 18 victimes:

  • 11 février, Zurich, 54 ans

  • 27 février, Ziefen (BL), 60 ans, tuée par un proche

  • 12 mars, Rapperswil-Jona (SG), 32 ans, tuée par son mari

  • 6 avril, Walliesellen (ZH). 28 ans, tuée par son compagnon

  • 11 avril, Avegno (TI), 61 ans, tuée par son fils

  • 24 avril, Büren (BE), 38 ans, tuée par son mari

  • 22 mai, Sierre (VS), 41 ans, tuée par son fils

  • 9 juillet, Hochwald (SO), 86 ans, tuée par son mari

  • 25 juillet, Renens (VD), 31 ans, tuée par son compagnon

  • 8 septembre, Elsau (ZH), 54 ans, tuée par son compagnon

  • 14 septembre, Rorschacherberg (SG), 56 ans, tuée par son mari

  • 25 septembre, Bergdietikon (AG), 41 ans, tuée par son mari

  • 15 octobre, Vevey (VD), 60 ans, tuée par son compagnon

  • 23 novembre, Altstetten (ZH), 40 ans, tuée par son compagnon

  • 16 décembre, Kehrsatz (BE), 29 ans, tuée par son mari

"Un fait de société, pas un acte isolé"

Selon Stop Feminizid, 7 femmes et 3 filles se sont fait tuer par leur conjoint actuel ou ancien ou leur père en 2023. Deux d'entre elles ont trouvé la mort en moins de dix jours d'intervalle dans le canton de Vaud.

Une situation qui a fait réagir Valérie Induni, députée au Grand Conseil: "Un féminicide constitue un fait de société, pas un acte isolé". L'élue socialiste implore le canton de renforcer les mesures d'éloignement des conjoints violents, d'améliorer la saisie d'armes, d'accentuer les campagnes de prévention ou encore de prévoir davantage d'hébergements pour les victimes de violences domestiques.

>> Lire aussi : "Le canton de Vaud doit prendre davantage de mesures pour lutter contre les violences domestiques". et Le canton de Vaud doit prendre davantage de mesures pour lutter contre les violences domestiques

Chapitre 2
Le soulèvement des féministes

Keystone - Laurent Gillieron

Les féministes sont en première ligne pour dénoncer les violences masculines. Quelques jours après le double féminicide dans le canton de Vaud et au lendemain de la tentative au Petit-Lancy (GE), la Grève féministe Vaud a organisé un rassemblement dans l'urgence sur la place du 14 juin à Lausanne.

"Les femmes restent les grandes oubliées des politiques publiques. Au moment où il existe des conférences intercantonales de la chasse, il est absolument scandaleux et abjecte que rien n'existe en termes de violences sexistes et sexuelles", s'écrie Tamara Knežević, militante féministe. Le collectif vaudois exige une meilleure politique de lutte contre les violences domestiques, une meilleure éducation sur les violences et un traitement médiatique correct.

En tant que féministes intersectionnelles, n'oublions pas celles que le canton fait taire. Parce qu'elles sont arrivées en Suisse par un regroupement familial, craignent de dénoncer leur mari violent.

Tamara knežević, militante de la Grève féministe vaudoise

Par la voix de Tamara Knežević, le collectif vaudois de la Grève féministe revient également sur l'importance de protéger toutes les femmes, faisant référence à l'article 59 de la Convention d'Istanbul, qui, en cas de besoin, accorde un permis de résidence aux personnes dont le statut de résident repose sur celui de leur conjoint. "En tant que féministes intersectionnelles, n'oublions pas celles que le canton fait taire. Parce qu'elles sont arrivées en Suisse par un regroupement familial, elles craignent de dénoncer leur mari violent".

Pour les organisations féministes, les efforts fournis par les institutions ne suffisent pas. Selon elles, la mise en place d'une ligne d'urgence téléphonique est nécessaire. Dans le canton de Vaud, elle devrait voir le jour en 2025. "D'ici là, combien de personnes vont mourir sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint ? On ne peut plus attendre. Depuis la mobilisation féministe de 2019, il aura fallu 6 ans pour l'obtention d'une simple ligne téléphonique", déplore Tamara Knežević.

