Après la publication d'une photo d'un jeune enfant, en trottinette, à quelques mètres d'un homme qui se pique dans le quartier de la Riponne à Lausanne, les riverains ont manifesté leur mécontentement dans la presse cette semaine. Les autorités de la Ville de Lausanne ont confirmé une "grande dégradation de la situation depuis l'été" et se disent interpellées par la rapidité du phénomène.
Cette problématique ne concerne pas uniquement les cités romandes. A Zurich, une quarantaine de consommatrices et consommateurs de drogues dures se sont installés dans un parc de la ville, le Bäckeranlage, situé à proximité d'une école et d'habitations, en raison de la délocalisation d'un local d'injection hors du centre-ville. La consommation à ciel ouvert a également augmenté à Bâle cet été, selon le Département de la santé de la Ville. Du côté des Grisons, une centaine de toxicomanes ont investi le centre de Coire, une situation déjà connue mais qui s'est intensifiée cet été, selon SRF. Les autorités et les riverains sont en train de chercher et mettre en place des mesures.
"Hyperdisponibilité" de la cocaïne
Invité de La Matinale de la RTS vendredi, Frank Zobel, vice-directeur d'Addiction Suisse, s'inquiète lui aussi de cette problématique de consommation de drogue dans l'espace public. "On a des phénomènes de fond qui sont en train de changer en Suisse. Il y a une hyperdisponibilité de la cocaïne, qu'elle soit injectable ou sous forme de crack [...] Le prix est extrêmement bas et le produit est très, très pur. On n'a jamais vu ça", s'alarme-t-il.
Depuis dix ans, l'augmentation de la consommation de crack - une cocaïne sous forme de cristaux qui se fume et atteint rapidement le cerveau, générant une euphorie encore plus grande que le produit aspiré par le nez - s'est faite progressivement en Suisse. A Genève, par exemple, son arrivée découle de l'installation de trafiquants déjà connus à Paris et qui sont responsables du trafic dans la capitale française et à Lyon, explique Frank Zobel.
Dans la Cité de Calvin, cette consommation s'est installée chez une population "qui ne consommait pas de crack, ou très peu, jusque-là, et ça a créé un désordre absolument fantastique", décrit le sociologue.
Se réapproprier l'espace public
Dans le quartier genevois des Grottes, une stratégie de réappropriation de l'espace public, organisée en partenariat avec la Ville, a été mise en place. Son coeur est en effet investi par une population marginalisée depuis quelques mois, notamment les usagers de crack écartés de Quai 9, le local d'injection voisin.
La conseillère administrative Christina Kitsos, chargée de la cohésion sociale, y voit un moyen pour apaiser les tensions et les incivilités provoquées par la présence des toxicomanes. Cette politique sociale de proximité, en investissant "l'espace public de manière positive", permet de "créer les liens, d'amener une collectivité", souligne-t-elle vendredi au micro de La Matinale de la RTS.
Le parti Ensemble à gauche souhaite faciliter la mise en place de ce type de projets en déposant une motion au législatif de la Ville de Genève en ce sens.
Reprendre le contact
Pour Frank Zobel, les solutions pour limiter ce phénomène relèvent "de la fine dentelle". "Il faut trouver le bon compromis entre des mesures de maintien de l'ordre public, de réduction des nuisances publiques et des mesures socio-sanitaires pour ne pas perdre le contact avec les populations marginalisées". Et le directeur adjoint d'Addiction Suisse de préciser que cela passe par une étroite collaboration entre la police et les travailleurs sociaux, déjà mise en place à Lausanne et à Genève.
Il évoque également la mise en place de structures, comme les locaux de consommation. Mais pour lui, cela passe aussi par le fait d'aller dans la rue et de briser un tabou: "C'est quelque chose qui se fait encore peu, mais chez les consommateurs de drogue et même chez les vendeurs, il y a du civisme et vous pouvez travailler avec ça, en allant les voir, en parlant et en collaborant avec eux."
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"Je pense que si on accepte le fait que, du moins pour la cocaïne à l'heure actuelle, on a perdu la bataille de l'offre - tous les indicateurs vont dans ce sens-là -, il faut commencer à réfléchir à ces autres solutions", estime-t-il. Quant aux riverains excédés, la meilleure solution serait de les inclure dans la réflexion sur les solutions, conclut Frank Zobel.
Propos recueillis par Valérie Hauert
Sujets radio: Mohamed Musadak/Camille Degott
Adaptation web: mera/jfe
Un nouvel espace de consommation près de la Riponne à Lausanne
Invitée vendredi soir dans Forum, la conseillère municipale lausannoise en charge des Sports et de la Cohésion sociale Emilie Moeschler (PS) est revenue sur la dégradation de la situation à Lausanne en matière de consommation de drogue dure dans l'espace public.
"Il y a une année, on a commencé à travailler sur une antenne de notre espace de consommation de drogue sécurisé, à la Riponne, proche de ces personnes qui consomment, afin de pouvoir leur proposer une alternative aux consommations dans la rue", a-t-elle expliqué.
Elle souligne au passage que le marché n'est pas le même à Lausanne et à Genève. "A Lausanne, de la 'cocaïne-base' est vendue. Les consommateurs doivent préparer leur crack eux-mêmes, ce qui coupe les épisodes de consommation. Mais ça n'en reste pas moins des situations très préoccupantes pour les personnes et pour le voisinage, qui subit de plein fouet ces consommations", convient-elle.
>> Ecouter l'interview d'Emilie Moeschler dans Forum: