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Un laboratoire d’analyses accorde des ristournes vertigineuses à des médecins romands

Les pratiques interpellantes d'un laboratoire d'analyses
Les pratiques interpellantes d'un laboratoire d'analyses / A bon entendeur / 9 min. / le 22 août 2023
Un laboratoire d’analyses médicales basé à Genève a versé des montants substantiels à des cabinets médicaux romands, révèle mardi une enquête de la RTS. Des ristournes octroyées entre autres sous la forme de paiements de contributions locatives ou de salaires d’assistantes.

Basé à Genève, le laboratoire MGD est actif dans toute la Suisse romande et c'est une entité bien connue des particuliers qui ont fait appel à ses services pour se faire tester pendant la pandémie de coronavirus. Certaines de ses pratiques sont en revanche nettement moins connues. Notamment celles qui concernent les rétrocessions versées par le laboratoire à certains cabinets médicaux avec lesquels il collabore.

D’après les informations obtenues par l’émission "A Bon Entendeur" de la RTS, le laboratoire a versé des rétrocessions parfois vertigineuses. Dans le cas d’un cabinet médical genevois, il est question de ristournes chiffrées en centaines de milliers de francs par an. "Ce qui m’a le plus choquée, c’est que pour avoir des clients avec des analyses qui coûtent cher, le laboratoire s’est permis de payer soit des loyers chez des médecins, soit de rémunérer des assistantes afin que celles-ci fassent des prélèvements envoyés au laboratoire MGD et non pas à un autre laboratoire", dénonce une ancienne employée. "Afin de préserver ses clients, le laboratoire a rémunéré d’une manière détournée certains médecins pour obtenir des analyses à réaliser."

Contrat signé

Dans un contrat signé entre MGD et un cabinet genevois figure par exemple: "Le laboratoire MGD s’engage à payer un loyer de 2000 francs par mois." Le même document indique que le laboratoire s’engage à payer 1000 francs par mois "pour le travail de prélèvement effectué par l’infirmière". Soit un montant de 36'000 francs par an, alors que le paiement de contributions locatives ou de salaires d’employés de cabinets médicaux est pourtant expressément interdit par le canton de Genève, qui a publié une prise de position sur le sujet en 2019.

Parmi les pratiques qui interpellent figure également le versement d’honoraires généreux pour des activités de consultants. Par exemple, plus de 40'000 francs en une année pour une gynécologue genevoise.

Parfois, des prestataires sollicitent directement des avantages auprès du laboratoire. Une assistante médicale a ainsi écrit à MGD pour demander l’annulation de la facture de ses propres analyses d’urine. Une autre a demandé une rémunération de 5 francs par prise de sang effectuée par ses soins.

Problématique, selon la FMH

Présidente de la FMH, la faîtière des médecins, Yvonne Gilli condamne clairement ce type de ristournes. A propos du paiement de salaires d’assistants ou d’infirmiers, elle répond: "Si l’employé travaille pour le médecin, cela n’est assurément pas en ordre selon nous, parce que cela contrevient à la loi sur les produits thérapeutiques. Ce serait une incitation à favoriser ce laboratoire ou alors à faire plus d’analyses que nécessaire dans ce laboratoire et d’une certaine manière cela favoriserait la corruption."

Le discours des assureurs maladie vis-à-vis de ce type de rétrocession est également très sévère. "Tout avantage perçu par un médecin devrait être restitué aux assurés, c’est la LAMal qui le précise, donc ces pratiques sont à notre sens illégales", rappelle Christophe Kaempf, porte-parole de Santésuisse, qui fédère une quarantaine de caisses maladie. "Je rappelle que les coûts des laboratoires sont très élevés en Suisse. On paie nos analyses trois fois plus cher que dans les pays voisins. Il est quand même anormal que ces tarifs très élevés servent à payer pour des avantages ou pour l’enrichissement de certains médecins." L’enjeu est également d’éviter tout incitatif qui pourrait potentiellement conduire à une sur-prescription d’analyses.

