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Une commission d’enquête parlementaire, ça change quoi pour vous?

Le Parlement a approuvé jeudi la création d'une commission d’enquête parlementaire (CEP) sur la débâcle de Credit Suisse. C'est seulement la cinquième de l'histoire du pays. Pourquoi est-ce si rare? Comment fonctionne une CEP et surtout, quel peut être son impact sur les citoyennes et les citoyens?
Une commission d’enquête parlementaire, ça change quoi pour vous? [RTS]
La CEP sur Credit Suisse, ça change quoi pour vous? / Ça change quoi pour vous ? / 5 min. / le 8 juin 2023

Le Parlement a dégainé son instrument le plus fort en matière de surveillance: une commission d’enquête parlementaire. Elle doit faire toute la lumière sur le scandale récent de la débâcle de Credit Suisse. Dotée de cinq millions de francs, elle sera composée de 14 élus et élues, répartis égalitairement entre le Conseil national et le Conseil des Etats.

>> Lire : La commission d'enquête parlementaire sur Credit Suisse validée par le Conseil des Etats

La CEP "Credit suisse" est seulement la cinquième de l'histoire du pays. A titre de comparaison, il n'y en a pas eu sur le sauvetage d'UBS en 2009, ni sur le grounding de Swissair en 2001, ou encore sur l’affaire d’espionnage Crypto AG en 2020.

On doit impérativement commencer à mettre des cautèles, parce que c'est quand même trop facile de faire de l'argent et de s'en aller quand tout se casse la figure.

Philippe Nantermod, conseiller national (PLR/VS), dans le 19h30 du 16 avril 2023

En tant qu'outil de contrôle ultime pour savoir si l'Etat a dysfonctionné, les commissions d’enquête parlementaire ont accès à des informations confidentielles. "Elle peut convoquer des témoins, elle a un accès direct aux procès-verbaux du gouvernement. Ca peut être très intéressant", précisait Adrian Vatter, professeur de sciences politiques à l'Université de Berne, dans le 19h30 du 19 mai dernier. "La CEP est un symbole politique fort, une détermination à faire toute la lumière [...] lors d'événements exceptionnels."

Les bonus, ça a le même effet que l’alcool au volant: ça fait perdre la perception et ça fait prendre des risques inconsidérés.

Roger Nordmann, conseiller national (PS/VD), dans le 19h30 du 16 avril 2023

Plusieurs questions restent toutefois en suspens, comme l'accès aux documents bancaires, qui bénéficient d'une protection toute particulière en Suisse.

Etablir les responsabilités

Mais sur quoi porteront leurs investigations? "Tout, c'est-à-dire les responsabilités du Conseil fédéral, de la Banque nationale suisse, de la Finma... Pourquoi a-t-il fallu prendre des mesures dans l’urgence? Est-ce qu’on ne pouvait pas les anticiper?", expliquait le conseiller national Benjamin Roduit (Centre/VS) dans le 19h30 du 29 mai.

"Je tiens à rappeler la responsabilité du Parlement, qui a voté à l’époque la loi too big to fail . Certains n’ont pas voulu séparer les activités suisses des activités internationales considérées comme plus dangereuses", soulignait dans la même émission sa collègue Céline Amaudruz, vice-présidente de l'UDC. Pour elle, la CEP devra aussi analyser si cette législation était suffisante ou non.

Elle devra aussi statuer sur les agissements de la conseillère fédérale en charge des Finances Karin Keller-Sutter. "Ça faisait quelques semaines que j'étais en fonction", s'est défendue cette dernière dans La Matinale du 23 mai. "Si on veut vraiment tout élucider, il faut bien regarder aussi dans le passé."

Le passé, c'est-à-dire les actions de son prédécesseur Ueli Maurer, en charge du Département des finances de 2016 à 2022 et qui se montrait pourtant très sûr de lui à peine trois mois avant le sauvetage.

Credit suisse a pris une série de bonnes mesures après une mauvaise phase, je suis confiant que ça ira bien.

Ueli Maurer, ex-conseiller fédéral, sur SRF le 13 décembre 2022

Et vous dans tout ça?

Que vous soyez employé de Credit Suisse, actionnaire, client, ou juste contribuable suisse, la fusion en urgence des deux banques aura sans doute des impacts à plus ou moins long terme sur votre porte-monnaie. Cette CEP désignera les éventuels responsables et pourrait mener à des changements institutionnels.

Capsule vidéo: Claire Burgy
Texte web: jop

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Quid des précédentes CEP?

La toute première commission d'enquête parlementaire date de 1966. Elle est liée à l'affaire des Mirages. En 1961, le Département militaire, l'actuel DDPS, commande 100 avions Mirage pour 871 millions de francs. Mais leur prix ne va cesser d'augmenter et il va presque doubler en deux ans. La CEP qui en découle aura deux conséquences: l’achat est réduit à 57 appareils et le conseiller fédéral Paul Chaudet, en charge du dossier, démissionne.

La deuxième CEP est déclenché en 1989 pour comprendre les dysfonctionnements au sein du Département de justice et police ayant conduit à la démission d'Elisabeth Kopp, à la suite du scandale de blanchiment lié à son mari. Elle conclut que le Département néglige les dangers liés au trafic de drogue, à la criminalité financière et à l’extrême-droite.

Impact concret sur la protection de la sphère privée

Mais elle révèle surtout un autre scandale: quelque 900'000 citoyennes et citoyens suisses sont fichés par la police dans le contexte de la Guerre froide. C'est le scandale des fiches, qui provoque la colère de la population et des manifestations contre "l’Etat fouineur".

Le Conseil fédéral est alors contraint de repenser la protection des données et la séparation entre justice, police et surveillance - des services qui, à l'époque, cohabitaient sous le même toit administratif et politique. L'affaire des fiches vient séparer ces pouvoirs pour donner naissance, au fil du temps, au Ministère public de la Confédération, à la Police fédérale et au Service de renseignement, trois organes de surveillance indépendants les uns des autres.

Ce scandale des fiches déclenchera l'année suivante une nouvelle CEP sur la surveillance au sein du Département militaire fédéral. Elle mettra au jour la P-26, une armée secrète sans base légale ni contrôle politique, qui sera dissoute.

Enfin, en 1995, une CEP se penche sur la gestion de la caisse de prévoyance de la Confédération (PUBLICA), pointant les responsabilités du conseiller fédéral Otto Stich.