>> Voir le reportage dans le 12h45 :

Deux nouveaux féminicides dénoncés à Lausanne
L'actu en vidéo - Publié le 1 juin 2023

Une nécessité

"La politique seule n'avance pas. Mais le terrain n'est pas suffisant non plus. Il est intéressant de lier les deux. Le collectif permet d'avoir une réflexion sur ce qui peut être changé", déclare au micro de Vacarme la députée et membre du collectif féministe Valais Margaux Dubuis.

>> Ecouter le 2e épisode de la série Vacarme consacrée aux féminicides: "Militer pour que ça cesse" :

Manifestations contre les violences sexistes et sexuelles à Lausanne le samedi 23 novembre 2019. [Keystone - Laurent Gillieron]Keystone - Laurent Gillieron
Vacarme - Publié le 11 mai 2021

Chapitre 3
Réponses politiques

Keystone - Manuel Lopez

"Le féminicide n'est pas seulement un crime genré, il est aussi un crime d'Etat", scande la journaliste français Laurène Daycard, auteure de "Nos absentes, pourquoi les féminicides". Elle soutient son propos par le rapport de l'Inspection générale de la justice française paru en 2019, qui révèle que plus de 80% des plaintes et des mains courantes déposées par les victimes d'homicides conjugaux n'avaient pas été suivies d'effets.

En Suisse, la police peut prendre diverses mesures selon les cantons. Il s'agit en général d'une mesure d'éloignement, qui ne suffit pas toujours. En 2019, une Jurassienne a été tuée par son mari qu'elle souhaitait quitter alors que ce dernier n'avait pas le droit de l'approcher. Elle avait porté plainte, mais son époux n'avait pas été incarcéré. La soeur de la victime avait également alerté plus d'une fois le Ministère public.

Sur le plateau de Mise au Point, elle témoigne: "Elle était consciente du danger. Un jour, elle me l'a dit: "Je ne pourrai jamais partir, il va finir par me tuer." S'il y a une thématique sur laquelle la Confédération devrait se bouger, c'est celle-ci", déclare-t-elle en évoquant la nécessité de prendre des mesures pour prévenir les féminicides.

>>> Visionner le témoignage des proches de Mélanie, tuée par son mari en 2019, sur le plateau de Mise au Point:

Féminicides: témoignages du fils et de la sœur de Mélanie, tuée par son mari
Mise au point - Publié le 14 mars 2021

Une lente progression

Les premiers centres suisses d'aide aux victimes ont été mis en place entre 1975 et 1980 par des associations, qui souvent manquaient de moyens. À cette époque, le phénomène n’est pas encore reconnu par le monde politique.

Il faut attendre la fin des années 90 pour voir l'arrivée d'un premier plan d'action national pour lutter contre les violences masculines, principalement axé sur l'aide aux victimes. La loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI) entre en vigueur en 1993. Elle prévoit de soutenir et d’aider "toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle". On trouve aujourd'hui des Centres de consultation LAVI dans tous les cantons suisses. Ils fournissent de l’aide aux victimes sous forme de conseils, de protection et de défense dans la procédure pénale.

En 2003, le Bureau fédéral de l'égalité reçoit le mandat de renforcer et compléter les mesures de lutte contre la violence et plus particulièrement la violence masculines.

Un an plus tard, plusieurs délits de violence sont poursuivis d'office et certains cantons ont mis en place des lois permettant d’expulser l'auteur de violence du domicile. En 2017, la Suisse a ratifié la Convention d'Istanbul, entrée en vigueur en 2018, sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.

Les élues et le combat contre les violences masculines

Le premier postulat portant sur les féminicides a été déposé au Conseil national le 14 juin 2019, jour de la grève féministe nationale, par la verte Maya Graf (BL), qui demande un rapport sur le profil des auteurs, les circonstances et les causes de ces meurtres. Quelques mois plus tard, sa collègue Arslan Sibel (BS) interroge l'efficacité des instruments de lutte contre les violences masculine.

