Grâce aux vastes mesures d'assainissement décidées ce printemps, le budget 2024 respecte les exigences du frein à l'endettement. "C'est une bonne nouvelle, tous les départements fédéraux ont fait leur part, je les en remercie", a déclaré mercredi devant les médias la conseillère fédérale en charge des Finances Karin Keller-Sutter, peu avant son interview à la RTS (lire encadré).
Dans le détail, les recettes 2024 sont estimées à 83 milliards de francs (+2,1%). Cette progression est surtout due au relèvement de la TVA en faveur de l'AVS (27 milliards, +7%) et à la forte hausse escomptée pour le produit de l'impôt sur le bénéfice (15 milliards, +8,2%). Contrairement au budget 2023, la Banque nationale suisse ne viendra pas en aide avec une distribution supplémentaire (-1,3 milliard).
Les dépenses devraient elles s'accroître de +4,1%, à 89,7 milliards. Cette hausse s'explique notamment par la réforme AVS21, mais aussi à cause de la hausse des intérêts de la dette et des dépenses accrues de l'armée.
Dépenses extraordinaires
Comme ces dernières années, les dépenses extraordinaires sont très importantes, par exemple les montants versés aux cantons en faveur des réfugiés ukrainiens (1,2 milliard). Dès 2025, la migration sera toutefois à nouveau portée au budget ordinaire.
L'apport en capital destiné aux CFF dans le contexte de la pandémie de Covid-19 (1,2 milliard) pèse aussi dans la balance, de même que le financement du mécanisme de sauvetage destiné au secteur de l'électricité (4 milliards). Ce mécanisme n'a pas encore été sollicité et il est peu probable qu'il le soit, note toutefois le Conseil fédéral.
Ce dernier adoptera le message destiné au Parlement sur le budget 2024 et le plan financier 2025-2027 à la fin août. Ces années représentent un enjeu majeur, car elles affichent des déficits pouvant atteindre 1,2 milliard de francs. Le gouvernement a déjà annoncé des mesures d'allégements budgétaires à la fin mars.
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Economiser 1,5 milliard
La contribution obligatoire de la Suisse au programme de recherche Horizon Europe ne sera plus budgétisée (600 millions d'économies). Les dépenses de l'armée seront augmentées plus lentement que prévu (hausse de 3% maximum entre 2024 et 2026). Et les importations de voitures électriques seront désormais taxées au même titre que les autres (+200 millions de recettes).
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Le Conseil fédéral a aussi décidé d'opérer des coupes linéaires de 2% sur les dépenses faiblement liées, qui comprennent aussi les dépenses de personnel. La coopération internationale, la culture, l'agriculture, le transport régional de voyageurs, l'environnement et la promotion économique sont concernés.
Les départements doivent définir eux-mêmes des mesures concrètes. Toutes ces mesures permettent des économies de 2 milliards de francs pour l'année prochaine et seront reconduites. Dès 2025, la facture sera allégée de 1,5 milliard.
Coupes à long terme
Des économies sont aussi prévues pour les dépenses fortement liées, soit celles qui sont inscrites dans une loi ou dans la Constitution. La contribution de la Confédération à l'assurance-chômage sera réduite de 250 millions de francs par an pendant 5 ans. L'apport annuel au fonds d'infrastructure ferroviaire (FIF) sera lui réduit d'au moins 150 millions de francs pendant 3 ans. Ces deux mesures n'impliquent pas de baisses de prestations.
D'autre part, le financement du projet de crèches prévu par le Parlement sera compensé par une réduction de maximum 1,1 point de pourcentage de la part des cantons au produit de l'impôt fédéral direct.
L'AVS sera aussi concernée, à plus long terme et dans un projet distinct. Afin de corriger l'inégalité de traitement entre les veuves et les veufs mis en évidence par un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, les rentes de veuves seront limitées dans le temps, au même titre que les rentes de veufs.
Enfin, suite au "oui" en votation à l'imposition minimale des grandes entreprises dimanche dernier, la Confédération s'attend à des recettes supplémentaires de 400 millions de francs à partir de 2026. Deux tiers de ces recettes devraient être affectées à des mesures de promotion de la place économique.
ats/ther
Karin Keller-Sutter: "Il faut retourner à une certaine discipline budgétaire"
Invitée de l'émission Forum mercredi soir pour expliquer ces annonces, Karin Keller-Sutter a refusé d'évoquer une politique d'austérité. D'après elle, ces décisions étaient tout simplement "nécessaires" afin de pouvoir présenter un budget équilibré pour 2024.
"Il ne faut pas oublier qu'il faut respecter le frein à l'endettement, qui est inscrit dans la Constitution. Il est donc obligatoire pour le Conseil fédéral et le Parlement", a-t-elle réagi.
Pour la conseillère fédérale PLR en charge des Finances, ce frein à l'endettement n'est d'ailleurs pas une entrave ni un simple gadget de politique financière. Il laisse une certaine marge de manoeuvre. "Le frein à l'endettement est en vigueur depuis 20 ans et a été voté par presque 85% de la population. Je crois que c'est une question de mentalité suisse. Pour les Suisses et les Suissesses, les dépenses et les recettes de l'Etat doivent être dans un certain équilibre", défend-elle.
"Pas un démantèlement"
Plus globalement, ces mesures d'économie s'expliquent par des dépenses en hausse, notamment pour l'armée, le climat ou encore l'accueil extrafamilial, juge la conseillère fédérale. "Pour être plus claire, nous n'avons pas un problème de recettes, mais vraiment un problème de dépenses", résume-t-elle.
Et de conclure: "Le Conseil fédéral a vraiment essayé de trouver de l'argent à des endroits où ça ne touche pas directement les citoyens et les citoyennes et où il n'y a pas un démantèlement des tâches de l'Etat. Mais il faut retourner à une certaine discipline budgétaire, c'est tout à fait justifiable."
Gerhard Andrey: "Les propositions ne sont clairement pas équilibrées"
Le conseiller national vert Gerhard Andrey dénonce jeudi dans La Matinale une politique d'austérité qui ne s’attaque qu’aux dépenses de l’Etat.
"Pendant les crises, d'énormes bénéfices ont été créés. De ceux-là, on ne parle pas du tout. C'est problématique, parce que, pour finir, c'est monsieur et madame tout le monde qui vont payer le prix, avec des coûts plus élevés et des prestations réduites, car il y a ces coupes derrière. Pour moi, les propositions ne sont clairement pas équilibrées ", s'irrite l'élu.
Selon le Fribourgeois, la Suisse n'a pas de problème de dette. "Elle existe, mais n'est pas très conséquente. Par contre, on a un énorme besoin d'investissements, parce qu'il faut financer le tournant énergétique ", déclare-t-il.