C'est déjà l'été, la Berne politique se vide peu à peu, mais les élections fédérales d'octobre restent dans toutes les têtes. L'occasion de sonder les intentions de vote des Suissesses et des Suisses juste avant la dernière ligne droite. Si le scrutin avait eu lieu à la fin juin, l'UDC aurait récolté plus de 27% des suffrages, lui permettant de rester largement le premier parti de Suisse, montre le baromètre électoral SSR réalisé par l'institut Sotomo. La formation de la droite conservatrice domine la politique suisse depuis plus de vingt ans.
Le PS suit l'UDC de loin, avec près de dix points de retard, et se maintient à la deuxième place. Les socialistes disposent d'une avance confortable sur le duo formé par le PLR et le Centre. Les deux partis bourgeois sont désormais au coude à coude dans la lutte pour la troisième marche du podium.
Nettement devancés, les Verts dépassent péniblement la barre des 10%. Pourchassés par les Vert'libéraux, ils conservent néanmoins près de deux points de bonus sur leurs cousins écologistes.
UDC et PS en hausse, Verts en recul
Il y a quatre ans, une vague écologiste avait déferlé sur la politique fédérale. Les Verts avaient alors gagné plus de six points, s'envolant vers des sommets encore jamais atteints. Aujourd'hui, l'heure du reflux semble venue. Si les résultats du sondage se confirment le 22 octobre, le Parti écologiste pourrait perdre la moitié de ses gains de 2019. Le retour de balancier épargne quelque peu les Vert'libéraux, autres grands gagnants des dernières élections. La formation centriste est donnée en légère progression (+0,5 point).
Dans le camp des gagnants, on trouve en premier lieu l'UDC (+1,5 point). Ces derniers mois, le parti de Marco Chiesa a recentré sa campagne sur ses fondamentaux, à savoir la lutte contre l'immigration et la défense de la souveraineté de la Suisse, et cette stratégie semble payante. Le PS figure lui aussi dans les chiffres verts. Il gagnerait un point par rapport à son score de 2019. Le Centre bénéficie également d'un rebond de popularité, certes minime (+0,5 point), tandis que les libéraux-radicaux se prennent les pieds dans le tapis (-0,5 point).
Ce double mouvement de hausse du Centre et de baisse du PLR est d'ailleurs la principale évolution depuis le baromètre électoral de mars dernier. En un peu plus de trois mois, le parti né de la fusion du PDC et du PBD a grignoté un point dans les intentions de vote. Peut-être davantage touché par la débâcle fracassante de Credit Suisse, le PLR a quant à lui fait le chemin inverse. En dehors de cela, les autres partis ont tous plus ou moins tenu leur position.
Pas de vague à droite, mais une correction
En 2015, la Suisse a connu un grand virage à droite. Les blocs de gauche et du centre étaient sortis très affaiblis des élections. Quatre ans plus tard, la population a contre-braqué: la droite a perdu des plumes aux dépens de la gauche, portée par la vague verte ainsi que par l'essor des idées progressistes et féministes. Aujourd'hui, "un vote correctif semble se profiler, (...) sans qu'il y ait pour autant un virage à droite aussi net qu'en 2015", notent les auteurs de l'étude, Michael Hermann, Sarah Bütikofer et Virginia Wenger.
Le camp rose-vert serait amputé de deux points, l'un allant aux partis du centre, l'autre bénéficiant aux formations de droite. Ce mouvement "mineur" de l'opinion vers la droite est nettement moins marqué en Suisse que dans les pays voisins comme l'Allemagne, l'Italie ou la France, poursuivent les analystes de Sotomo. Pour eux, le fait que la Suisse soit moins touchée par les crises actuelles, notamment l'inflation, pourrait expliquer ce phénomène.
Le PLR lutte pour sa troisième place
"Les Verts ont l'ambition de devenir le troisième parti du pays", affirmait leur président Balthasar Glättli au début de l'année. La partie semble loin d'être gagnée. Depuis deux ans, sondage après sondage, les écologistes ne cessent de perdre du terrain. Le recul paraît inexorable: crédités de 13,2% des suffrages en octobre 2021, ils sont passés à 11,7% puis 10,7% et maintenant à 10,2%. On voit mal comment le parti pourrait redresser la barre d'ici l'automne et dépasser Le Centre et le PLR.
Même si la chute est plus récente, les libéraux-radicaux sont sur la même pente savonneuse. L'auto-proclamé parti de l'économie était encore en grande forme en octobre 2022, faisant quasi jeu égal avec les socialistes. En février dernier, le président Thierry Burkart affichait ses objectifs: "Nous voulons gagner des pourcentages et dépasser le PS pour devenir le deuxième parti de Suisse." Aujourdhui, le PLR doit plutôt se battre pour conserver sa troisième place, talonné qu'il est par un Centre qui reprend des couleurs.
Si les deux partis devaient échanger leur place lors des élections fédérales, il s'agirait d'un "basculement historique", relèvent les auteurs de l'étude. "Ce serait la première fois dans l’histoire de la Suisse que le parti ayant succédé aux catholiques-conservateurs - opposés au nouvel Etat fédéral de 1848 - dépasserait le parti issu du mouvement libéral-radical des fondateurs de l’Etat." Pour les politologues de Sotomo, la forme actuelle du Centre est la conséquence d'une fusion réussie entre le PDC et le PBD début 2021.
