La Confédération reconnaît que les conditions de vie des femmes et des filles se sont beaucoup détériorées en Afghanistan depuis la prise de pouvoir des talibans et elle en tient compte.
Depuis mi-juillet, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) estime que ces femmes peuvent être considérées comme victimes "d’une législation discriminatoire" et de "persécutions pour motif religieux", ce qui justifie de leur accorder le statut de réfugiées.
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Le SEM assure toutefois qu'il n’y a pas d’automatisme et qu'il continue à examiner chaque demande au cas par cas.
Des femmes persécutées
Maryam Yunus Ebener, conseillère administrative à Onex d'origine afghane, salue cette démarche. Pour elle, la condition des femmes en Afghanistan justifie totalement cet assouplissement de la pratique.
"La situation des femmes est extrêmement déprimante", affirme-t-elle dans l'émission Forum. "Comment est-ce que ces femmes arrivent à donner un sens à leur vie en étant enfermées chez elles, sans perspectives d'avenir, sans projets?", s'interroge-t-elle.
Pour Maryam Yunus Ebener, les femmes afghanes sont bien victimes de persécution. "Elles ont droit à l'éducation, au travail, à la liberté de mouvement et enfreindre ces droits, c'est juste inacceptable", affirme-t-elle.
"Ça remet aussi en question le pilier de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et aujourd'hui, c'est bien cela qui est en jeu", ajoute-t-elle.
Différent statut
Jusqu'à présent, les Afghanes obtenaient une admission provisoire en arrivant en Suisse plutôt que le statut de réfugiée.
Cette différence de statut aura des effets concrets. Les personnes admises à titre provisoire ont en effet souvent plus de mal à trouver du travail, car leur permis indique qu'elles ne sont pas vouées à rester en Suisse.
Elles n’ont pas non plus le droit de voyager, même dans l’espace Schengen. Le statut de réfugié, lui, permet d’éviter ces écueils.
La droite s'inquiète toutefois de changement, craignant un afflux de refugiées. "On craint un appel d'air, parce que ces personnes peuvent ensuite venir en Suisse", affirme Damien Cottier, conseiller national (PLR/NE), dans le 19h30 de la RTS. "Ça peut potentiellement représenter beaucoup de personnes".
Jean-Luc Addor, conseiller national (UDC/VS), s'inquiète lui des conséquences sur le pouvoir d'achat des Suisses. "Elles vont se retrouver à notre charge", dit-il. "Si on continue à charger le bateau de l'aide sociale, des assurances sociales, etc., comment est-ce qu'on va faire pour s'occuper des Suisses?".
"Il n'y a aucun risque qu'il y ait un appel d'air, parce que c'est vraiment une toute petite minorité de femmes qui va faire les démarches", rétorque Maryam Yunus Ebener, évoquant la difficulté des démarches administratives.
Elle rappelle également que la société afghane étant très conservatrice, toutes les femmes ne pourront pas quitter leur famille. "Les femmes qui vont pouvoir profiter de ces mesures, ça va être principalement des femmes éduquées, d'origine socio-économique élevée, avec des familles qui ont un esprit ouvert", explique-t-elle.
"Donc c'est vraiment une toute petite minorité de femmes qui est concernée et en plus, ça va se faire au cas par cas, alors il n'y a aucun risque d'envahissement", estime-t-elle.
Regroupement familial
Le statut de réfugié offre également la possibilité de demander immédiatement un regroupement familial, ce qui inquiète le PLR et l’UDC. Les deux partis craignent que si les Afghanes obtiennent le statut de réfugiées et peuvent demander le regroupement familial, la Suisse s’expose à un nouvel afflux de migrants en provenance d’Afghanistan.
Le SEM réfute cet argument, affirmant que la très grande majorité des requérants d’asile afghans sont des hommes. Sur les quelque 19'000 réfugiés afghans actuellement dans le pays, 28% sont des femmes. Et 2277 d'entre elles ont obtenu le statut de réfugiée.
Pour Elisabeth Baume-Schneider, la conseillère fédérale en charge de la migration, la Suisse se doit de protéger ce petit nombre de femmes. "On n'est pas dans des chiffres qui doivent faire peur", affirme-t-elle.
"On est dans une réalité qui s'inscrit véritablement dans le droit d'asile qu'on pratique en Suisse et qu'on pratique en Europe et probablement partout où les droits fondamentaux sont respectés et ils ne le sont pas en Afghanistan", poursuit-elle.
Un changement de pratique concernant les femmes ne devrait donc pas avoir une influence énorme. D'autant plus que le regroupement familial concerne uniquement le conjoint et les enfants mineurs. Dans l’année écoulée, seuls six hommes sont venus rejoindre leur femme via ce mécanisme.
Pas d'annonce publique
Le PLR reproche également au SEM d'avoir décidé de ce changement de pratique sans en informer le grand public et les commissions du Parlement fédéral.
Il n'y a toutefois pas eu de modification de la loi, simplement une adaptation dans la pratique. Le SEM a donc fait ce qu'il fait dans ces cas-là: il s'est contenté d'informer ses partenaires concernés comme le Tribunal administratif fédéral ou encore les prestataires de la protection juridique.
Si les adaptations de ce type sont sensibles, surtout en période électorale, elles ne sont généralement pas communiquées officiellement, confirme l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés.
Sujet radio: Marielle Savoy
Sujet TV: Jean-Marc Heuberger
Adaptation web: Emilie Délétroz