En Suisse, 3% à 5% des enfants seraient touchés par ce phénomène. Les cantons romands estiment en moyenne qu'une quinzaine d'élèves ne sont plus du tout scolarisés et restent à domicile. Ils relèvent que la problématique touche surtout les adolescents et les adolescentes, mais concerne de plus en plus d'élèves à l'école primaire.
Ce chiffre, relativement bas au regard du nombre d'élèves total, ne serait en réalité que l'arbre qui cache la forêt, car la phobie scolaire découle d'un diagnostic médical assez restrictif: les autorités étatiques préfèrent donc parler plus largement d'absentéisme.
"La phobie scolaire est un phénomène très inquiétant, avec de plus en plus d'élèves absents de l'école. Mais la phobie scolaire a quand même une connotation très médicalisée. Si on empoigne la problématique sous l'angle de l'absentéisme scolaire, on se rend compte que c'est l'école qui va devoir se préoccuper de faire revenir les élèves à l'école, tout comme une entreprise essaie de faire revenir ses employés", explique le chef de l'enseignement spécialisé valaisan Guy Dayer jeudi dans La Matinale.
Des chiffres multipliés par dix pour l'absentéisme
Lorsque l'on parle d'absentéisme, les chiffres peuvent être multipliés par dix selon les cantons. En Valais, par exemple, 150 élèves sont en décrochage scolaire. Le canton de Vaud compterait une quarantaine de décrochages massifs.
Lieu d'interactions sociales, évaluations notées, trajet pour s'y rendre, l'école peut être anxiogène à plusieurs égards, estiment plusieurs experts. Pour les enfants, il peut aussi y avoir une difficulté à quitter la maison, selon la situation familiale, avec par exemple des parents qui les retiennent inconsciemment. La phobie scolaire cache également parfois des troubles psychiques plus graves. L'effet du Covid-19, qui a normalisé le fait de ne pas se rendre à l'école, n'est pas non plus à négliger.
Au départ, cela peut sembler anodin, mais si le décrochage persiste trop longtemps, il peut se transformer en un problème extrêmement sévère
Selon Rémy Barbe, médecin responsable de l'Unité d'hospitalisation du Service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent aux HUG, qui accueille justement des élèves en décrochage, la plus grande difficulté pour les enfants est que moins ils vont à l'école, moins ils se sentiront capables d'y aller.
"Parfois, il arrive qu'un jeune dise simplement qu'il ne souhaite pas aller à l'école, ce qui peut poser des défis pour les parents qui essaient de les y envoyer. Cela peut entraîner un décrochage scolaire. Cependant, par la suite, l'anxiété de retourner à l'école peut devenir un véritable problème. Au départ, cela peut sembler anodin, mais si le décrochage persiste trop longtemps, il peut se transformer en un problème extrêmement sévère", alerte le spécialiste.
Plusieurs solutions
Tout le défi réside dans la détection rapide des cas, afin d'y remédier très vite. Objectif: garder un lien avec l'école ou maintenir au moins une forme de socialisation. Dans le canton du Jura, des classes relais ont été mises en place. Le Valais a ouvert deux centres spécifiques, tandis qu'à Genève, les HUG disposent d'une structure d'accueil de jour qui permet d'éviter d'hospitaliser ces jeunes en décrochage, comme c'était le cas auparavant.
Autre option: la scolarisation à domicile en cas d'impossibilité totale pour le jeune de sortir de chez lui. Un soutien précieux, selon Coralie Aebischer, enseignante à Genève, qui a accompagné un élève l'année passée. Le résultat est encourageant puisque le garçon en question a pu retourner à l'école lors de la dernière rentrée scolaire.
"Je pense que le contact qu'on avait lui a permis de se rapprocher gentiment de l'univers scolaire, de se sentir aussi peut-être un peu moins seul, de voir que, quelque part, l'école ne l'abandonnait pas, qu'on ne l'oubliait pas. Je crois que lui et ses parents ont été rassurés. Il y avait vraiment une motivation grandissante. C'était une énorme progression."
