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Charles Morerod: "On doit essayer de comprendre comment ça peut arriver"

L'évêque de Lausanne, Genève et Fribourg Charles Morerod répond aux accusations à la suite de l'enquête sur les abus sexuels au sein de l'Eglise.
L'évêque de Lausanne, Genève et Fribourg Charles Morerod répond aux accusations à la suite de l'enquête sur les abus sexuels au sein de l'Eglise. / 19h30 / 4 min. / le 13 septembre 2023
La Conférence des évêques suisses a ordonné l'ouverture d'une enquête préliminaire à la suite d'accusations de dissimulation d'abus sexuels. Visés, les évêques romands Mgr Jean-Marie Lovey et Mgr Charles Morerod réagissent. Tous les deux déclarent être prêts à quitter leurs fonctions selon les résultats des enquêtes lancées.

L'Université de Zurich a publié mardi une étude faisant état de 1002 situations d'abus sexuels dans l'Eglise catholique en Suisse depuis le milieu du XXe siècle. Selon les chercheurs, il ne s'agirait que de la pointe de l'iceberg, la plupart des cas n'ayant pas été signalés et des documents ayant été détruits. L'étude avait été mandatée par trois organes catholiques dont la Conférence des évêques suisses.

>> En lire plus : Mille situations d'abus sexuels documentées dans l'Eglise catholique en Suisse

Ce rapport met en lumière, une fois de plus, la mauvaise gestion des cas d'abus dans l'Eglise, constate l'évêque de Lausanne, Genève et Fribourg Charles Morerod, mercredi dans une prise de position. Il ajoute que le diocèse se joint aux mesures proposées par la Conférence des évêques.

Nous nous engageons à un changement de culture au sein de l'Eglise

Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg

Celles-ci comprennent notamment de nouvelles structures institutionnelles de signalement des cas, un contrôle psychologique des candidats à la prêtrise et aux ordres, la professionnalisation des ressources humaines et l'interdiction absolue de détruire des documents liés à des abus.

"Ce sont des vies brisées et la figure sacralisée à l'excès du prêtre a contribué aux abus", affirme Charles Morerod dans le 19h30 de la RTS.

"C'est un des buts de cette étude", poursuit-il, "d'une part dire aux victimes 'on vous croit', puisqu'on niait jusque-là, et puis d'autre part on doit essayer de comprendre comment ça peut arriver".

"Nous nous engageons à un changement de culture au sein de l'Eglise", assure-t-il, rappelant que cela a déjà commencé notamment grâce à l'aide aux victimes. Et d'ajouter que le cléricalisme et les mauvaises transmissions de dossiers ne doivent plus se produire.

>> Ecouter RTSreligion sur la voix des victimes d'abus sexuels de l'Eglise catholique suisse :

Le 2 mars 2019, le pape François a rencontré pour la première fois en personne des victimes suisses d'abus sexuels par des membres du clergé (image d'illustration). [Keystone - Tiziana Fabi]Keystone - Tiziana Fabi
RTSreligion - La voix des victimes d'abus sexuels de l'Eglise catholique suisse / Chronique de RTSreligion / 2 min. / le 14 septembre 2023

Enquête préliminaire

La Conférence des évêques suisses a annoncé dimanche avoir ordonné le 23 juin l'ouverture d'une enquête préliminaire suite à des accusations de dissimulation d'abus sexuels. Des accusations ont été formulées dans une lettre "à l'encontre de plusieurs membres émérites et en exercice de la Conférence des évêques suisses ainsi que d'autres membres du clergé dans la gestion des cas d'abus sexuels", a-t-elle écrit.

>> Relire : Abus sexuels dissimulés: la Conférence des évêques suisses ordonne l'ouverture d'une enquête

Selon le SonntagsBlick, Charles Morerod est accusé de ne pas être intervenu après le signalement de cas d'abus. Il aurait même promu le prêtre en cause.

"Jamais je n'ai voulu couvrir le moindre abus"

"Je ne vois pas bien qui j'aurais promu. Vraiment, je ne vois pas de qui il s'agit", se défend-il. "Jamais je n'ai voulu couvrir le moindre abus, bien au contraire".

Charles Morerod admet pourtant avoir quand même su "quelque chose" avant la nomination du prêtre accusé d'abus.

