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En Suisse romande, un réseau se prépare à "l'effondrement"

Enquête sur le réseau survivaliste Solaris en Suisse
Enquête sur le réseau survivaliste Solaris en Suisse / La Matinale / 4 min. / le 20 juin 2023
Solaris, né en France pendant la pandémie, s'est rapidement développé en Suisse. Une centaine de groupes affiliés se sont créés sur tout le territoire romand. Ils se préparent aux défaillances systémiques à venir. D'après l'enquête de la RTS, le réseau suscite l'attention d'un organisme de prévention contre les dérives sectaires.

Ce sont des hommes et des femmes qui pensent que l'effondrement est proche. "C'est la fin d'un temps des hommes qui a nourri la prédation et la souffrance", peut-on entendre sur la vidéo de présentation de Solaris, et "le début d'un temps qui nourrira plus de fraternité, de respect et d'amour du vivant".

En Suisse romande, le réseau est présent sur tout le territoire. Quelque 110 cellules sont répertoriées sur le site internet de Solaris, de Genève à Porrentruy, en passant par Sierre, Payerne ou Neuchâtel. Leurs tailles sont variables, d'une dizaine de membres pour les plus petites, à près de 90 pour les plus grandes.

Une "cellule", terme utilisé par Solaris, est un regroupement de personnes, dans le voisinage direct. Ils se préparent ensemble aux "défaillances systémiques" à venir: black-out, pénuries, désastres en tout genre. Le principe est de tisser un réseau d'entraide et de solidarité local, une sorte "d'internet-humain" comme le définit Solaris, pour pouvoir réagir rapidement en cas d'effondrement.

>> La carte des cellules présentes en Suisse romande : Solaris
Solaris

Réseau radio et autonomie

Le mouvement est né en France, fin 2021, en pleine pandémie de coronavirus. Son fondateur, Frédéric Vidal, estime qu'il regroupe aujourd'hui plus de 50'000 personnes sur le territoire français. Il s'est ensuite vite développé outre-frontières et est aujourd'hui présent dans une vingtaine de pays, dont la Suisse. D'après les estimations de la RTS, environ 2000 membres y seraient actifs.

Solaris n'a aucune structure juridique, aucune hiérarchie. Chaque cellule fonctionne de manière indépendante et s'organise comme elle le souhaite. Un annuaire recense les noms, adresses, compétences et ressources de chaque membre, à mobiliser en cas de besoin.

Une des activités principales des cellules est de mettre en place des réseaux radio ou talkie-walkie, pour pallier d'éventuelles ruptures de communication.

La plupart des échanges ont lieu sur l'application de messagerie Telegram, montre l'enquête de la RTS. Les membres y partagent des trucs et astuces d'autonomie: comment récupérer l'eau de pluie, faire des réserves ou se lancer dans la permaculture par exemple.

Un réseau imprégné de théories du complot

A première vue, le réseau semble bon enfant et simplement empreint de bon sens. Il se présente comme apolitique et areligieux. Pourtant, notre enquête révèle qu'il est loin d'être anodin.

Il fait notamment l'objet d'une attention particulière du Centre inter-cantonal d'information sur les croyances, fondation privée d'information sur les mouvements religieux et spirituels, les sectes notamment.

À la suite de plusieurs demandes de particuliers préoccupés par le développement de Solaris en Suisse romande, le CIC a rédigé un rapport de 22 pages sur le mouvement.

Dans ce document que la RTS s'est procuré, Solaris est présenté comme fortement imprégné de théories complotistes. Elles seraient notamment véhiculées par le fondateur de Solaris, Frédéric Vidal.

L'homme se présente comme un ancien journaliste. Sous le pseudonyme "Le Passeur", il a été pendant dix ans l'auteur d'un blog aux forts accents conspirationnistes,"Urantia Gaïa", fermé en 2022. Dans plusieurs de ses déclarations, Frédéric Vidal y évoquait l'existence d'un "complot mondial des élites" et de "classes dominantes pédosataniques".

Coronasceptiques, climatosceptiques, anti-LGBT

On retrouve cette rhétorique de méfiance, voire de défiance envers la société et ses institutions, également chez certains membres romands de Solaris. Pour les besoins de l'enquête, la RTS a intégré une dizaine de groupes Telegram des cellules.

Si beaucoup de conversations sont tout à fait anodines, une quantité non-négligeable de partages de contenus à caractère complotistes sont également partagés. Des propos coronasceptiques, climatosceptiques, anti-LGBT, s'y mêlent notamment.

Risque de dérive à prendre au sérieux

D'après Manéli Farahmand, directrice du CIC, interrogée mardi dans La Matinale, "c'est le croisement entre différentes idées et discours qui peut poser problème et auquel il faut être attentif. Notamment l'idée de transition, de retrait du monde, d'effondrement de la civilisation, teinté de survivalisme".

Dans ses conclusions, le CIC relève que si le mouvement peut rester tout à fait inoffensif, il existe des indicateurs d'un risque de dérive à prendre très au sérieux et à observer à l'avenir. "Est-ce qu'il y a un appel à la désobéissance civile, à la violence, à la haine, est-ce qu'il y a des formes de discriminations dans les discours, un appel à se rassembler d'une manière violente dans l'espace public?", détaille Manéli Farahmand. "Je pense qu'il est important d'observer la manière dont évoluent ces indicateurs et ce qu'ils impliquent en termes d'actions collectives ou individuelles, dans la pratique."

Pour l'heure en tout cas, seuls des appels à manifester contre les mesures sanitaires Covid ont été relayés sur les groupes.

Dans le cadre de son enquête, la RTS a tenté à plusieurs reprises d'entrer en contact avec Solaris Suisse romande et a approché directement plusieurs cellules locales. Personne n'a souhaité répondre aux questions et demandes d'interview.

Flore Amos, Pôle Enquête

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