Dimanche 13 février 2022. Il est midi. La projection tombe: le "non" à la suppression du droit de timbre l'emporte. Explosion de joie du côté des Vert-e-s et du parti socialiste, partis seuls contre tous pour s'opposer à cette réforme.
Si les élections fédérales représentent, tous les quatre ans, le point d’orgue de la politique suisse, les dimanches de votations sont aussi une source d'émotion non dissimulée. Tous les trois mois, les partis savourent, ou non, le fait de voir leur consigne de vote suivie par une majorité de votants.
Le centre-droit désavoué
Il y a quatre ans, le parti libéral-radical était habitué aux victoires. Mais aujourd'hui, au terme de la législature fédérale, le PLR a perdu le titre du parti le plus suivi en votations.
En comparant le nombre de fois où un parti a formulé la consigne de vote gagnante lors des quatre dernières législatures fédérales, on observe que le parti libéral-radical et Le Centre (anciennement PBD et PDC) n’ont été désavoués que très rarement en votations entre 2016 et 2019. Le PLR n’avait perdu que deux fois sur 33 objets votés: la RIE III et la loi sur les jeux d’argent.
Dans l'actuelle législature, en revanche, la consigne du centre-droit n’a pas été suivie par la majorité des votants sur un tiers des votations (12 objets sur 36). Le PLR a même été récemment désavoué par deux fois sur son pré carré: les questions fiscales et économiques. La suppression de l’impôt anticipé et du droit de timbre n'ont pas passé la rampe.
Pour Line Rennwald, politologue et chercheuse au Centre de compétences suisse en sciences sociales (FORS), cette vulnérabilité de la droite sur des questions fiscales est relativement nouvelle.
On a subi des échecs lors de cette législature, mais ça permet d’en tirer des leçons et de profiler le PLR pour la prochaine.
Le député PLR vaudois Olivier Feller, conseiller national depuis 12 ans, est coutumier des défaites politiques. "Il serait inhumain de ne pas avoir un sentiment de déception, mais en votations, comme au Parlement, on apprend à essuyer les échecs." En revanche, le député prévient que les défaites populaires du PLR sur des questions fiscales ne doivent pas devenir une habitude. "Il y a vingt ans, dès lors qu'il y avait une votation sur un sujet fiscal ou économique, on partait du principe qu’il serait accepté. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On a subi des échecs lors de cette législature, mais ça permet d’en tirer des leçons et de profiler le PLR pour la prochaine."
Si le PLR a encaissé davantage de claques dans les urnes ces dernières années, son influence n’a pas perdu de sa superbe, estime Georg Lutz, politologue et directeur du centre de recherche FORS. "Le parti libéral-radical est toujours suivi dans deux votations sur trois. Ce n'est pas parce que le PLR a également baissé aux dernières élections que le parti perd de sa force de majorité."
Cette force de majorité du PLR s’explique par une position dominante au sein de la Berne fédérale. "C'est le parti historiquement gouvernemental, fondateur de la Suisse moderne", expose Sean Müller, professeur assistant en science politique à l'Université de Lausanne. "Les bases de la politique suisse ont été construites par les partis bourgeois, ancêtres du PLR, qui prône aujourd’hui le statut quo." Par conséquent, le PLR lance très rarement d'initiatives et se met rarement en difficulté en votations, contrairement à l’UDC et la gauche (PS et Vert-e-s). Deux bords qui se retrouvent souvent seuls à défendre des projets nouveaux.
Un duo de plus en plus convaincant
La moyenne des résultats en votations pour le parti socialiste et les Vert-e-s a progressé lors de l’actuelle législature. Les objets portés uniquement par la gauche, ou combattus uniquement par la gauche, n’ont jamais rassemblé autant de votants. Et ce constat se vérifie sur l'ensemble des cantons romands.
Tout le monde voit bien que les Vert-e-s progressent en votations comme aux élections, ces cinq dernières années. C’est un élan profond et non juste passager.
Des chiffres qui sont de bon augure pour les Vert-e-s aux prochaines élections, selon Céline Vara. "Tout le monde voit bien que les Vert-e-s progressent en votations comme aux élections, ces cinq dernières années. C’est un élan profond et non juste passager." Pour la conseillère aux Etats verte neuchâteloise, le bilan de la gauche lors des votations témoigne d'un intérêt croissant pour les enjeux écologiques. "On sait que l’identité des Vert-e-s, c'est l'environnement, et les questions environnementales n’ont jamais été aussi importantes aux yeux de la population."
Malgré cette force d'opposition nouvelle, le politologue Sean Müller observe que la gauche ne parvient toujours pas à convaincre pour faire adopter ses propres réformes fiscales ou environnementales. Ce fut le cas il y a deux ans pour l’initiative "Alléger les impôts sur les salaires", rejetée à 65%, ou encore l’initiative sur l’élevage intensif en 2022, également largement refusée.
