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Faux abonnés, faux commentaires ou faux "j'aime": comment tricher sur Instagram?

Le business des influenceurs
Le business des influenceurs / Mise au point / 12 min. / le 27 août 2023
Acheter des abonnés ou des "j’aime" pour paraître plus populaire sur les réseaux sociaux: des sites internet proposent ce type de services pour une poignée de francs suisses. Parmi la clientèle, des personnes actives dans le monde de l’influence, de la politique ou du sport, comme le révèle une enquête de Mise au Point.

En quelques clics, l'équipe de Mise au Point est virtuellement devenue, avec son profil "Emmalicieuse", l'un des comptes Instagram les plus prometteurs de Suisse romande. Pourtant, sur le profil de cette dernière, rien n’est vrai. Tout est acheté sur des sites internet qui proposent des centaines d'abonnés et des "j’aime" pour quelques euros.

Pour paraître plus populaire et gonfler son audience, Emmalicieuse a ainsi pu compter sur l'achat de plus de 13’000 abonnés, de milliers de "j’aime" et de milliers de vues pour ses vidéos. Avec un budget total de 300 francs suisses, il a également été possible de lui payer des dizaines de commentaires comme "trop belle la photo" ou encore "j’adore ton look". Son profil a depuis été effacé.

>> Lire aussi : Les influenceurs suisses sont-ils hors la loi?

Durant l’expérience qui a duré quelques semaines, le compte Emmalicieuse n’a jamais été bloqué par Instagram. Le réseau social prétend pourtant lutter activement contre les abonnés achetés et autres techniques pour gonfler sa notoriété.

Capture d'écran du profil d'Emmalicieuse [Instagram]
Capture d'écran du profil d'Emmalicieuse [Instagram]

Sous-traitants basés en Asie

Parmi les fournisseurs d’abonnés achetés, Marc*, le patron d’une entreprise française spécialisée dans le domaine, a accepté de répondre aux questions de Mise au Point sous couvert d'anonymat.

"Il y a différents types de qualité d’abonnés, avec plus ou moins de photos et d’éléments pour les rendre plus authentiques. Une fois qu'un client nous fait une commande, nous utilisons des stocks de profils pour générer des "j’aime" ou des commentaires. Généralement, ce ne sont pas de vraies personnes qui cliquent, tout est fabriqué par des réseaux d’ordinateurs et des sous-traitants basés en Asie. Il y a également la possibilité d’obtenir des vrais profils, des vrais abonnés. Ceci est possible grâce à des concours où il est obligatoire de s’abonner à nos clients. Ce service coûte plus cher", révèle-t-il.

Ces gens veulent crédibiliser leur présence sur les réseaux. Avoir 100 ou 50’000 abonnés, cela fait la différence

Marc*, le patron d’une entreprise française spécialisée dans le domaine

Le jeune homme ne souhaite pas donner le nom de ses clients. "Parmi eux, il y a des gens qui souhaitent briller sur les réseaux, qui souhaitent impressionner leurs amis. Ce sont des 'Monsieur et Madame tout le monde'", explique-t-il au micro de l’émission de la RTS. Avant d'ajouter qu'il y a aussi des politiciens, des influenceurs et de grosses entreprises qui font appel aux services de son entreprise. "Ces gens veulent crédibiliser leur présence sur les réseaux. Avoir 100 ou 50’000 abonnés, cela fait la différence", souligne-t-il.

Son entreprise est également sollicitée pour se servir de l’algorithme de YouTube. Ces plateformes mettent en avant, comme il l’explique, les vidéos qui ont du succès. Et le succès amène le succès: "Notre service permet de créer de la visibilité. J’ai un client qui achète des dizaines de milliers de vues dès qu’il publie une vidéo. À chaque fois, cela lui permet de mettre en avant sa vidéo. Des vraies personnes finissent par aller voir sa vidéo. Et il fait ainsi facilement un million de vues", poursuit-il.

Avec Emmalicieuse, la fausse influenceuse de Mise au Point, les abonnés ont été achetés via le site de Marc, mais également sur le site de ses concurrents. Ceci a permis d’identifier précisément un échantillon de 200 profils payants sur Instagram. L’équipe data de la RTS a analysé ces 200 comptes. Ces profils payants sont abonnés à Emmalicieuse, mais également à toute une série de gens bien réels.

Des sportifs, artistes et politiciens

nicocapone.comedy [Instagram]
nicocapone.comedy [Instagram]

De petites célébrités locales, des entrepreneurs, mais aussi quelques sportifs et artistes ont les mêmes abonnés qu’Emmalicieuse. Sur les 200 profils payants analysés, une cinquantaine suit par exemple le joueur de football Olivier Boumal. On trouve également une politicienne turque, Elvan Işık Gezmiş, membre du Parlement.

En Suisse, c’est chez des influenceurs vaudois, nicocapone.comedy, qu’on retrouve une partie de notre échantillon de profils payants. Le couple vaudois, connu sur internet, fait régulièrement des apparitions à la télévision. Il affiche officiellement plus de 10 millions d’abonnés sur Instagram.

Contactées, aucune de ces personnes n’a répondu à nos questions. Attention toutefois: les profils payants analysés se sont peut-être abonnés exceptionnellement gratuitement à ces différentes personnes.

Sortir du lot

Mais pourquoi cette course aux "j’aime", aux abonnés ou aux commentaires? Certains influenceurs interrogés ont avoué sous couvert d'anonymat utiliser ces artifices afin de sortir du lot et devenir attractifs pour les marques. En Suisse, une personne influenceuse peut déjà gagner plusieurs milliers de francs par mois avec 20 à 30'000 abonnés.

Avec l’avènement des réseaux sociaux, des agences d’influence ont vu le jour. Ces agences mettent en relation les marques avec des influenceurs. Ils utilisent des outils afin de vérifier l’authenticité des influenceurs, mais la supercherie est parfois très dure à détecter. Hors caméra, des agences d’influenceurs avouent à demi-mot connaître l’ampleur du faux. Cette supercherie ne semble toutefois pas leur poser des problèmes.

"Si 50% des abonnés d’un instagrammer sont achetés, ce n’est pas si grave. Certains ont plus d’un million de followers... Alors 50% de faux, ça reste 500'000 personnes qui peuvent être touchées, impactées par cette personne. Ca reste très intéressant de faire de la publicité avec ces influenceurs", indique l’une d’entre elles.

Dans ce monde du faux, entre la course à la notoriété, aux partenariats, aux "j’aime" et aux commentaires, il est difficile de savoir qui joue le jeu sans tricher. Les consommatrices et consommateurs lambda sont donc laissés à eux-mêmes dans la jungle d’Instagram.

*Nom connu de la rédaction

François Ruchti, Camille Lanci, Valentin Tombez

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