Alors qu'elle est adolescente, les parents de Christiane Marmy déménagent à Lausanne et demandent à un très bon ami de la famille, un prêtre, de la prendre en pension chez lui pour qu'elle puisse terminer son année scolaire à Fribourg.
"Plusieurs soirs dans la semaine, il venait. Il savait où était ma chambre", témoigne-t-elle dans le 19h30. "C’était toujours dans le cadre de la chambre, la nuit, que les abus étaient perpétrés".
Christiane Marmy avait alors 14 ans. "J’avais un visage tellement innocent, qui s’ouvre à la vie", affirme-t-elle en regardant de vieilles photos. "C’est comme si on saccage une fleur qui s’ouvre à sa floraison".
C’était toujours dans le cadre de la chambre, la nuit, que les abus étaient perpétrés
Silence et déni
Pendant trois mois, Christiane Marmy a été "vraiment sous emprise" de ce prêtre. A l'époque, elle n'en a toutefois parlé à personne.
"Je ne me souviens pas qu'il m’ait dit de garder le silence. Je ne me voyais pas en parler", se rappelle-t-elle.
Statut intouchable des prêtres
La retraitée explique son silence par le statut important qu'occupaient les prêtres dans la société il y a 60 ans, lorsque les faits se sont produits.
"A l’époque, c’est un contexte sociétal de chrétienté, les prêtres avaient de la notoriété, on les considérait comme un Dieu", affirme-t-elle.
Christiane Marmy a donc vécu dans le déni pendant des années. "Pour vivre ma vie le mieux possible", explique-t-elle.
Récidive
Mais en 2008, dans une discussion anodine, tout lui revient. Elle en parle alors à sa soeur qui lui dit avoir elle aussi été abusée par le même prêtre, mais bien plus longtemps.
En 2020, les deux soeurs se présentent auprès de l’évêque Charles Morerod, qui leur accorde toute son attention et l’accès au dossier de leur agresseur. Elles y découvrent que le prêtre avait déjà été accusé d'abus vers 1955, avant qu'il ne s'en prenne à elles.
"Il avait déjà eu des problèmes. Il y avait eu une dénonciation par une famille qui est restée en plan", explique Christiane Marmy.
Si elle affirme être certaine qu'à l'heure actuelle "le diocèse alerterait", cette situation renforce l'image d'une Eglise qui se trouverait au-dessus des lois.
Responsabilité de l'Eglise
Il existe pourtant des mécanismes permettant de faire intervenir la justice. Les prêtres et les évêques, au même titre que n’importe qui, peuvent être poursuivis par les autorités judiciaires.
Les infractions contre l’intégrité sexuelle sont également, théoriquement, poursuivies d’office, sans qu'il y ait besoin d'une plainte de victime.
>> Relire : La justice ne s'empare pas forcément des cas révélés d'abus sexuels dans l'Eglise
Enfin, le droit canonique dit que les soupçons d'abus sexuels doivent être dénoncés aux autorités civiles s'il y a des risques de récidives.
Le nombre de procédures judiciaires ouvertes est cependant très bas en comparaison du nombre de cas d'abus répertoriés.
Cela peut s'expliquer par la difficulté pour les victimes de parler, les délais de prescription et la culture du secret dans l’Eglise de manière générale.
A l’époque, c’est un contexte sociétal de chrétienté, les prêtres avaient de la notoriété, on les considérait comme un Dieu
Le rapport de l’Université de Zurich montre en effet que l’Eglise catholique a ignoré les victimes, couverts les auteurs d'abus sexuels et détruit les archives incriminantes, relançant la question de la responsabilité juridique de L'Eglise.
>> Relire : Mille situations d'abus sexuels documentées dans l'Eglise catholique en Suisse
Une élue vert'libérale déposera d'ailleurs la semaine prochaine un texte à Berne dans ce sens, afin de demander de définir l’Eglise responsable des actes de son personnel. Elle pourrait donc être reconnue fautive en cas d'abus commis par ses prêtres et ses évêques.
Délivrance
Dans le cas de Christiane Marmy et de sa soeur, leur plainte a été entendue, mais l'agresseur étant décédé, il n'y aura jamais de procès. Chacune a toutefois reçu 20'000 francs de compensation financière.
"Ma soeur est décédée quelques mois plus tard", raconte Christiane Marmy. "Soixante ans de silence, puis juste avant la mort, la reconnaissance. Ça a été un cri de délivrance".
C'est pour cela que Christiane Marmy encourage aujourd'hui les autres victimes à demander de l'aide, notamment auprès du Groupe de soutien aux personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse (SAPEC).
"Avec le SAPEC, on souhaiterait que toutes les victimes puissent parler et elles seront entendues", affirme-t-elle.
60 ans de silence, puis juste avant la mort, la reconnaissance. Ça a été un cri de délivrance
Le SAPEC lui a permis de rencontrer d’autres victimes, dont la plupart ont coupé tout lien avec l’Eglise. Christiane Marmy les comprend, mais sa foi reste intacte.
"Ça fait partie de mon histoire et je pense que c’est important qu’avec toute l’aide que j’ai reçue, je puisse relire cette histoire sereinement et continuer mon chemin sereinement", conclut-elle.
Sujet TV: Cecilia Mendoza
Adaptation web: Emilie Délétroz
Une coupe dans les impôts versés aux évêques envisagée
L'arrêt d'impôt ecclésiastique pour les évêques récalcitrants, telle est l'idée de la présidente de la Conférence centrale de l'Eglise catholique suisse (RKZ). "Je n'exclus pas qu'à l'avenir, nous refusions de verser de l'argent aux évêques", dit-elle dans la presse.
Si les dix cantons - parmi lesquels le Jura - qui versent au diocèse de Bâle une partie des recettes de l'impôt ecclésiastique participaient à ce boycott, il manquerait 3,8 millions de francs à l'évêque, indique Renata Asal-Steger dans la SonntagsZeitung.
"Il ne pourrait ainsi plus assumer ses tâches", ajoute la présidente de l'organisation faîtière des Eglises cantonales, qui gère les impôts ecclésiastiques. Elle est aussi la comandatrice de l'étude de l'Université de Zurich publiée mardi.
Il faut changer les structures fondamentales qui rendent possibles les abus, indique Renata Asal-Steger, également membre de l'organe de la RKZ qui indemnise les victimes d'abus au sein de l'Eglise. Le montant maximal de cette indemnisation s'élève à 20'000 francs. Une somme qu'elle estime "pas particulièrement généreuse" en comparaison avec les pays de l'UE.
"Très discutable"
La Conférence centrale porte également une part de responsabilité dans les cas d'abus mis au jour, poursuit sa présidente. La gestion du personnel devrait être professionnalisée, l'échange d'informations clarifié et la destruction de dossiers empêchées, estime-t-elle.
La Lucernoise juge en outre problématique que l'évêque de Coire Joseph Bonnemain soit en charge de l'enquête ordonnée par la Conférence des évêques suisses sur la dissimulation de cas d'abus. "C'est très discutable et cela montre que la question du pouvoir doit être clarifiée", dit-elle.
Renata Asal-Steger rejoint ainsi la position de la présidente de la Commission écoute, conciliation, arbitrage, réparation (CECAR) Sylvie Perrinjaquet et de la théologienne et journaliste catholique germano-suisse Jacqueline Straub qui se sont exprimées dans la presse samedi.
L'évêque de Bâle Felix Gmür à son tour accusé de dissimulation
Mardi soir, dans l'émission Forum de la RTS, Felix Gmür, évêque du diocèse de Bâle et président de la Conférence des évêques suisses, se disait "bouleversé" et "bouche bée" face à l’ampleur des abus sexuels au sein de l’Eglise catholique, révélés par une étude inédite de l'Université de Zurich..
Aujourd’hui, c’est à son tour d'être accusé d’avoir manqué à ses devoirs. Pointé du doigt dans le Sonntagsblick, il aurait dissimulé un abus commis par un ancien prêtre il y a une quarantaine d’années à Bamberg, en Allemagne.
Victime d’abus? Quelques contacts qui pourront vous aider
Suite aux résultats troublants de l’étude annoncée par le département d’histoire de l’Université de Zurich le mardi 12 septembre 2023 – qui a exposé plus de 1000 cas d’abus sexuels depuis le milieu du 20e siècle – L’émission On en parle s’est intéressée à ce qu'il faut faire et à qui s’adresser lorsqu'on est victime d’abus.
"Si ça s’est passé récemment ou il y a juste quelques années, et le cas n’est pas prescrit au sens de la loi, il faut tout de suite s’adresser à la police et déposer une plainte. Pour les cas qui sont prescrits - peut-être la majorité des situations, parce que lorsqu'on a subi ce genre d’abus, des années sont parfois nécessaires pour que les choses remontent et pour enfin pouvoir en parler - on peut s’adresser soit à un diocèse, soit à la Commission CECAR", explique Marie-Jo Aeby, vice-présidente du groupe SAPEC lors de l’émission On en parle.
Ainsi, lorsqu'une personne est victime d’abus, il lui est possible de demander de l’aide à ces trois entités parmi tant d'autres citées également sur le site internet du groupe:
- Le Groupe SAPEC: soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse
- La Commission CECAR: commission neutre et indépendante des autorités de l’Église catholique, chargée d’offrir aux victimes un lieu d’écoute, d’échange et de recherche d’une conciliation avec l’abuseur, à défaut avec son supérieur hiérarchique, en vue notamment d’une réparation financière
- Les centres LAVI: Aide aux victimes de violences domestique, physique, sexuelle, d’infractions et de mesures de coercition : conseils gratuits, confidentialité et anonymat garantis
Sujet radio: Jérôme Zimmermann
Adaptation web: Clarisse Cristovão