Avant 1848, la Suisse est composée d'une alliance de cantons et demi-cantons souverains. Au début du XIXe siècle, la vie de cette famille bigarrée de petits Etats au centre de l'Europe connaît des turbulences. Les tensions atteignent leur paroxysme avec la guerre du Sonderbund, qui éclate le 3 novembre 1847. Le conflit oppose ledit Sonderbund, une ligue de sept cantons conservateurs, catholiques et "sécessionnistes", aux cantons libéraux menés par le camp radical, partisan d'un Etat fédéral.
Le conflit est bref - 25 jours - et fait 60 morts. Il se solde par la défaite du camp catholique. Ce qui donne un coup d'accélérateur à la rédaction d'une Constitution. Une commission se met au travail le 17 février 1848 et accouche, 51 jours plus tard, du texte qui remplacera le Pacte fédéral de 1815. La Diète fédérale, l'assemblée des représentants des cantons, l'adopte le 27 juin avec quelques retouches.
AU NOM DE DIEU TOUT-PUISSANT! La Confédération suisse, voulant affermir l'alliance des Confédérés, maintenir et accroître l'unité, la force et l'honneur de la Nation suisse, a adopté la Constitution fédérale suivante
Il faut alors que les cantons se prononcent. On décide que la Constitution n'entrera en vigueur qu'avec l'acceptation de la majorité de ceux-ci. Des scrutins populaires décident alors du sort de la nouvelle loi fondamentale, à l'exception de Fribourg, où le Grand Conseil s'en charge.
Verdict: quinze cantons et demi disent oui et six et demi, pour l'essentiel des membres du Sonderbund, disent non. Mais ces derniers acceptent le résultat.
Ce qui nous mène au 12 septembre. La Diète fédérale constate l'approbation de la nouvelle Constitution. La Suisse n'est plus une confédération, même si elle en garde le nom.
Un gouvernement et deux Chambres
Le visage politique du pays a considérablement changé. Il s'est doté d'un gouvernement collégial, le Conseil fédéral, qui compte alors sept membres comme aujourd'hui. Il est élu pour la première fois le 16 novembre.
Et pour l'élire, il fallait un Parlement, élu lui en octobre. Inspiré du modèle américain, il est composé de deux Chambres aux prérogatives égales, l'une représentant le peuple, l'autre les cantons. Une manière de garantir l'autonomie et l'influence de ceux-ci.
Plusieurs tentatives manquèrent de faire élire le Conseil fédéral par le peuple et de lui donner deux membres supplémentaires.
Les Cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n'est pas limitée par la Constitution fédérale, et, comme tels, ils exercent tous les droits qui ne sont pas délégués au pouvoir fédéral
Les grandes lignes de la séparation des pouvoirs, le fédéralisme, l'égalité des citoyens devant la loi, la souveraineté populaire, l'abolition des douanes cantonales ou encore la liberté d'établissement des citoyens sur tout le territoire figurent au menu de la Constitution de 1848. En cette année de révolutions déçues en Europe, la Suisse est un îlot de démocratie dans une Europe à tendance monarchique.
Un corps électoral limité
Démocratie? Tout dépend de ce qu'on entend par là. Les femmes sont exclues des droits politiques, tout comme les juifs. Ces derniers n'ont pas le droit de s'établir où ils veulent, condition pour devenir électeur.
Les juifs bénéficieront de la révision partielle de la Constitution de 1866 pour jouir des mêmes droits que les chrétiens. Les femmes, en revanche, n'obtiennent le droit de vote au niveau fédéral qu'en 1971.
En 1848, la Suisse est, dans les grandes lignes, une démocratie représentative. Le peuple peut seulement modifier la Constitution. Pour le reste, ce sont ses représentants élus qui sont aux manettes. Plusieurs modifications constitutionnelles transformeront le système politique en démocratie semi-directe, avec en premier lieu l'introduction du référendum facultatif en 1874.
