L'eau, une ressource de plus en plus scrutée et recherchée en Suisse
Face à la hausse des températures et à la multiplication des périodes de sécheresse en Suisse, l'eau est au coeur des préoccupations. La Matinale de la RTS se penche sur les ressources d'or bleu, que ce soit les aménagements sur le terrain ou les enjeux économiques.
Reportages de Nicole della Pietra, Romain Carrupt, Dominique Choffat, Cléa Favre et Cynthia Racine
Le château d'eau de l'Europe
S'adapter face au dérèglement climatique
Environ 1500 lacs, 890 km2 de glaciers ainsi que d'innombrables rivières et ruisseaux: considérée comme le château d'eau de l'Europe, la Suisse n'a pas de problèmes particuliers d'approvisionnement en eau.
Mais avec le dérèglement climatique, le pays va devoir s'adapter. "La quantité annuelle de précipitations ne va pas beaucoup changer, contrairement à la répartition sur l'année", indique le chef de la division de l'hydrologie à l'Office fédéral de l'environnement Carlo Scapozza.
S'il y aura davantage d'eau sous forme de pluie en hiver, les étés et les automnes seront plus secs, avertit-il. Une inquiétude partagée par l'Italie et la France, qui ont déjà demandé à la Suisse de "modifier sa gestion" du lac Majeur et du Léman "afin d'avoir plus de ressources en été pour éviter les effets graves des étiages".
Les bisses
De l'eau essentielle pour l'agriculture
En Valais, 100 bisses n'ont qu'une vocation patrimoniale ou touristique, mais 200 autres servent encore à l'agriculture.
Par exemple, le bisse Vieux de Nendaz, qui est en eau de mi-mai à fin septembre, est toujours géré sous le régime du consortage privé et sert à l'irrigation des abricotiers de Fey et de Bieudron, sur la rive gauche du Rhône.
Au début de la saison a lieu une grande action de nettoyage à laquelle participent une vingtaine d'habitants. "On reprend conscience que l'eau est quelque chose d'extrêmement important", observe Jean-Charles Bornet, gardien du bisse Vieux. "Dans le bisse, c'est quasiment de l'eau potable qui coule. Elle est donc très propre pour les cultures."
Les barrages
Des réserves potentielles d'eau potable
Construits au siècle dernier dans l'unique but de produire de l'électricité, les barrages vont devenir, dans les prochaines décennies, bien plus que des batteries géantes. Avec les risques de pénurie d'électricité et les épisodes de sécheresse, ils sont de plus en plus courtisés.
Le multi-usage de l'eau, que ce soit pour l'eau potable ou encore l'irrigation, deviendra la norme dans le futur, confirme Stéphane Maret, le directeur général des Forces motrices valaisannes.
Ces nouveaux impératifs seront discutés lors de la renégociation des concessions hydrauliques, qui arrivent à leur terme.
Les sources d'eau
Des "trésors" souterrains pour les communes
Pour anticiper la pénurie d'eau, les communes multiplient les études pour trouver de nouvelles sources. La commune valaisanne de Vouvry, par exemple, a récemment découvert une "piscine souterraine", un réservoir insoupçonnable.
"Ce serait vraiment précieux d'avoir une nouvelle source... On sait qu'on va tous vers des étés de plus en plus chaud", explique la présidente de la commune Véronique Diab-Vuadens.
Et de poursuivre: "On sait qu'on a un trésor souterrain, qu'on va pouvoir l'exploiter à un moment donné. Mais avant, on a un certain nombre d'investissements prioritaires sur le réseau actuel." Pour Véronique Diab-Vuadens, il est important de financer dès aujourd'hui des études pour trouver de nouvelles sources. Un investissement pour le futur.
Le lac de Cadagno
Un phénomène naturel rare
La haute vallée tessinoise du Val Piora, perchée à 2000 mètres d'altitude, bénéficie d'une biodiversité incroyablement riche et de plus de vingt lacs de montagne. L'un d'entre eux, le lac de Cadagno, est si mystérieux qu'il attire les chercheurs du monde entier.
Le lac de Cadagno est l'exemple d'un phénomène naturel rare appelé méromicticité: le lac est constitué de trois couches d'eau différentes qui ne se mélangent jamais.
"La couche inférieure est exempte d'oxygène", décrit Nicola Storelli, microbiologiste à la SUPSI (Ecole universitaire professionnelle de la Suisse italienne). "On ne retrouve pas souvent cet environnement très particulier sur notre planète. Ces conditions environnementales existaient potentiellement au début de la vie sur Terre, il y a 3-4 milliards d'années."
Pour le chercheur, "c'est comme regarder dans le passé et essayer de comprendre comment les premiers micro-organismes se sont adaptés à des conditions très hostiles."
L'exploitation de l'eau
Les sources très sollicitées
La consommation d'eau minérale ne cesse d'augmenter. Il y a un siècle, un Suisse buvait chaque année moins de deux litres par habitant, contre plus de 100 litres aujourd'hui.