En 2020, Greta Gysin (TI) dépose une motion pour supprimer la notion de "meurtre passionnel" du code pénal. Sa proposition est finalement refusée par le Conseil des Etats en décembre 2022.

En novembre 2021, plus de 340 spécialistes se sont réunis à Berne pour échanger sur les violences machistes.

>> Lire aussi : Karin Keller-Sutter: "Chaque féminicide me touche et je cherche toujours à comprendre ce qui s'est passé"

Vers un bracelet électronique

La Suisse teste depuis le printemps 2023 un bracelet électronique sur les auteurs de violences conjugales. Sur le même modèle que le bracelet en vigueur en Espagne, il permet de localiser la personne violente, d'avertir la victime en cas de rapprochement et d'appeler les forces de l'ordre. En cas de non-respect des mesures d'éloignement, l'auteur de violence est arrêté.

>> Lire aussi : Un projet de surveillance GPS contre la violence domestique en Suisse

Le bracelet électronique peut également se mettre en alerte si l'auteur de violence s'approche du lieu de travail de sa victime ou de l'école des enfants.

Depuis son introduction en Espagne en 2009, plus de 3400 bracelets ont été distribués et aucune femme profitant de cette protection n'a été tuée.

>> Ecouter le podcast du Point J:" Comment lutter vraiment contre les féminicides?" :

Jura: manifestation lundi soir de 80 personnes à Porrentruy contre les féminicides
Le Point J - Publié le 2 novembre 2021

Et maintenant ?

La gestion des cas de violences domestiques revient pour le moment aux polices cantonales. Toutes délivrent des formations obligatoires à leurs agents et agentes. Toutefois, aucun canton ne dispose d'un budget spécifique alloué à la lutte contre les violences masculines. Un élément que les organisations de défense des droits des femmes souhaitent changer. En vue de la Grève féministe du 14 juin 2023, elles revendiquent un budget national pérenne consacré à la lutte contre les violences masculines.

Les associations féministes exigent également une formation pour tous les professionnels impliqués dans les affaires pénales, un observatoire des violences, d'avantage de place dans les refuges, ainsi qu'une éducation et de la prévention.

>> Lire aussi : "Les refuges pour victimes de violence familiale sont surchargés en Suisse".

Chapitre 4
La violence masculine, phénomène social

AFP - PHILIPPE LABROSSE / HANS LUCAS /

"La relation hétérosexuelle est l'un des principaux facteurs de risque d'homicide pour une femme", relève la journaliste française Laurène Daycard.

Selon les Nations Unies, un féminicide se produit en moyenne toutes les 11 minutes quelque part dans le monde. Pourtant, le phénomène n'est pas une thématique majoritairement portée par les instances politiques et médiatiques. Il n'existe par exemple pas dans les grands titres de rubrique dédiée au phénomène, comme il en existe pour l'environnement ou les technologies.

Imaginez que les victimes soient des patrons d'entreprises, que tous les deux jours, l'un deux soit assassiné par un employé. Est-ce que cela ferait plus de bruit qu'une femme assassinée par son mari ?

Vriginie Despentes

Dans son roman "Cher Connard", l'écrivaine et féministe française Virginie Despentes tente de rendre compte de la banalisation de la violence masculine envers les femmes: "Imaginez que les victimes soient des patrons d'entreprises, que tous les deux jours, l'un deux soit assassiné par un employé. Est-ce que cela ferait plus de bruit qu'une femme assassinée par son mari ?"

La haine des femmes a toujours existé

Le terme "féminicide" définit un "meurtre misogyne de femmes par des hommes". Il est utilisé publiquement pour la première fois en 1976, par la féministe américaine Diana Elizabeth Hamilton Russell à la tribune du tribunal international des crimes contre les femmes à Bruxelles.

Ce tribunal citoyen ouvert sous l'égide de Simone de Beauvoir a réuni pendant 5 jours 2000 femmes. Le but n'était pas de prononcer des peines, mais de montrer que la violence envers les femmes est systémique et tenter de trouver de moyens de lutter contre cette agressivité.