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Antoine Michel
Les articles du Dictionnaire historique de la Suisse sur l'Etat fédéral et la Constitution fédérale ont servi de sources principales à ce texte. Les lectrices et lecteurs y trouveront bien plus de détails sur l'histoire de l'Etat suisse moderne.
La Berne fédérale rend hommage à la Constitution de 1848
Les autorités fédérales et cantonales ont célébré mardi 12 septembre les 175 ans de la Constitution fédérale lors d'une cérémonie au Parlement.
"Le document le plus précieux de notre Etat fédéral a pu exceptionnellement sortir des archives fédérales aujourd'hui", a lancé mardi le président du Conseil national Martin Candinas (Centre/GR). Les 23 rédacteurs de la commission qui ont élaboré le projet de Constitution ont écrit le début d'une incroyable histoire, celle de la Suisse moderne.
L'Assemblée fédérale fonctionne aussi en grande partie comme il y a 175 ans. Les pères de la Constitution ont trouvé un compromis, qui s'est révélé être un véritable coup de génie, a poursuivi Martin Candinas: un système bicaméral selon le modèle nord-américain. Les deux Chambres sont de poids égal et doivent se mettre d'accord pour que des lois entrent en vigueur.
Un pays gouverné par les hommes
Toutefois, "à nos yeux, cette Constitution était tout sauf parfaite", selon son homologue du Conseil des Etats Brigitte Häberli-Koller (Centre/TG). Le nouvel Etat est resté durant plus de 120 ans une "République masculine".
Comme en 1848, l'Europe est en ébullition. La guerre fait rage. Certains pays s'écartent peu à peu des droits fondamentaux et humains. La presse et la diversité des opinions sont sous pression. "Nous pouvons nous estimer heureux de vivre dans un pays stable et prospère", a dit la centriste.
Un acte "particulièrement audacieux"
Le président de la Confédération Alain Berset a de son côté salué un "acte fort, risqué et particulièrement audacieux".
La création de la Suisse moderne rappelle les grands principes ancrés au cœur d’une démocratie libérale. Dignité humaine, liberté, foi dans l’avenir et volonté constante de progresser et la "conviction inébranlable que l'Etat de droit et les institutions démocratiques qui le constituent comptent parmi les plus grandes avancées de l’humanité", a énuméré le Fribourgeois.
Il a salué l'équilibre trouvé entre protestants et catholiques, ainsi qu'entre défenseurs du centralisme et partisans de la souveraineté cantonale. "Un coup de maître" mais alors "inachevé", car il excluait les femmes privées du droit de vote ou encore les Juifs à qui certains droits civiques étaient refusés.
Une oeuvre d'art inaugurée
Mardi à 18h48 précises, l'œuvre d'art "Tilo" a été dévoilée en musique sur le tympan du Palais fédéral à Berne à l'occasion de la fête des 175 ans de la Constitution. Parmi les spectateurs présents sur la Place fédérale, de nombreux parlementaires et une conseillère fédérale, Elisabeth Baume-Schneider rayonnante.
La création de l'artiste bâloise Renée Levi est composée de plaques en céramique qui reflètent la lumière différemment selon son incidence. Plus précisément, 246 plaques pour symboliser les 200 sièges du Conseil national et les 46 fauteuils du Conseil des Etats. En réfléchissant la lumière du jour et l'éclairage nocturne, la mosaïque géante doit donner à la façade l'illusion d'un léger mouvement.
L'oeuvre contemporaine est intitulée "Tilo" en hommage à la Neuchâteloise Tilo Frey (1923-2008), femme de couleur figurant parmi les 12 premières élues au Parlement fédéral, juste après l'introduction du droit de vote et d'éligibilité des femmes en 1971.
"Aujourd'hui, alors que la démocratie est menacée dans de nombreuses régions du monde, nous pouvons être fiers d'une Constitution qui respecte la dignité humaine, protège contre la discrimination et renforce l'égalité des chances, la diversité, la tolérance et la liberté", a déclaré la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider sur le réseau social X.