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Ces a priori qui collent à la peau du cervelas

Découverte d'un produit typique et mystérieux, le cervelas
Découverte d'un produit typique et mystérieux, le cervelas / Couleurs locales / 2 min. / le 22 septembre 2023
Au même titre que le chocolat, le cervelas fait partie du patrimoine suisse. De nombreux a priori entourent la composition de la fameuse saucisse fumée, qui serait, selon la légende urbaine, composée des restes du cochon. Pour lever le voile, l'émission Couleurs locales s'est rendue dans une boucherie à Moutier.

Grillé sur la braise en forêt, cru, en salade ou avec un morceau de pain et un peu de moutarde: le cervelas est l'une des saucisses préférées des Suisses et des Suissesses. On en mange en moyenne 14 par année et la production totale avoisine les 160 millions de petites saucisses.

Dans l'imaginaire collectif, et selon l'adage "tout est bon dans le cochon", le cervelas serait composé essentiellement de bas morceaux de viande de porc. Pour les uns, on y trouverait de la cervelle, pour les autres des yeux, des oreilles ou des articulations. Le tout mixé pour que plus rien ne soit identifiable sous la langue des fins gourmets.

Que du cochon?

Pour en avoir le coeur net, l'émission Couleurs locales s'est rendue dans le laboratoire de la dernière boucherie artisanale de Moutier (BE), la boucherie Nyffeler, où l'on fabrique des cervelas dans les règles de l'art, selon une recette élaborée par les anciens. Et là... surprise!

"On a du boeuf, de la viande de porc, du lard de dos, des couennes malaxées et préparées pour que l'on ait une pâte ferme et onctueuse. On y ajoute de la glace, importante pour avoir un produit qui soit lisse (et maintenir la viande à basse température, ndlr)", détaille le directeur de la boucherie, André Nyffeler.

Les proportions peuvent varier, de même que les pièces de viande utilisées. Boucher à Ayent (VS), Jean-Paul Graf indiquait en 2021 dans l'émission A Bon Entendeur utiliser notamment 30% de boeuf, principalement du cou, 10% de porc, 15% de couenne et 15% de gras, ainsi que 20% d'eau et de glace.

Le mélange d'épices, un secret bien gardé

En Suisse, il existe près de 400 sortes de saucisses différentes. La plupart d'entre elles sont ancrées dans des régions, à la différence du cervelas, dont les premières occurrences apparaissent dans la littérature culinaire dès le 16e siècle. "Sa particularité, c'est qu'on ne peut pas le lier à un canton. On le trouve sur l'ensemble de la Suisse. Ce n'est pas un hasard si c'est la saucisse nationale", précise Olivier Girardin, président du Patrimoine culinaire suisse.

Si la base des aliments reste la même, il existe presque autant de sortes de cervelas que de boucheries. "Souvent, il est la fierté du boucher, car il y a un mélange d'épices qui lui permet de mettre sa touche dans la fabrication du produit". C'est là qu'on va trouver des nuances, ce que confirme André Nyffeler: "Le mélange nous vient de mon papa."

Dans ABE, Jean-Paul Graf précise néanmoins la base du fameux mélanges: "On a du sel, du girofle, de la muscade, du poivre, de la coriandre, de l'oignon et de l'ail. C'est le b.a-ba du cervelas en Suisse", détaille-t-il.

Un fumage "subtil"

La préparation est ensuite délicatement mélangée, ou blitzée dans le langage de la profession, jusqu'à obtenir une pâte homogène, avant d'en faire des cervelas de 100 grammes chacun. Blanches au départ, les cervelas sont ensuite séchées, puis fumées.

"En premier lieu, ils vont passer par la rubéfaction, c'est là que les nitrites commencent à travailler et que les cervelas vont rougir. Cela va aussi permettre de les sécher, puis ils seront ensuite fumés pendant 40 à 45 minutes", explique Patrick Turberg, chef de fabrication à la boucherie Nyffeler.

Pour Jean-Paul Graf aussi, le moment du fumage est crucial. "On ne chauffe jamais à plus de 60 degrés. On veut que ce soit subtil. L'idée est d'enrober le boyau de fumée, mais pas le cervelas", indique-t-il, tout en précisant utiliser des copeaux d'épicéa, de foyard et de mélèze. S'en suit finalement la cuisson dans un bain d'eau à environ 70 degrés.

Et la cervelle dans tout ça?

A l'origine, le cervelas serait composé de viande et de cervelle, ce qui lui aurait donné son nom, apprend-on dans ABE. Dans les recettes ancestrale, la présence de cervelle est toutefois assez rare, note le journaliste François Jeannet. Le boucher Jean-Paul Graf dit pour sa part ne pas y voir d'intérêt particulier.

Mais une chose est certaine: depuis 1990 et la crise de la vache folle, la cervelle est interdite par l'Office fédéral de la santé publique.

>> Revoir le sujet d'ABE sur le cervelas :

Tout sur le cervelas, la saucisse nationale suisse
Tout sur le cervelas, la saucisse nationale suisse / A bon entendeur / 28 min. / le 22 juin 2021

Jérémie Favre

Sujet TV: Daniel Bachmann

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Une crise nationale en 2006

En 2006, le cervelas est devenu un sujet de politique nationale après l'interdiction par l'Union européenne d'importer des boyaux de boeufs brésiliens en raison du risque d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). La Suisse s'était associée à cette interdiction dans le cadre des accords bilatéraux.

L'Union professionnelle suisse de la viande (UPSV), l'Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OVF) et les grands distributeurs suisses avaient alors créé une "task force" pour sauver le cervelas. Au lieu de boyaux brésiliens, ils avaient recouru à des intestins de pays voisins comme le Paraguay, l'Argentine et l'Uruguay.

"On a aussi essayé de faire des boyaux avec de la cellulose de bois, mais ça n'a rien à voir au niveau du goût", explique Jean-Paul Graf. "Actuellement, on a de nouveau des boyaux de boeuf du Brésil, mais aussi d'Europe et des pays de l'Est", précise-t-il.

Une fois par semaine maximum!

Un cervelas représente environ 300 calories, ce qui en fait un produit particulièrement gras, ce qu'Amélie Salomon, diététicienne à l'Hôpital du Jura confirme: "C'est une charcuterie grasse, c'est clair. On recommande une portion maximum par semaine, que ce soit du cervelas, ou sa cousine la saucisse de veau, mais à déguster avec plaisir."

Comme dans les autres charcuteries, la teneur en sel y est également importante et représente entre un quart et un cinquième de la tolérance en sel de notre alimentation.

Les versions végétariennes ou véganes du cervelas - qui ne peuvent pas porter le nom suite à une directive de 2020 - ont aussi des vertus conviviales, mais elles ne sont pas une alternative sur le plan diététique. "Ce n'est pas forcément mieux, ni plus sain. La teneur en additifs, en sel, ou la composition nutritionnelle - protéines et graisses - n'est pas idéale non plus", relève Séverine Chedel, diététicienne à l'Espace Nutrition à Neuchâtel, dans ABE.

>> Lire : "Cervelas végétariens", "poulet végétal", des appellations désormais interdites

>> Voir aussi la recette de la petite tarte aux cervelas du chef Damien Germanier :

La petite tarte aux cervelas de maman., par Damien Germanier à Sion.
La petite tarte aux cervelas de maman, par Damien Germanier à Sion. / A bon entendeur / 4 min. / le 22 juin 2021