L'évêque de Bâle Felix Gmür "bouleversé" par les révélations d'abus dans l'Eglise catholique
L'étude présentée mardi par le département d'histoire de l'Université de Zurich a soulevé de vives réactions. Invité dans l'émission Forum, Felix Gmür, évêque du diocèse de Bâle, explique avoir "lu cette étude d'un seul coup".
"A la fin, j'étais vraiment bouche bée, bouleversé", affirme-t-il, ajoutant que la situation est "une catastrophe".
>> Relire : Mille situations d'abus sexuels documentées dans l'Eglise catholique en Suisse
L'étude fait état de 1002 situations d'abus sexuels sur l'ensemble de la période étudiée. Parmi les victimes, on déplore 74% de mineurs. Pour Felix Gmür, il est important d'humaniser ces chiffres.
"Ce n'est pas 1002 cas, c'est des visages, c'est des personnes, c'est des vies humaines, c'est des familles, c'est un entourage, c'est des victimes, c'est des personnes qui souffrent", s'émeut-il.
Ces chiffres vertigineux ne constitueraient pourtant que la pointe de l'iceberg, selon les experts, la plupart des cas n'ayant pas été signalés et des documents ayant été détruits.
Des femmes et des enfants vus comme inférieurs
L'étude de l'Université de Zurich constitue la première étape des recherches mandatées par trois organes catholiques, dont la Conférence des évêques suisses. "La visée de cette étude était d'ouvrir des pistes pour d'autres études", explique Felix Gmür.
Pour l'évêque, il sera important que les futures études s'attardent sur les spécificités catholiques qui ont mené à une telle situation, faisant notamment référence au statut important du prêtre ou au "milieu clos" de l'Eglise catholique, "qui voulait toujours régler tout à l'interne".
Afin de comprendre comment de tels abus ont pu se produire, il faut également regarder du côté de la "morale sexuelle" catholique et de "l'image de la femme qui est liée à ça", selon Felix Gmür.
Le religieux explique que les femmes sont traditionnellement vues comme inférieures. "Et les enfants bien sûr aussi", ajoute-t-il. "L'abus sexuel, c'est toujours aussi un abus de pouvoir. C'est une relation qui est déséquilibrée", précise l'évêque.
L'importance des témoignages
Felix Gmür assure qu'à l'avenir l'Eglise catholique ne détruira plus jamais aucun document ayant trait à des situations d'abus. L'évêque appelle aussi les victimes à se faire connaître. "On les y appelle depuis longtemps, mais les victimes n'ont pas eu confiance, ce que je comprends très bien", affirme-t-il.
L'évêque rappelle l'importance des témoignages de victimes pour faire toute la lumière sur la situation. "Tous les abus n'ont pas laissé des traces dans les archives. Beaucoup n'ont pas osé dénoncer", dit-il.
Historiennes et historiens de l'Université de Zurich recueillent des témoignages d'abus dans toutes les langues nationales à l'adresse électronique recherche-abus@hist.uzh.ch.
Une responsabilité "très lourde" de l'Eglise, réagit l'évêque de Coire
De son côté, Mgr Joseph Bonnemain, qui a été chargé d'enquête par ses collègues de la Conférence des évêques suisses a déclaré qu'il interviendrait auprès du pape, s'il le faut, pour que la nonciature cède.
La responsabilité de l'Eglise catholique est "très lourde", a reconnu l'évêque de Coire. "Nous avons hésité trop longtemps à nous confronter avec ce thème et traité chaque abus comme un cas isolé, à la place de jeter un regard critique sur le système", a-t-il déploré. "Nous devons nous attaquer enfin à ce problème systémique, lié à des rapports de force, au rapport à la sexualité et à l'image de la femme. Nous devons aussi améliorer la formation des prêtres."
"Nous sommes au début d'un long chemin" et "en plein changement de culture", a enchaîné Joseph Bonnemain. Et d'annoncer les chantiers à venir: nouvelles structures institutionnelles de signalement des cas, contrôle psychologique des candidats à la prêtrise et aux ordres, professionnalisation des ressources humaines et interdiction absolue de détruire des documents liés à des abus. Sur le dernier point, les responsables de l'Eglise et des ordres se sont engagés par écrit.
Propos recueillis par Esther Coquoz
Adaptation web: Emilie Délétroz avec ats
Les associations de victimes dénoncent
La Commission écoute conciliation arbitrage réparation (CECAR), qui vient en aide aux victimes d'abus sexuels dans l'Eglise, regrette la lenteur de réaction de celle-ci.
L'Eglise catholique reconnaît ses erreurs et dit vouloir prendre des mesures, mais pour Sylvie Perrinjaquet, présidente de la CECAR, "c'est un peu tard, les choses sont connues depuis longtemps".
Interrogée dans le 19h30, elle appelle les responsables de l'Eglise à prendre leurs responsabilités, même s'ils "ne le font pas pour le moment" à ses yeux: "Cela fait dix ans qu'on leur demande de prendre une décision à propos des abuseurs et il n'y a rien qui bouge. Je crois que ce dont les victimes ont besoin aujourd'hui, c'est d'entendre qu'il y a eu abus, prédation. A partir de là, on sanctionne. L'Eglise ne sanctionne pas, qu'elle prenne ses responsabilités."
"Aujourd'hui, le pape prétend vouloir faire la lumière sur cette affaire, mais refuse toujours d'ouvrir l'accès aux archives", a dénoncé quant à lui Jacques Nuoffer, président du groupe romand SAPEC, qui soutient les personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse.
Il a également exigé la mise sur pied d'un centre national d'appel pour les victimes, d'une étude quantitative, ainsi que davantage de moyens pour des recherches sous les aspects juridiques, psychologiques et sociologiques. Il a aussi demandé aux historiens d'accorder désormais une plus grande attention aux cas des régions latines par rapport au projet pilote présenté mardi.
Elisabeth Baume-Schneider: une étude "significative pour nous amener à agir"
La publication de cette étude rencontre un écho national, jusque dans la Berne fédérale. Pour la conseillère fédérale en charge de la Justice Elisabeth Baume-Schneider, "cette étude est alarmante, mais elle est aussi un pas significatif pour nous amener à agir".
Invitée dans Forum, la Jurassienne dénonce un système "qui à un moment donné a probablement choisi de protéger davantage l'institution et les auteurs que les victimes".
Elisabeth Baume-Schneider salue la dimension académique de l'étude de l'Université de Zurich, car "on est hors du côté émotionnel et on a des éléments factuels".
"Il y a véritablement maintenant tout un terreau sur lequel on pourra travailler", affirme-t-elle, assurant que les tribunaux pourront désormais "répondre aux plaintes ou aux procédures qui auront lieu suite à cette situation".
Concernant les victimes, "on ne peut que s'excuser", affirme la conseillère fédérale, "mais on doit surtout s'engager à ce que ce ne soit plus possible". Dans cette optique, elle invite les personnes "qui n'ont pas osé" témoigner à trouver "un environnement où elles puissent s'exprimer pour qu'elles puissent se sentir mieux".