En parallèle, il fait plus chaud et il pleut moins. Certains minéraliers, notamment en France, ont dû restreindre leur production. Ce n'est pas le cas de l'usine Henniez, dans le village vaudois éponyme. Son eau provient d'une source naturelle située en dessus du village.
"Le débit est plus ou moins constant: environ 18'000 à 20'000 m3/h d'eau minérale. Nous exploitons un peu plus de 50%. L'eau nous arrive naturellement et on la remet à la nature par la suite", indique le fontainier de Nestlé Waters Michel Marcuard.
Cette eau, qui traverse donc toutes les couches du sol, met entre sept et dix ans avant d'être captée. "Nous sommes un tout petit acteur. Les minéraliers représentent 0,05% des captages d'eau potable sur l'ensemble de l'Europe", souligne Alessandro Rigoni, directeur général de Nestlé Waters Suisse.
L'eau de confort
Réduire la consommation des PME
Les commerces et les industries absorbent 220 millions de litres d'eau par année, soit un quart de l'eau potable consommée en Suisse. L'eau est un enjeu important pour le camping Yverdon Plage, par exemple.
L'or bleu est sa quatrième plus grosse facture derrière les salaires, le loyer et l'énergie. La facture représente 20'000 francs pour un peu plus de 4000 m3 par année, l'équivalent de plus de 210'000 fontaines à eau.
Pour économiser, le camping a donc renoncé à arroser les pelouses. Tant pis si elles deviennent jaunes. La clientèle ne s'en plaint pas. Pour le reste, en revanche, il était difficile pour le camping de prendre des mesures. Les occupants paient et s'attendent à recevoir certaines prestations.
L'eau de l'agriculture
Un secteur dynamique qui repense ses pratiques
L'agriculture, l'arboriculture et la viticulture, ces activités qui nous nourrissent, font face à des étés de plus en plus chauds et à des épisodes prolongés de sécheresse. Ils nécessitent par conséquent toujours plus d'eau, notamment pour abreuver les animaux. Ainsi, environ 10% de l'eau potable consommée en Suisse incombe à ce secteur d'activité, selon une évaluation d'Agroscope et de l'Office fédéral de l'agriculture.
Les agricultrices et les agriculteurs tentent donc de limiter leur consommation. L'une des clés est de bien connaître les sols. "Ce qui est intéressant pour garantir l'eau pour certains cépages problématiques, c'est vraiment de les planter au bons endroits", explique ainsi Aurélien Rolaz, qui exploite un domaine familial de vigne à Gilly, sur la Côte vaudoise.
L'efficience des systèmes d'irrigation est aussi au coeur des réflexions. Des projets de réseaux communautaires précurseurs sont apparus dans les années 1980, initiés après la sécheresse de 1976. Et des nouvelles techniques sont actuellement étudiées pour limiter l'usage de l'eau, comme la mise en place régulière de bilans hydriques, ou de sondes, pour mesurer l'humidité des sols.
L'eau en bouteille
Des entreprises innovent pour polluer moins
La consommation d'eau en bouteille est une source importante de pollution. Les bouteilles en plastique sont en effet l’un des principaux déchets que l’on retrouve dans la nature.
Dans le monde, environ 350 milliards de litres d'eau en bouteille sont consommés chaque année. Selon les Nations unies, ce chiffre passera à 460 milliards en 2030.
Des sociétés proposent des solutions innovantes pour boire de l'eau en bouteille sans exploser son bilan carbone. Parmi elles figure BWTR à Lausanne, qui fabrique de l'eau en bouteille, plate ou pétillante, mais de façon écologique.
Tout d'abord, le goulot est plus large, ce qui favorise son nettoyage. Ensuite, les étiquettes collantes sont bannies. Et enfin, on évite à tout prix que l'eau parcoure trop de kilomètres avant d'être consommée ou que des nappes phréatiques soient surexploitées.
Le concept séduit déjà de grands hôtels, mais aussi des plus petits commerçants, notamment des restaurants.
L'eau en ville
Le concept de ville éponge
Le réchauffement climatique nous oblige à revoir notre utilisation et notre consommation d'eau et il nous contraint aussi à revoir notre urbanisme.
Durant longtemps, les politiques d'aménagement urbain ont favorisé un écoulement rapide de l'eau en la faisant disparaître dans les canalisations. Mais il faudrait peut-être revoir ce système pour pouvoir stocker et réutiliser ce bien précieux.
Plusieurs villes, dont Fribourg, s'essaient à un nouveau concept, celui de "ville éponge", qui vise à rediriger l'eau vers la végétation qui va l'absorber lors de fortes pluies et rafraîchir les habitantes et habitants par temps de canicule.
La ville éponge, c'est aussi moins de béton, plus de sols perméables et d'espaces verts. Mais l'idée ne fait son chemin que lentement.