Vers une nouvelle composition du Conseil fédéral?
L'UDC qui survole les autres partis, le PS qui remonte la pente, le Centre qui menace le PLR, les Verts qui courent vers la déroute et les Vert'libéraux qui restent en embuscade, le tout dans le contexte de la démission d'Alain Berset: tous les ingrédients sont en place pour ouvrir une nouvelle fois le débat sur la composition partisane du Conseil fédéral, aujourd'hui composé de deux UDC, deux PS, deux PLR et une ministre du Centre. Verts et Vert'libéraux, eux, sont exclus du collège alors qu'ils cumulent près de 20% des suffrages.
L'évolution des rapports de force à la suite des élections fédérales cet automne pourrait donc pousser les formations politiques à envisager une nouvelle répartition des partis au sein du gouvernement, afin de mieux intégrer l'ensemble du corps électoral. C'est en tout cas le souhait de la majorité de la population, si l'on en croit le sondage.
>> Lire aussi : Une majorité des Suisses veut une nouvelle répartition du Conseil fédéral, selon un sondage
Didier Kottelat
Les principaux défis: climat, primes et immigration
Malgré l'essoufflement des Verts et le ralentissement de la progression des Vert'libéraux, la préoccupation première des Suissesses et des Suisses reste le dérèglement climatique. Au total, 40% des personnes sondées le citent dans les trois plus grands défis auxquels la Suisse est confrontée. Les partis écologistes semblent toutefois moins capables d'en profiter qu'il y a quatre ans.
Aujourd'hui, une autre question est quasi aussi importante aux yeux de la population: les primes maladie. Après une explosion cette année, les experts prédisent une nouvelle flambée des factures l'an prochain. Face à ce problème, le PS s'en tire généralement mieux que les autres. Il a d'ailleurs déposé une initiative pour limiter les primes à 10% du revenu des ménages. Toutefois, aucun parti ne semble convaincre sur ce sujet, pas même auprès de ses propres sympathisants. Il s'agit du premier sujet d'insatisfaction dans l'électorat de tous les partis, sans exception.
L'immigration est l'autre thème qui a pris de l'ampleur récemment. Près de 30% des personnes sondées la placent dans le top 3 des défis actuels. Un débat alimenté notamment par la hausse du nombre de demandeurs d'asile, notamment ukrainiens. Généralement, c'est l'UDC qui en fait son beurre. La situation est cependant assez éloignée de celle de 2015, lorsque la vague migratoire éclipsait tous les autres sujets. Cette année-là, l'UDC avait réalisé le meilleur score de son histoire.
Qu'est-ce qui agace l'électorat?
Le vote est une question d'opinions et de faits, mais aussi une question d'émotions, expliquent les auteurs de l'étude. C'est pourquoi, à côté des défis politiques, ils ont pour la première fois interrogé les Suissesses et les Suisses sur leurs principales sources d'agacement en lien avec les événements actuels.
Le palme de l'exaspération revient à la mauvaise gestion et les bonus excessifs de Credit Suisse (58%). Seuls l'électorat du PLR (4e position) et celui de l'UDC (5e position) ne placent pas ce thème dans leur trois plus grandes sources d'agacement. Coïncidence ou pas, ces deux partis sont les plus proches des banques et étaient à l'origine moins convaincus par l'opportunité de lancer une commission d'enquête parlementaire sur le sujet.
Derrière la débâcle de Credit Suisse, on retrouve les actions de blocage des militants climatiques (51%) puis le débat autour du genre et du "wokisme" (50%). Là encore, sympathisants PLR et UDC sont main dans la main, plaçant ces sujets aux deux premières places. Pourquoi une telle proximité? Dans ces deux partis, l'électorat est majoritairement masculin et la question de la liberté - de parole, de circulation - est jugée centrale, soulignent les auteurs du sondage.
La polarisation accrue dans les médias sociaux (44%) est également citée régulièrement, tout comme le sauvetage des banques avec l'argent du contribuable (40%) et les abus dans le domaine de l'asile (34%). La question de la passivité de la Suisse malgré la catastrophe climatique (33%) est politiquement clivante: quasi jamais citée à droite et au Centre, elle figure dans les principales sources d'énervement des Vert'libéraux, du PS et des Verts.
A noter, enfin, que les personnes sondées ne considère pas l'assouplissement de la neutralité, le manque de soutien à l'Ukraine et la dureté envers les réfugiés comme des sources majeures d'agacement.
Méthode
La collecte des données a été réalisée en ligne pour le compte de la SSR par l'institut de sondage Sotomo entre le 8 et le 22 juin 2023.
Le recrutement des personnes interrogées a eu lieu d’une part par le biais des portails web de la SSR et d’autre part via le panel en ligne de Sotomo. Après apurement et contrôle des données, les réponses de 25'216 électeurs et électrices ont pu être exploitées pour l’évaluation.
La représentativité de ce sondage est comparable à celle d’un échantillonnage aléatoire avec une marge d'erreur de +/-1,2 point de pourcentage, note Sotomo.