"L'avis d'ici": les Suisses et les Suissesses partagent leurs préoccupations sur le pouvoir d'achat
Tous les quatre ans, dans le cadre des élections fédérales, les partis rivalisent d'idées et de slogans. Mais sont-ils à la hauteur des préoccupations des Suissesses et des Suisses? Dans "L'avis d'ici", 18 personnes issus de différentes régions de Suisse romande partagent leurs inquiétudes et leurs préoccupations dans les différents rendez-vous d'actualité de RTS La Première.
Cette semaine, les témoins partagent leurs préoccupations sur le pouvoir d'achat.
Débat Forum
Quelles solutions politiques pour préserver le pouvoir d'achat?
Le 3e grand débat en vue des élections fédérales était organisé jeudi à Boudry (NE) autour du thème du pouvoir d'achat.
Dans le cadre de l'opération "L'avis d'ici", l'émission Forum a soumis les trois témoignages de la semaine - à découvrir ci-dessous - à six candidates et candidats au Conseil national: les sortants Samuel Bendahan (PS/VD) et Simone de Montmollin (PLR/GE) ainsi que Valérie Dubosson (Verte/NE), Virginie Cavalli (PVL/VD), Mathias Delaloye (UDC/VS) et Laura Galati (Centre/GE).
Selon le sondage SSR "Comment va la Suisse?", seuls un peu plus de 20% des Suisses et des Suissesses déclarent n'être pas du tout inquiets de leur situation financière. À l'inverse, près d'un tiers des sondés disent souffrir de soucis financiers.
Entretemps, plusieurs augmentations du coût de la vie, dont la traditionnelle hausse des primes-maladie, ont été annoncées pour 2024.
Du 11 au 15 septembre, trois personnes témoins de réalités économiques différentes s'expriment sur cette thématique:
Caroline Martin est assistante en faculté de Lettres à l'Université de Genève. À 31 ans, elle vit en colocation. Son revenu net de 4900 francs lui suffit pour vivre, mais il ne lui reste souvent pas grand-chose à la fin du mois. Avec l'augmentation des prix, elle a dû faire preuve de davantage de vigilance sur ses dépenses quotidiennes. Heureusement pour elle, en tant que fonctionnaire, son salaire est indexé à l'inflation. "Cette année, on a eu une allocation de vie chère qui a fait une différence", témoigne-t-elle.
Sylvie Colomb, 53 ans, travaille à 80% dans l'industrie fromagère. Elle vit à Lausanne et peine parfois à payer certaines factures. "C'est vraiment à flux tendu", explique-t-elle. "Ce n'est pas une inquiétude, on fait avec", poursuit-elle, précisant qu'elle doit parfois demander l'aide de ses enfants en cas de "grosse facture imprévue". Et si elle arrive malgré tout à s'offrir quelques loisirs, c'est aussi grâce au revenu de son compagnon.
Enfin, Philippe Doffey est directeur général de l'entreprise vaudoise de services financiers Retraites Populaires. À l'approche de la retraite, ce conseiller communal de Lutry (VD) n'a donc pas de problème d'argent. Féru de sports d'endurance et de montagne, il peut ainsi financer ces loisirs coûteux. Il se dit toutefois "préoccupé" par la situation et craint l'émergence d'une Suisse à deux vitesses, en particulier pour les classes plus précaires et les rentiers.
Habitat
Les "bobos" du quartier sous-gare
Le quartier sous-gare à Lausanne a beaucoup changé. Longtemps peuplé d'ouvriers, il est désormais réputé pour être un repère de bobos. Une transformation qui ne réjouit pas certains habitants de longue date, comme Sylvie Collomb.
"Des trucs de bourges"
Ce quartier, c'est le sien. Elle y est née, y a grandi et, en 53 ans, il est devenu différent. "Quand j'étais petite, c'étaient beaucoup des postiers, des gens des CFF, des employés communaux. Il y avait des coopératives et des immeubles qui étaient construits pour ces gens", évoque-t-elle avec nostalgie.
"Puis on a eu des multinationales, une école de management et beaucoup d'expatriés. C'est tout devenu des trucs de bourges: sushis, fitness et compagnie. C'est des bobos, comme on dit."
