Après la nouvelle augmentation attendue des primes maladie et l'inflation qui touche maintenant le pays depuis de nombreux mois, l'annonce de l'ElCom a fait l'effet d'un nouveau coup de massue. En moyenne, les prix de l'électricité devraient augmenter de 18% dès 2024. Une situation qui connaît aussi des grandes disparités, d'une commune à l'autre et selon les fournisseurs.
A titre d'exemple, les envolées les plus marquées en Suisse romande se situent dans le canton de Fribourg. Les tarifs du Groupe E pour un ménage consommant 4500 kWh grimpent d'environ 28% dans de nombreuses communes. A Estavayer-le-Lac, la facture grossira même de 33%.
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L'achat d'électricité en avance
Cette hausse des prix ne reflète pourtant pas l'état actuel du marché. Alors que l'année dernière, les prix par kWh sont montés à 50 centimes, voire un franc, ils sont maintenant d'environ 10 centimes.
Quand on regarde les prix de l'électricité l'an dernier, c'était la folie. Ils ont été multipliés par dix, par vingt. Aujourd'hui, ils ne sont 'que' deux fois plus élevés qu'avant la crise
Invité du 19h30 jeudi, Nicolas Charton, consultant en stratégie énergétique, donne des explications pour ce qui pourrait d'abord sembler contre-intuitif. "Quand on regarde les prix de l'électricité l'an dernier, c'était la folie. Ils ont été multipliés par dix, par vingt. Aujourd'hui, ils ne sont 'que' deux fois plus élevés qu'avant la crise. Donc, le premier effet, c'est que les prix n'ont pas complètement baissé", expose-t-il.
Mais pour le directeur général du cabinet de conseil E-CUBE, c'est surtout le fait que les fournisseurs achètent leur énergie en avance qui explique la différence. "Les fournisseurs ont acheté un bout de l'énergie l'an dernier, lorsque c'était très cher", juge-t-il.
D'après l'expert et à condition qu'une nouvelle crise n'éclate pas, "on devrait constater une baisse progressive" du prix de l'électricité.
Pas de blackout à l'horizon
Au-delà de l'augmentation des prix sur le marché, 2022 avait aussi été l'année où le Conseil fédéral avait martelé par des affiches et des spots publicitaires le besoin d'économiser de l'énergie face à un risque de pénurie pouvant mener à un blackout, soit de nombreuses coupures de courant.
La situation s'est depuis sensiblement améliorée. Pour l'électricité, tous les voyants sont au vert. Les bassins d'accumulation qui alimentent les centrales hydrauliques sont remplis à 82%, quatre des cinq centrales nucléaires suisses sont en état de marche, et le parc nucléaire français, principal fournisseur, a quant à lui fini d'être rénové, après des mois de travaux.
Pour le gaz aussi, l'heure est à l'optimisme. Les cuves qui alimentent la Suisse sont remplies à 90% en France et 94% en Italie et en Alllemagne. Les stocks de Gaznat, principal fournisseur de Suisse romande, atteignent aujourd'hui 96% de leurs capacités maximales.
"Tant qu'il n'y a pas d'autres phénomènes qui perturbent l'approvisionnement, que ce soit des tensions géopolitiques ou des sabotages, on est assez confiant pour l'hiver prochain", explique dans le 19h30 le directeur général de Gaznat, René Bautz.
Une Suisse toujours très dépendante de l'étranger
"La situation s'est significativement améliorée par rapport à ce qu'on avait à la même date l'an dernier", confirme Nicolas Charton tout en restant prudent au vue "des incertitudes internationales".
Mais si la pénurie ne semble plus être à l'ordre du jour, la dépendance à l'étranger est elle toujours très nette. Pour le consultant, c'est d'ailleurs en grande partie l'embellie dans les centrales nucléaires françaises qui explique que la situation se soit améliorée à ce point pour la Suisse.
Quand on parle de pénurie d'énergie, ce sont des réflexions qui prennent des dizaines d'années pour pouvoir se corriger
"La Suisse reste très dépendante des centrales nucléaires françaises, puisque pour le passage de l'hiver, elle doit importer de l'énergie. Elle est aussi dépendante des stocks de gaz en Allemagne", rappelle-t-il.
Pour ce spécialiste, il s'agit donc de transformer "le mix énergétique" du pays, ce qui prend toujours du temps. "Quand on parle de la pénurie d'énergie, ce sont des réflexions qui prennent des dizaines d'années pour pouvoir se corriger. C'est pour ça que la situation n'a pas radicalement changé pour la Suisse par rapport à l'an dernier", juge-t-il.
Et de conclure: "Il va falloir investir dans des capacités de production en Suisse. Accélérer encore le mouvement dans du solaire, de l'éolien, et dans ce qu'on peut encore faire en hydroélectrique pour améliorer la situation (...) il y a encore du chemin à faire".
Propos recueillis par Philippe Revaz
Adaptation web: Tristan Hertig