Mais pour l'écrivaine Christelle Taraud, coordinatrice du livre "Féminicides, une histoire mondiale", les meurtres de femmes en raison de leur genre ont toujours existé.  "Les sociétés néolithiques étaient déjà globalement construites sur un mode patriarcal. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs étaient constituées de petits groupes humains à la recherche constante de nourriture. Lors de crises, il fallait réguler le groupe pour survivre. On constate alors des infanticides sur les filles, car les garçons étaient jugés plus utiles à la survie", explique-t-elle au micro du Point J.

Selon elle, l'idée que les femmes ne s'appartiennent pas est très ancrée dans nos sociétés: "Elles appartiennent toujours au clan, à la famille, à la nation, voire à la race. Elles sont des extensions des hommes", souligne-t-elle, en rappelant que les féminicides sont essentiellement un crime de propriété.

Cette idée de possession est également présente dans la culture. Dans Les Mille et Une Nuits, le féminicide est au centre du récit, de même dans la série américaine Game of Thrones.

Différents types de féminicides selon l'OMS

L'Organisation mondiale de la santé distingue 4 types de féminicides : l'intime, le familial, le communautaire et le sociétal.

L'intime, celui qui est commis par le partenaire actuel ou ancien de la victime, est le plus répandu en Europe. Mais, selon Christelle Taraud, si les hommes tuent des femmes partout dans le monde, le lien avec la victime varie selon les pays: "Dans de nombreuses sociétés, les femmes ne sont pas tuées par leur mari ou ex-compagnon, mais par leur père, leur frère ou leur cousin". C'est notamment le cas du "crime d'honneur", répandu au Moyen-Orient et en Asie, lorsqu'une femme a un enfant hors mariage ou qu'elle commet un adultère.

Les femmes ne sont pas simplement tuées. Souvent, le meurtre s'accompagne de viols, de mutilations ou même de démembrement

Christelle Taraud

Ce type de meurtre particulièrement violent illustre bien, selon l'OMS, la discrimination profondément ancrée et admise à l’encontre des femmes et des filles. Une violence qui se retrouve aussi en Europe. "Les femmes ne sont pas simplement tuées. Souvent, le meurtre s'accompagne de viols, de mutilations ou même de démembrement", déplore Christelle Taraud.

>> Ecouter le podcast du Point J: "Pourquoi des hommes tuent des femmes ?" :

LPJ [AFP - Nicolas Tucat]AFP - Nicolas Tucat
Le Point J - Publié le 13 septembre 2022

Chapitre 5
Des hommes comme tout le monde

AFP - Lionel BONAVENTURE

En 2022, 93% des auteurs de meurtres conjugaux étaient des hommes. Parmi eux, on retrouve une part égale de Suisses et d'étrangers.

"Les violences conjugales touchent toute la société, toutes les nationalités. On trouve autant le bon gruyérien du Val d'Albeuve, qu'un étranger qui vit en Suisse", affirme Charlie Baeriswyl, qui a travaillé 37 ans à la police cantonale fribourgeoise. Selon lui, toutes les catégories sociales sont concernées.

"C'est Monsieur tout le monde. On n'arrive pas à voir ces auteurs comme de grands criminels. On banalise beaucoup", déclarait Céline Fromaget, inspectrice à la police de sûreté du canton de Fribourg, dans l'émission Vacarme en 2021.

>> Ecouter le 3e épisode de la série de Vacarme consacrée aux féminicides :

Un collage militant qui dénonce les féminicides ainsi que les violences sexistes et sexuelles exercées à l'encontre des femmes. [AFP - Noémie Coissac / Hans Lucas]AFP - Noémie Coissac / Hans Lucas
Vacarme - Publié le 12 mai 2021

"L'homme violent ne correspond pas aux clichés qu'on en a"

L'écrivain et journaliste français Mathieu Palain a tenté de comprendre qui sont ces hommes et s'est rendu pendant quatre ans dans des groupes de parole destinés aux auteurs de violences, ainsi qu'à des auditions judiciaires. Il a publié en janvier son ouvrage "Nos pères, nos frères, nos amis: dans la tête des hommes violents".