Des prix qui prennent l'ascenseur
Un quartier vivant donc, mais surtout plus cher, selon elle. "Il y a beaucoup de personnes âgées qui sont décédées, ont laissé de grands appartements qui ont été refaits et loués à des prix de fous. Les quatre pièces, c'est 3000 francs minimum. Bientôt, on ne pourra plus habiter dans ce quartier."
"On essaie de garder notre appartement, qui n'est pas cher pour ce que c'est et on a deux salaires, donc ça fonctionne", mais on devra "quitter cet appartement en tout cas", voire "changer de quartier". Sylvie Collomb relativise tout de même, tout en poussant un petit coup de gueule: "Il faut faire confiance aux jeunes générations, même si pour l'instant je n'aime pas trop être traitée de bobo."
Alimentation
Derrière le porte-monnaie, la réalité des achats alimentaires
Le ticket à la fin des courses a beaucoup augmenté. Plus de 4% en Suisse. Mais en dépit de l'inflation, le porte-monnaie n'est pas seul à guider nos choix. Habitudes et régimes alimentaires aussi.
"La consommation de viande est un non-sens"
Caroline Martin explique: "Globalement, mon régime alimentaire guide mes choix. Mes intolérances, mais aussi mon régime végétarien, voire végétalien quand je peux. L'aspect éthique aussi: emballage, provenance, saison. Enfin, l'aspect pécunier".
Elle déclare aussi trouver que la consommation de viande est un "non-sens", car pour elle, c'est "utiliser des ressources qui pourraient servir l'alimentation humaine", un "gaspillage". Si elle voit le véganisme comme une mode, elle n'estime pas cela dommageable, au sens où, si cette mode autorise une prise de conscience, c'est positif. En outre, elle dit être opposée à l'interdiction de consommer de la viande. "Je suis plutôt pour des changements pensés par le bas. Changer les mentalités pour ensuite que les habitudes changent. Ce qui est autoritaire crée des résistances violentes inverses."
"Je préfère la viande suisse au tofu canadien"
Pour sa part, Sylvie Colomb apprécie le marché de Lausanne. Elle ne trouve pas que les prix sont plus chers et, pour elle, "le rapport qualité-prix est meilleur que dans les grandes surfaces. Et ça se conserve plus longtemps", ajoute-t-elle. Elle évite aussi les primeurs, "les maraîchers qui ne cultivent pas leurs produits", pour leur préférer "les vrais maraîchers".
Sur la question de la consommation de viande, elle explique ne pas en avoir besoin tous les jours, même si elle aime en manger. Elle ajoute: "Si on arrête de manger de la viande, que vont devenir nos producteurs de viande ?" Elle pense elle aussi que le véganisme est une mode, mais pour elle, c'est un problème. "C'est un extrême et les extrêmes ne sont pas bons. Et ça n'est pas toujours juste de dire que manger végan pollue moins: je préfère manger de la viande suisse que du tofu canadien " conclut-elle.
Prévoyance retraite
La question sensible des rentes
Quelle sera l'état de mes rentes à 65 ans? De nombreuses personnes se posent cette question en Suisse. Avec le système des trois piliers, il n'est pas toujours facile de s'y retrouver.
Philippe Doffey en sait quelque chose: il dirige les Retraites Populaires et arrive à la fin de sa carrière. "On constate toujours aujourd'hui que la préparation à la retraite est une action de dernière minute. Il est vraiment important de commencer cette planification aussitôt que possible", déclare-t-il.
Sylvie Colomb, 53 ans, a augmenté son taux de travail de 50% à 80% pour cotiser un maximum. "Je n'ai jamais pu faire un troisième pilier. Ce n'était jamais le bon moment, je n'avais jamais les sous", relève-t-elle. "Par contre, quand mes enfants ont fini leur apprentissage, on leur a fait ouvrir un troisième pilier. On leur a expliqué que c'était important de commencer à cotiser très jeunes. Puisqu'on ne sait pas dans quel sens on va avec l'AVS et les prestations complémentaires, autant qu'ils prennent le pli d'économiser assez jeunes, quitte à ce que ça se relâche le jour où ils ont des enfants. Au moins, ce qui est acquis est acquis", développe-t-elle.