"Le prêtre nommé m'avait lui-même dit, mais en atténuant beaucoup, 'j'ai eu un problème il y a quelques années et ensuite il a été réglé avec Mgr Genoud'", explique-t-il.

Selon Charles Morerod, si la situation n'avait pas été présentée "de manière tellement minimisée", il aurait peut-être agi autrement.

Si je devais démissionner de ma fonction, ce serait pour moi une libérationCharles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg

Il ne souhaite pas commenter ces accusations davantage, car les "faits ont été déposés aux organes compétents", à savoir la justice de l'Etat et celle de l'Eglise. Il ne veut pas interférer dans le travail de ces enquêtes. "Il y a une enquête en cours, qu'elle se fasse", conclut-il.

Dans une interview accordée jeudi aux médias ESH, Charles Morerod indique ne pas exclure une démission. "Si je devais démissionner de ma fonction, ce serait pour moi une libération", dit-il. "Je n'ai jamais exclu" une démission. "Il vaudrait effectivement mieux que je parte si je constate avoir fait de grosses fautes", ajoute-t-il.

Jean-Marie Lovey assumera sa responsabilité

La presse dominicale accuse également Jean-Marie Lovey, actuel évêque du diocèse de Sion, de ne pas avoir donné suite à la dénonciation d'une victime. En conférence de presse mercredi, il a salué l'étude de l'Université de Zurich, mais il ne s'est pas expliqué sur ces accusations.

"Une enquête est en cours. Par respect pour celui qui la préside et la démarche, il n'y a pas à s'exprimer", estime-t-il, dans le 12h30 de la RTS, assurant sa totale coopération à l'enquête. "Tout ce que j'ai fait pour le cas cité, je l'ai transmis, pièce à l'appui, au responsable de l'enquête préliminaire." Jean-Marie Lovey dit attendre "avec confiance" le résultat de l'enquête.

Si je suis mis en accusation par la justice, j'assumerai ma responsabilité

Jean-Marie Lovey, évêque du diocèse de Sion

"L'Eglise étant une communauté qui dépasse le temps et l'espace, je suis solidaire, en communion, avec tout ceux qui en sont membre dans ce qui s'est fait de bien et de pire. J'ai une responsabilité, comme tous les baptisés, de prendre en charge ce qui s'est fait de désastreux", ajoute-t-il.

Et de poursuivre: "Si je suis mis en accusation par la justice, j'assumerai ma responsabilité."

>> Lire aussi : Soupçons d'abus sexuels: le père-abbé de Saint-Maurice visé par une enquête préliminaire

L'étude montre que le diocèse de Sion a détruit des archives sur les abus sexuels. "Pour comprendre, il faut se remettre dans le contexte", souligne-t-il. "Le droit canon demande de supprimer tous les dix ans les documents relatifs à des affaires judiciaires des archives. (...) Sans excuser, on ne peut pas accuser des évêques ou leurs prédécesseurs d'avoir accompli leur juste droit."

L'évêque sédunois a évoqué un total de 19 cas d'abus sexuels en Valais depuis 2015 au sein de l'Eglise catholique. Parmi ces cas, "quatre ou cinq" ont transité par le diocèse de Sion et un cas concerne un prêtre incardiné.

Jean-Marie Lovey a également confirmé que son prédécesseur, Mgr. Brunner, a éliminé des archives, sans évoquer d'autres noms.

>> Ecouter l'interview dans le 12h30 de Jean-Marie Lovey :

Jean-Marie Lovey, Évêque de Sion, parle lors de la "rencontre médias de l'Eveche" sur le theme du suicide assisté ce jeudi 28 fevrier 2019 à Sion. [KEYSTONE - Jean-Christophe Bott]KEYSTONE - Jean-Christophe Bott
Scandale d'abus sexuels dans l'Eglise catholique: interview de Jean-Marie Lovey / Le 12h30 / 5 min. / le 13 septembre 2023

vajo avec ats

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Le monde politique réagit

A Berne les parlementaires fédéraux ont réagit à l'ampleur des abus sexuels commis par des membres de l'Eglise catholique en Suisse. "Choqué" ou "horrifié" sont des expressions largement entendues mercredi matin au Palais fédéral, sans distinction de genre ou de bord politique.