La phobie scolaire est prise en compte de manière disparate selon les cantons. Le Valais, par exemple, a établi une procédure précise pour les directions d'école afin de prendre en charge ces cas complexes. A Genève en revanche, les cas de phobie scolaire ne sont pas monitorés pour des raisons de secret médical.
Sujets radio: Charlotte Frossard et Pietro Bugnon
Adaptation web: Jérémie Favre
"J'ai été incapable de me lever de mon lit"
Scolarisée en France, Capucine Ployé a été touchée par la phobie scolaire lorsqu'elle était au niveau secondaire. Nausées, tremblements, souffle court et profonde anxiété: pour elle, aller à l'école était devenu un calvaire. De son expérience est née un livre "Vaincre la phobie scolaire", écrit à quatre mains avec son papa Alexandre et qui vise à donner des pistes aux familles confrontées à ce phénomène.
Dans La Matinale, la jeune fille se remémore: "Ça a commencé par des symptômes physiques. C'était de plus en plus récurrents, fréquent et handicapant (...) Un jour, j'ai été incapable de me lever de mon lit. Ce n'était plus possible d'aller à l'école."
Avec du recul, a-t-elle pu identifier les causes de cette phobie? "J'ai eu une période compliquée. Après, j'ai toujours eu une fragilité à l'école, parce que je suis une grande angoissée et le système scolaire génère beaucoup d'angoisse", explique-t-elle.
Des parents désemparés
Son père Alexandre dit avoir mis beaucoup de temps à comprendre. "J'avais plutôt l'impression qu'elle était déprimée, mais la phobie scolaire est un syndrome que nous ne connaissions pas avec mon épouse. Dans un premier temps, nous avions pensé qu'il s'agissait aussi d'une crise d'adolescence", détaille-t-il.
Capucine Ployé a été prise en charge dans un centre médico-pédagogique pour adolescents qui alliait soins psychologiques et école. "On était très peu d'élèves, cinq-six, avec des professeurs formés. Je me suis rendue compte que je n'étais pas toute seule, que ce dont je souffrais était bien réel."
Ce processus "extrêmement" long s'est fait de pair avec la coupure avec son milieu familial. "C'était salutaire", précise Alexandre Ployé. "On est sorti du cercle vicieux des angoisses réciproques. La coupure lui a permis de respirer et de reprendre pied ailleurs."
"Soulager son enfant de son anxiété"
Quel conseil pourrait-il donner aux parents qui vivent une situation similaire? "Il ne faut pas oublier de regarder l'enfant derrière l'élève. Il traverse des crises. Une fois que Capucine a lâché l'école, on a aussi lâché la pression et on a pu recommencer à penser. Car pour se protéger, l'enfant inhibe cette faculté. Il faut soulager son enfant de son anxiété et pour ça, la rupture scolaire est très importante, même si elle est passagère."
La phobie scolaire, qu'est-ce que c'est?
La phobie scolaire est particulièrement difficile à définir, comme l'explique Alexandre Ployé. "L'appellation 'phobie scolaire' s'est popularisée, mais c'est une pathologie qui n'est pas clairement reconnue par la psychiatrie. C'est une sous-catégorie des troubles anxieux, mais il y a une telle variabilité des symptômes que c'est difficile de la cerner, entre les causes intrinsèques et extrinsèques."
Interrogé dans un article de Femina en 2018, le Dr Laurent Holzer, du Réseau fribourgeois de santé mentale, comme d'autres spécialistes, parle plutôt de "refus scolaire". Il explique qu'il ne s'agit pas d'une maladie en soi, mais d'une situation de refus d'aller à l'école "qui recouvre une pluralité de tableaux psychopathologiques sous-jacents".
Autrement dit, les maux qui se cachent derrière - anxiété de séparation, de performance, phobie sociale, harcèlement scolaire, dépression, inadaptation au système scolaire - peuvent être divers, se cumuler ou s'alterner.