De plus, Céline Vara a conscience que les derniers sondages ne sont pas favorables pour les écologistes. C’est pourquoi elle souhaite rester prudente sur un éventuel succès électoral de son parti en octobre. "Le lien entre votations et élections n’est pas évident. Par exemple, l’UDC est le parti le moins suivi sur les objets de votation, mais c'est celui qui a le plus de sièges à Berne. On peut se demander comment c’est possible d'élire des personnes dont on ne partage pas les valeurs politiques."
Une influence retrouvée
L’avis de l’UDC a été suivi en votation une fois sur deux, soit le taux de suivi le plus faible de la législature actuelle pour un parti. Pourtant, l’UDC se retrouve souvent seul contre tous pour défendre ou s'opposer à un objet. Une position qui lui réussit néanmoins de plus en plus. Quand la droite nationaliste fait cavalier seul, là aussi, le suivi de sa consigne progresse. Le parti agrarien retrouve le niveau d’influence qu’il a connu entre 2008 et 2011, au moment de l'adoption de trois initiatives UDC, notamment celle sur l'interdiction de la construction de minarets.
Lors de l’actuelle législature, le parti est parvenu à rassembler une majorité de votants sur l'une de ses propositions: l'initiative dite "anti-burqa". Et l'UDC était seule à appeler à voter "non" à la loi CO2, balayée par le peuple. Même configuration le 18 juin dernier, quand le parti agrarien était le seul opposé au référendum sur la loi climat et sur la troisième votation de la loi Covid-19. Pourtant, le "non" a recueilli environ 40% pour chacun des deux objets.
Pour le politologue Georg Lutz, ce résultat ne représente pas pour autant un réservoir potentiel d'électeurs. "Les gens proches d’un parti ne se fient pas systématiquement à sa proposition." C’est ce que démontrent les études de l’institut VOX qui recueille, après chaque votation, l'identification partisane de ses sondés. Par exemple, l’initiative de l’UDC sur l’interdiction de se dissimuler le visage a séduit 55% d'électeurs centristes.
Autre exemple avec une initiative lancée et soutenue uniquement par la gauche pour "Davantage de logements abordables". Toujours selon l’institut VOX, 37% de l’électorat du centre a voté pour, même si le PDC appelait à voter non.
Un votant libre et pragmatique
Ces chiffres révèlent une particularité démocratique helvétique, décryptée par Sean Müller. "Le votant suisse prend la liberté de dévier de son identification partisane grâce à l’opportunité d'être consulté sur des questions précises. Il y a un grand pragmatisme dans la culture politique suisse." Et contrairement à une élection, ce ne sont pas seulement les partis qui sont en première ligne lors d’une votation", rappelle Line Rennwald. "Il y a des groupes d’intérêts et des mouvements de la société civile qui font également campagne." Par exemple, le mouvement Mass-Voll s'est opposé avec l'UDC sur la loi Covid.
Si les partis centristes jouissent de la capacité de s'allier à la droite ou à la gauche en votation, ces formations se retrouvent seules face une élection. Sean Müller indique qu’il est facile d’identifier la vision générale de l’UDC et des partis de gauche. "L'UDC, c’est la souveraineté, le nationalisme et l'anti-wokisme, alors que le PS et les Vert-e-s, c’est l'égalité et l’écologie, des lignes radicales. Les lignes du PLR et du Centre deviennent difficiles à identifier." Une difficulté qui peut peser dans la balance pour les électeurs en octobre prochain.
Thibaut Clémence
Les Vert’libéraux, les plus suivis en votations lors de la législature 2019-2023
Si le comportement de vote des Suisses était le même entre une élection et une votation, on pourrait imaginer un déferlement de nouveaux élus Vert’libéraux au Palais fédéral cet automne. Le parti est celui qui a le plus souvent visé juste dans sa consigne de vote lors de la législature qui s'achève. La majorité des votants a suivi la consigne des Vert’libéraux à 26 reprises sur un total de 36 objets.
Un parti qui n’est pas au gouvernement, note Line Rennwald, politologue et chercheuse à FORS. Selon elle, les Vert’libéraux jouissent d’une position centriste gagnante. "Ils sont en phase avec la société et son évolution, notamment sur les questions sociétales comme le mariage pour tous, des thèmes qui gagnent du terrain au sein de la population. Et en parallèle, le parti reste économiquement libéral."
Mais si la consigne de vote des Vert’libéraux est souvent suivie, le parti n’a aucune chance de faire adopter quoi que ce soit en faisant cavalier seul. Sean Müller, professeur assistant en science politique à l’Université de Lausanne, se souvient d'une votation précise en 2015. "Les Vert'libéraux doivent s’allier. Ils étaient seuls contre tous avec l’initiative pour remplacer la TVA par une taxe sur l’énergie. Le "oui" n’avait même pas atteint les 10%."
Quand il y a eu un désaccord sur la consigne de vote entre le PLR et les Vert-e-s, les Vert’libéraux se sont rangés du côté du parti écologiste à 13 reprises lors de l’actuelle législature, et 9 fois du côté de la consigne du PLR. Une force d’alliance qui pourrait être payante pour gagner des sièges. Selon le dernier baromètre électoral SSR, les Vert’libéraux sont crédités de 8,3% des intentions de vote aux élections fédérales d’octobre, soit un demi point de plus rapport au score de 2019.