Des propos tranchés à l'image de la verte vaudoise Léonore Porchet qui est très engagée dans la lutte contre les abus sexuels. "J'ai beaucoup de solidarité et de compassion pour les victimes évidemment, mais aussi beaucoup de colère, car cela fait des années que l'on demande des enquêtes qui restent souvent sous le tapis", déclare-t-elle dans le 12h30.

Le conseiller national fribourgeois Pierre-André Page (UDC) n'a lui pas été surpris par les révélations du rapport: "J'étais choqué qu'on n'ait pas encore fait la lumière sur ces cas. Il y a longtemps qu'on en entend parler et personne n'a réagit suffisamment fort au niveau du Vatican pour régler cette problématique."

Au-delà des émotions, certains élus déplorent l'opacité de l'Eglise catholique, à l'image d'Ada Marra (PS/VD). "Les mentalités de pouvoir doivent changer dans ces structures de mondes clos qui ne peuvent plus le rester, parce que sinon, il n'y a pas de surveillance", estime la conseillère nationale.

Un enquêteur qui surprend

La Conférence des évêques suisses a nommé Joseph Bonnemain pour mener l'enquête sur ces abus. Un choix qui déçoit Pierre-André Page. "Je suis surpris qu'on ait mis ça en place, avec un évêque d'un certain âge aussi, qui connaissait certainement tous ces dossiers, donc je pense qu'il faut mettre des personnes neutres pour tenter de régler cette problématique une fois pour toute", réagit-il dans le 12h30.

Le conseiller national genevois du Centre (ex-PDC) Vincent Maitre n'est pas du même avis. Il fait totalement confiance aux instances helvétiques de l'Eglise. "Je n'ai pas de raisons de douter de sa bonne foi. Elle a mandaté des gens neutres et indépendants. A moins qu'on nous prouve le contraire, je ne vois pas le problème", explique-t-il.

>> Ecouter les réactions politiques dans le 12h30 :

Mille cas d'abus sexuels documentés dans l'Eglise catholique en Suisse. [EPA/Keystone - Friedemann Vogel]EPA/Keystone - Friedemann Vogel
Les réactions des partis politiques après les dénonciations d'abus sexuels dans l'Eglise / Le 12h30 / 2 min. / le 13 septembre 2023

Victime d’abus? Quelques contacts qui pourront vous aider

Suite aux résultats troublants de l’étude annoncée par le département d’histoire de l’Université de Zurich le mardi 12 septembre 2023 – qui a exposé plus de 1000 cas d’abus sexuels depuis le milieu du 20e siècle – L’émission On en parle s’est intéressée à ce qu'il faut faire et à qui s’adresser lorsqu'on est victime d’abus.

>> À écouter: le sujet "Ce qu'une victime dʹabus au sein de lʹEglise peut faire quand elle souhaite sortir du silence" dans l’émission On en parle :

Victime d'abus de l'Eglise. [AFP - Julien de Rosa]AFP - Julien de Rosa
Ce qu'une victime dʹabus au sein de lʹEglise peut faire quand elle souhaite sortir du silence / On en parle / 10 min. / le 19 septembre 2023

"Si ça s’est passé récemment ou il y a juste quelques années, et le cas n’est pas prescrit au sens de la loi, il faut tout de suite s’adresser à la police et déposer une plainte. Pour les cas qui sont prescrits - peut-être la majorité des situations, parce que lorsqu'on a subi ce genre d’abus, des années sont parfois nécessaires pour que les choses remontent et pour enfin pouvoir en parler - on peut s’adresser soit à un diocèse, soit à la Commission CECAR", explique Marie-Jo Aeby, vice-présidente du groupe SAPEC lors de l’émission On en parle.

Ainsi, lorsqu'une personne est victime d’abus, il lui est possible de demander de l’aide à ces trois entités parmi tant d'autres citées également sur le site internet du groupe:

- Le Groupe SAPEC: soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse

- La Commission CECAR: commission neutre et indépendante des autorités de l’Église catholique, chargée d’offrir aux victimes un lieu d’écoute, d’échange et de recherche d’une conciliation avec l’abuseur, à défaut avec son supérieur hiérarchique, en vue notamment d’une réparation financière

- Les centres LAVI: Aide aux victimes de violences domestique, physique, sexuelle, d’infractions et de mesures de coercition : conseils gratuits, confidentialité et anonymat garantis

Sujet radio: Jérôme Zimmermann

Adaptation web: Clarisse Cristovão