Facturation erronée

Parmi les pratiques du laboratoire MGD pointées par les différents témoignages recueillis par la RTS se trouve également la facturation de certaines prestations. "Le laboratoire peut modifier, et l’a fait, des codes en facturation pour pouvoir facturer aux assurances une analyse qui n’a pas été faite en réalité, qui a été modifiée et qui correspond à une analyse différente dans le bilan", explique une ancienne employée. "Vous faites une analyse sur la vitamine D qui n’est pas remboursée, celle-ci va devenir une analyse de zinc, qui elle est remboursée. Ça ce sont des pratiques que j’ai pu constater."

Un assureur maladie déclare à ce propos avoir épinglé le laboratoire pour ce type d’erreurs et avoir obtenu des dizaines de milliers de francs de remboursement.

Le laboratoire se défend

"Nous nous conformons aux règles et usages en vigueur ainsi qu’aux contrôles réguliers des autorités cantonales et fédérales, afin de garantir la qualité de nos analyses. Notre activité relève au surplus du droit privé", répond MGD par écrit.

Et d'ajouter: "Les praticiens choisissent librement les laboratoires avec lesquels ils travaillent, sans incitation aucune de notre part. La même liberté appartient aux patients. Nous avons conscience que nous sommes un acteur majeur du secteur de la santé et gardons à cet égard une attitude responsable s’agissant des coûts de la santé."

Linda Bourget

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10 francs par prescription, une pratique controversée

Au-delà des pratiques de MGD, la question des rétrocessions versées par les laboratoires aux cabinets médicaux est largement disputée. Les cantons de Genève et de Vaud admettent ainsi une rétrocession de 10 francs par prescription, dans un contexte bien spécifique: lorsque le prélèvement a lieu en cabinet, si le travail pré-analytique (prescription, commande, etc.) est réalisé selon un protocole bien précis et de manière informatique, le laboratoire peut verser au médecin une rétrocession de 10 francs par prescription. Les modalités de ces ristournes doivent être encadrées par un contrat.

Mais les assureurs maladie s’y opposent avec véhémence: "Pour nous, c’est une interprétation de la loi qui est problématique parce qu'on est d’avis que les gestes effectués par le médecin sont déjà couverts par le tarmed et que ces 10 francs finalement constituent un avantage", argumente Christophe Kaempf, porte-parole de Santésuisse.

Sur le principe, l’avantage constitué par une ristourne est admissible dans la mesure où il est répercuté auprès de l’assureur ou de l’assuré. Pour l’Office fédéral de la santé publique, "une rémunération de 10 francs par commande pour les activités pré-analytiques (…) caractérise un gain financier pour le médecin et peut donc constituer un avantage, qui devra auquel cas être répercuté. Le médecin devra l'indiquer dans le cadre de la facturation."

Les autorités se renvoient la balle

Interrogée sur les rétrocessions de plusieurs centaines de milliers de francs qui auraient été versées par MGD à un cabinet médical genevois, la présidente de la FMH estime le cas sérieux: "Pour nous, cela doit assurément être examiné et vérifié. Là, les autorités sont invitées à regarder ça de plus près", commente Yvonne Gilli.

Mais les autorités contactées se renvoient la balle. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) indique ne pas être compétent en la matière. "Lorsqu’un laboratoire accorde un avantage à un autre fournisseur de prestations mais que ce dernier ne le répercute pas, il appartient à la personne assurée ou à l'assureur d'agir le cas échéant", indique l’OFSP, qui précise encore que "les autorités cantonales de surveillance peuvent sanctionner la violation des devoirs professionnels par les fournisseurs de prestations".

Interpellée, la pharmacienne cantonale genevoise estime ne pas avoir suffisamment d’éléments pour se pencher sur le cas de MGD. Elle renvoie au code de déontologie de la FAMH, la faîtière des laboratoires d’analyses. Celle-ci s’est en effet récemment dotée d’un nouveau code de déontologie qui encadre les pratiques de ses membres et auquel le laboratoire MGD a adhéré.