Caroline Martin, qui a l'âge des enfants de Sylvie, s'est décidée il y a peu à se constituer une prévoyance privée. "L'année passée, depuis mars, j'ai mis 1500 francs. Je mets 150 francs de côté par mois", détaille-t-elle en vérifiant son décompte. "En m'occupant de la paperasse de ma mère et de ma grand-mère, je me suis rendue compte de la proportion des montants entre deuxième pilier et AVS. Finalement, je vois que c'est relativement difficile de tourner. Elles devaient faire appel aux prestations complémentaires. Cela m'a interpellé sur la nécessité d'anticiper. Je me rends compte aujourd'hui que ma grand-mère nous a beaucoup soutenus. J'aimerais pouvoir faire de même quand je serai arrivée à la retraite", raconte-t-elle.
Travail
Un rapport différent à l'emploi, selon son parcours de vie
L'appétence au travail est souvent perçue comme un marqueur de l'identité suisse. Et, en fonction des indicateurs, cette idée se confirme plus ou moins. En termes de nombre d'heures travaillées en moyenne pour l'ensemble de la population (active et non-active) dès 15 ans, la Suisse est l'un des pays d'Europe où l'on travaille le plus, avec 23 heures par semaine.
Mais dans les faits, tout le monde n'entretient pas le même rapport à son emploi. Ainsi, pour Sylvie Collomb, fromagère dans une usine à Estavayer-le-Lac, le rapport au travail est avant tout financier. "C'est un travail physique et avec les trajets, ça fait des longues journées. Mais j'aime bien, et j'aime beaucoup les collègues", décrit-elle.
Longtemps mère au foyer, elle a recommencé à travailler après son divorce, à temps partiel, dans un métier typiquement masculin. Et elle espère désormais cotiser au maximum en vue de sa retraite.
Philippe Doffey, quant à lui, a toujours placé sa carrière au centre de sa vie. "J'y ai consacré beaucoup d'efforts. Et lorsque nous avons eu nos enfants dans les années 1990, je me suis pas posé une seconde la question de savoir si j'allais baisser mon temps de travail. Aujourd'hui, la nouvelle génération voit ça de manière différente, et elle a probablement raison", observe-t-il.
Grâce à cette carrière bien remplie, le patron des Retraites Populaires s'apprête à prendre la sienne à 63 ans.
Relations sociales
La Confrérie du Guillon
Ils sont 4300 dans le canton de Vaud et défendent les vins de la région et répondent au qualificatif de "compagnons": ce sont les membres de la Confrérie du Guillon. Philippe Doffey est l'un d'eux, et ils se rencontraient le week-end dernier à Concise sur les bords du lac de Neuchâtel.
"Louez soit le vin!"
La Confrérie du Guillon, c’est une manière de réseauter - un verre de blanc à la main - pour ce patron d’entreprise. "Je suis compagnon d’honneur du Guillon. Cela fait une petite année que je suis membre. Par intérêt pour la chose du vin d’abord et puis, ensuite, j'ai été approché par des connaissances dans le domaine de mes activités, notamment par un banquier", explique Philippe Doffey. En effet, chaque membre doit être recommandé par un autre membre pour entrer dans ce groupe fermé.
Avocats, directeurs et comptables
"Le compagnon d’honneur, c’est vraiment quelqu’un qui a une grande influence sur la vie de notre canton et de notre pays, estime-t-il. Tous les grands capitaines de l’industrie du canton de Vaud, tous les grands hommes et toutes les grandes femmes politiques au niveau du gouvernement sont toujours compagnons d'honneur de la Confrérie", explique-t-il encore.
Cependant, selon un membre de la Confrérie, les vignerons seraient toujours moins présents dans l'organisation. Ils ne constitueraient plus qu’un quart du conseil. On y retrouve notamment des avocats, des directeurs d’entreprise, des comptables ou encore des bouchers.
Buvette associative
Comment maintenir des prix abordables malgré l'inflation?
Malgré l'inflation qui touche le secteur de la restauration, certains établissements tentent de faire en sorte que cela ne se répercute pas sur les clients. C'est le cas de l'association La Barje à Genève, qui gère trois buvettes bien connues localement et que co-préside Caroline Martin.
"Un des objectifs, c'est la mixité sociale et donc on veut pratiquer des prix vraiment abordables", explique-t-elle.
"On n'essaie pas de générer des marges, à part pour s'auto-financer. Mais toutes nos charges vont augmenter", regrette-t-elle, expliquant la difficulté de garder des prix bas dans ce contexte-là.