Interviewé dans le 19h30 de la RTS, il confie: "On a beaucoup de points en commun. C'est surtout ça qui me choque et qui m'étonne le plus (...) Ce sont des gens qui sont extrêmement bien insérés dans notre société. Toute la complexité est d'accepter que l'homme violent ne correspond pas aux clichés qu'on en a, et que c'est quelqu'un qui peut être extrêmement intelligent, drôle... et violent".

>> Voir l'interview de Mathieu Palain dans le 19h30 :

Le journaliste Mathieu Palain a publié un livre sur les violences conjugales.
19h30 - Publié le 12 février 2023

Chapitre 6
Traitement médiatique

Gustave Deghilage

Longtemps, les féminicides ont été relégués à la rubrique des faits divers, qualifiés de "drame" ou de "crime passionnel", et vu comme des événements privés et individuels. Aujourd'hui encore, de nombreux articles comprennent des stéréotypes au sujet de la violence. Or, les sociologues et les criminologues qui étudient ces meurtres assurent qu'il s'agit bien d'un fait de société.

En Suisse, l'association décadrée sensibilise les journalistes dans le traitement médiatique des violences sexistes via un livret des bonnes pratiques.

"La violence a un genre"

Dans la série de Vacarme consacrée aux féminicides, Valérie Vuille, présidente de l'association Décadrée, explique l'importance de nommer un féminicide comme tel: "On parle ici de violences faites par les hommes sur les femmes. Il peut également y avoir des femmes violentes envers les hommes, mais ce n'est pas le même type de violence. La plupart des hommes subissent de la violence dans la rue, de la part d'autres hommes: la violence a un genre."

Pour cette spécialiste des violences sexistes, les images, elles aussi, ont un rôle. Souvent, les journalistes ont tendance à utiliser des illustrations de coups ou des traces de violences. Mais pour l'association, ces images sont réductrices: "Elles ne montrent pas l'emprise, les insultes et les mécanismes de violences psychologiques que subissent les victimes.", déplore Valérie Vuille. Des objets personnels, comme un carnet intime, peuvent parfois montrer les différents degrés de violence.

>> Ecouter le dernier épisode de la série de Vacarme consacrée aux féminicides: "Féminicide, appelons un meurtre un meurtre". :

"Roxane — Nom Inconnu", un projet réalisé par Zoé Aubry qui aborde le féminicide. [Zoé Aubry]Zoé Aubry
Vacarme - Publié le 14 mai 2021

Rendre aux victimes leur humanité

Les images, c'est l'un des supports qu'a choisi l'artiste suisse Zoé Aubry pour rendre hommage aux victimes de féminicide.

Son travail "Noms Inconnus", laisse de côté les images de scène de crimes véhiculées dans les médias pour laisser place au visage des femmes tuées. Elle tente ainsi de redonner un nom, une histoire et une identité aux victimes.

"C'est important de nommer ces personnes. Ce ne sont pas que des victimes. Elles ont eu une vie, une existence, une histoire, des enfants, des relations, un métier, des amis. Il est nécessaire de les sortir de l'inconnu", déclare-t-elle au micro de la RTS. L'artiste travaille avec des négatifs de photos, afin de mettre les victimes sur un pied d'égalité et d'éviter de donner plus ou moins d'importance à une femme selon son statut social et sa popularité.

Zoé Aubry dit avoir eu un déclic un voyant les féminicides "relégués à la rubrique des chiens écrasés". Selon elle, un mauvais traitement médiatique contribue à accroître le nombre de meurtres.

>> L'interview de Zoé Aubry: "Les féminicides ne sont pas des faits divers!" :

Zoé Aubry, "Noms Inconnus", 2019. [Musée des beaux-arts Le Locle - Samuel Zeller. DR]Musée des beaux-arts Le Locle - Samuel Zeller. DR
Nectar - Publié le 25 novembre 2019

Chapitre 7
Besoin d'aide ?

Gustave Deghilage